Citations sur La promesse du Bois-Joli (14)
Une sorte de complainte, langoureuse, venue je ne sais d’où, se dessine dans mon esprit et ma main court sur la portée. Comme ça. Sans effort. Une pulsion magnifique. Puis alors que je m’enflamme, que j’imagine déjà la suite dans un débordement romantique, tout s’arrête. Subitement, comme si on avait débranché une lampe. L’inspiration s’en est allée. C’est toujours ainsi.
Comme ils sont bleus ! Elle dit toujours que c’est ce qui résiste le mieux à la vieillesse, les yeux. Elle a raison. Je me rappelle que mon père avait les mêmes. Deux bleuets, disait ma mère. Moi, j’ai hérité des siens, gris d’orage. Il paraît que c’est beau aussi, et ça s’accorde à ma blondeur.
, comme je voudrais aimer Thomas ! Mais il ne m’inspire que de l’amitié et je le regrette vraiment. J’ai vingt-trois ans et n’ai connu que des amourettes. Vais-je prendre le chemin de mon oncle et rester célibataire ? Peut-être bien. Je pense parfois qu’un mauvais sort s’est incrusté dans cette maison.
C’est un jeune homme aux yeux de jais, et malicieux. Un jeune homme que beaucoup de mères aimeraient avoir pour gendre, je présume. Un visage rieur, des cheveux châtains souvent en bataille, ce qui fait son charme, les épaules carrées… et une bienveillance à toute épreuve.
Je songe à notre vie d’avant, quand nous étions quatre autour de la table à nous raconter nos journées, à piquer des fous rires, à nous quereller pour des riens. A être heureux, tout simplement. Mes parents me manquent. Grand-mère n’en parle pas beaucoup. Je crois qu’elle évite le sujet pour nous épargner ou pour se protéger elle-même.
C’est une habitude et j’aime cette complicité qui me console souvent. La nature m’apaise et lui s’y trouve bien. J’aime enfouir ma tête dans sa fourrure douce et frisée qui garde toujours une odeur d’herbe et de feuillage. En retour, il me lèche le bout du nez avec application. Sa façon de me dire qu’il m’aime.
Cheveux de miel et yeux couleur de pluie, nous nous ressemblons comme des jumeaux. Et pourtant, nous avons sept ans de différence. Mes parents étant disparus, c’est sur moi qu’est tombée la responsabilité de le protéger, ce que j’accepte avec toute la tendresse que je lui porte.
Composer, c’est une obsession qui donne un sens à ma vie. Un fantasme qui me fait vibrer, me tourmente quand je prends conscience de son illusion. Mon jardin secret peuplé de ballades, de berceuses ou de romances.
Pas de femme dans sa vie. Du moins, à ma connaissance. Un chagrin d’amour, paraît-il. Bref, un vieux garçon, comme le déplore grand-mère. Mais qui accepterait de s’installer ici, dans cette maison au confort sommaire, pour seconder la reine mère ? C’est ainsi en effet que celle-ci voit les choses.
Mon frère se mure dans son silence, faisant croire qu’il a endormi son chagrin, et moi je souffre autrement, d’une blessure toujours à vif. Heureusement, j’ai continué d’apprendre la musique et maintenant, je l’enseigne dans un collège de la banlieue troyenne, au grand dam de grand-mère qui m’imaginait déjà en vendeuse de pain, habillée d’un coquet tablier blanc agrémenté de dentelle. J’ai réussi à lui tenir tête et pour une fois Richard m’a soutenue.