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EAN : 9782268100685
136 pages
Les Editions du Rocher (12/09/2018)
3.33/5   3 notes
Résumé :
« Il suffit de si peu pour ébranler un sentiment. En nous, tout oscille tout le temps. »
Une tempête fait rage. Perdues au milieu d'un immense parc, cinq personnes se sont réfugiées dans un abri. La nuit mouvementée qu'ils passeront ensemble à huis clos les révélera à eux-mêmes, tant il est vrai que le destin porte parfois le masque du hasard.

Emmanuel Moses est écrivain. Il a reçu le Prix Méditerranée en 2018 pour son recueil Dieu est à l'arrê... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
« Il suffit de si peu pour ébranler un sentiment. En nous, tout oscille tout le temps. »

Trois personnages sont perdus dans un parc alors qu'une tempête se lève. Ils s'abritent dans une cabane dans laquelle ils rencontrent un homme et sa fille. S'engage une conversation, sur les occupations de chacun, sur la petite fille endormie.

C'est un roman en quasi huis-clos dans lequel les personnages, par leurs dialogues et leurs non-dits, dévoilent certains ressorts de l'âme et livrent, presque malgré eux, une théorie de la littérature.

Qu'est-ce qui fait un roman ?

Quel est le but de la littérature ?

Où la poésie peut-elle résider ?

C'est à ces questions que tente de répondre Moses, dans un texte dans lequel chaque personnage représente une des tentations de l'écrivain.

Variation de la Tempête de Shakespeare, ce bref roman d'Emmanuel Moses constitue un art romanesque et témoigne des rapports de la littérature et de la vérité.
Lien : https://rainfolk.com/2018/10..
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
C’était un soir de fin d’automne. La température, plutôt douce pour la saison, avait brutalement fraîchi avec la venue de l’obscurité, et le ciel dégagé s’était chargé de nuages. Quelques-uns d’abord, qui dérivèrent lentement, comme par distraction, formant des îlots gris et orangés sur le fond verdâtre, maintenant que le soleil s’était couché, puis une quantité croissante, fuligineuse, rapide, qui effaça bientôt toute trace de couleur comme une mauvaise nouvelle chasse l’espoir. Alors un vent se leva, froid et courroucé, qui s’engouffrait dans les rues, agitait les dernières feuilles aux arbres des trottoirs et des squares, les enseignes et les volets qu’on avait omis s’assujettir.

Pourtant, gâtés par le beau temps qui se prolongeait depuis tant de semaines et de mois, qui semblait ne devoir jamais finir, les habitants de la ville refusaient de croire à une correction climatique, au rétablissement de l’ordre de la nature et des saisons dans ses droits, à un retour à la normale. Ils continuaient de se presser sur les boulevards, les places, aux terrasses des cafés, ils portaient encore leurs vêtements estivaux, avec pour seule concession aux conditions de l’heure, une écharpe, une laine ou une veste dans un tissu un peu plus épais, ou garni d’une doublure, que le lin et le coton qui ne les avaient pas quittés depuis le printemps dernier, autant dire une éternité.

Les maîtres promenaient leur chien dans les jardins, les amoureux occupaient les bancs plantés dans les allées goudronnées ou de sable blanc et les enfants refusaient de rentrer déjà pour le dîner ou les devoirs, malgré les exhortations et les remontrances des mères et des jeunes filles chargées de veiller sur eux jusqu’au retour des parents de leur journée de travail.

Certains, aussi, pour dissiper la pesanteur, la fatigue et l’angoisse qui s’étaient accumulées entre les murs où s’était déroulée leur activité depuis le matin, se dirigeaient de différents points de la ville vers le parc qui, un peu au nord du centre historique, constituait le poumon vert de l’agglomération, sur une superficie aussi étendue que plusieurs quartiers, de sorte qu’on pouvait tout autant le considérer comme un bois, avec son réseau d’allées, ses colonies denses d’arbres d’essences variées, communs comme exotiques, ses plans d’eau de forme et taille diverses, ses fourrés qui auraient aisément trouvé leur place dans une forêt de contes allemands ou de légendes bretonnes.

Ancien terrain de chasse d’un prince étranger, il s’étendait sur des dizaines de kilomètres carrés occupés ici et là par un pavillon de chasse abandonné, des cabanes sans usage depuis des lustres, une guinguette que n’animaient plus de leurs danses que les toiles d’araignée, un manège fermé depuis des lustres, où quelques esprits dotés d’une puissante imagination, à moins qu’il ne se fût agi de farceurs, juraient avoir vu, par des nuits de pleine lune, des chevaux fantomatiques tourner indéfiniment le long de la clôture circulaire en planches défoncées ou vermoulues. (À ce dernier sujet, il faut dire qu’autrefois, bien sûr, le martèlement des sabots résonnait un peu partout sous les feuillages. Montures d’aristocrates en promenade, d’officiers de cavalerie à l’exercice, il fallait se garder d’elles quand on avait le malheur de vouloir tout bonnement y aller prendre l’air ou se dégourdir les jambes.)

Les habitants l’aimaient pour ses chemins qui ne menaient souvent plus nulle part, pour ses profondeurs végétales inattendues et ses bassins où aux oiseaux de passage y goûtant le repos d’une halte se mêlaient, indifférents et superbes comme de lointaines étoiles, des cygnes que rien, ni les crises de régime, ni les faillites successives de la municipalité, ni les incendies, ni surtout les guerres avec leurs atroces bombardements qui avaient défiguré, soufflé et rasé le joyau de l’Europe médiévale qu’était cette ville, n’avaient réussi à déloger.

Des peintres l’avaient représenté sous tous ses aspects, baigné de lumière chaude, paisible et comme repu de ses propres sèves et sucs, frémissant de jeunesse, encore pâle et ivre de promesses à tenir, doucement mélancolique, parcouru de tapis d’or et de bronze faisant écho aux frondaisons rutilantes, sorte d’hosanna aux accents d’adieu, endormi sous un épais manteau blanc pour un sommeil qui, eût-il été éternel, n’en aurait pas semblé moins rassurant, voluptueusement livré à la mollesse et au rêve mélodieux. Ils l’avaient agrémenté de personnages vêtus à la mode de leur époque, et édifié sans intention, sûrement, la pyramide des âges sous les berceaux de verdure, dans les raidillons, les terrains gazonnés, autour des bassins et des chalets. Sous leur pinceau, précis ou pressé, chiens de toute taille et coursiers racés, chevauchés par de non moins élégants cavalières et cavaliers, passaient avec nonchalance, donnant au spectateur l’impression que leur immobilité, de même que celle des personnages, d’ailleurs, n’était que momentanée et que bientôt, incessamment, ceux-ci comme ceux-là s’animeraient à nouveau.

Mais il n’y avait pas qu’eux. Poètes et romanciers avaient chanté cet espace qui pouvait évoquer une sorte de paradis, terrestre parce que livré à lui-même, alors que celui qui attend les justes doit se distinguer, non moins que par les joies spirituelles qu’il procure aux élus, par l’ordre et l’harmonie qui y règnent, sous l’œil vigilant d’anges jardiniers.

Encore un mot : une faune émouvante avait élu résidence dans ce domaine vaste et un peu embroussaillé. De l’écureuil, le roux, celui des illustrations de nos contes pour enfants, au renard voleur de balles, de poupées et de goûters, en passant par les chats revenus à l’état sauvage, les hérissons qui pouvaient échapper sous sa luxuriante protection aux hécatombes que les routes traversées leur faisaient subir et même les sangliers qui se croyaient sans doute dans d’anciennes forêts royales puisqu’ils s’y reproduisaient avec insouciance, l’endroit pullulait d’ombres furtives et silencieuses qui ajoutaient la teinte de leur pelage à celles des vieux arbres et des baliveaux. Mais c’est surtout aux oiseaux qu’appartenait le parc. Si ceux qui n’y faisaient qu’étape, mentionnés plus haut, en étaient les hôtes de passage, les pèlerins sur le chemin d’une destination religieusement fixée depuis toujours, leurs frères sédentaires étaient les maîtres de l’endroit. Babillards, gais, joueurs, ils jetaient à la face du ciel leurs notes heureuses et leur humeur légère que même la crainte des dangers ou la recherche de nourriture n’assombrissait pas. La joie consubstantielle à l’être, ils l’incarnaient, et renforçaient de la sorte la conviction de tous ceux parmi les promeneurs qui étaient persuadés que celle-là était le cœur impérissable de l’univers et son secret ultime.

Pies, geais, pinsons, étourneaux, grives, chardonnerets et mésanges, linottes et fauvettes, tourterelles et moineaux, ces derniers combien moins nombreux qu’autrefois, invisibles désormais sur les places et terrasses de la ville, et réfugiés ici, dans les branches, d’où ni les corbeaux ni les hommes ne les délogeaient, tous ils émerveillaient la vue et l’ouïe, formaient des chœurs et des corps de ballet auxquels nulle inquiétude ne résistait et aucune mélancolie ne finissait par céder.

Les cloches de la vieille église en brique rouge sonnèrent huit coups, qui eurent bien du mal à se faire entendre, tant le vent mugissait maintenant. Les promeneurs avaient déserté le parc depuis longtemps, se hâtant vers le logis pour se réchauffer et préparer le repas du soir. À les observer, on pouvait noter sur leur visage la double satisfaction d’avoir su profiter des charmes du parc avant que le temps se gâte et de s’apprêter à retrouver le confort auquel ils avaient aspiré la journée durant. Les amoureux, délaissant leurs bancs et les bosquets, où ils avaient créé des sphères étanches, opaques, faites de désir et de distance, les avaient rendus à leur condition de lieux ouverts à tout venant, à cet état d’abandon qui rend les choses et la nature si tristes quand l’homme s’en est détourné, mais les enfants dont les cris et les chansons avaient pourfendu l’air, qu’on avait vus courir après les pigeons dont la bourrasque soudaine avait ébouriffé les plumes, qui s’étaient ensauvagés au contact des nouvelles conditions climatiques, y puisant une énergie démoniaque et puérile qui faisait luire leurs prunelles d’un éclat inquiétant, presque sanguinaire, et décuplait la vitesse de leurs courses, la brutalité de leurs jeux dans le bac à sable et les allées, disparus, houspillés par les étudiantes ou les gouvernantes à l’ancienne auxquelles étaient confiés les enfants, eux, continuaient de marquer leur présence par des jouets oubliés, pelles et seaux, balles de tennis, et au pied d’un platane vénérable, une vache en peluche d’un rose encrassé par le chocolat des goûters et la sueur des nuits de fièvre.

Avant qu’une nouvelle heure s’écoule entièrement, le vent avait un tant soit peu cédé, comme si la mer, où il s’était levé, l’avait rappelé et qu’il avait obéi, parcourant à nouveau les terres, champs, villages, forêts et prés, et la place libre qu’il avait laissée ne l’était pas demeurée longtemps : un brouillard dense s’était répandu sur la ville et tout particulièrement à travers le parc, ne se contentant pas d’en occuper les allées et les clairières mais s’y frayant des passages entre chaque arbre et buisson. La pluie n’avait pas tardé à l’épaissir davantage, transformant les nappes mouvantes en substance poisseuse, bien plus froide encore que l’air ambiant, modifiant son caractère insinuant, insaisissable et le transformant en manifestation d’hostilité sans fard, de courroux gratuit, d’agressivité à l’égard de tout ce qui n’était pas lui. Il semblait vouloir s’employer à régler son compte au monde extérieur comme si son existence même constituait à ses yeux une provocation, un scandale sans nom.

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Vidéo de Emmanuel Moses
« Voilà bien des années – ce devait être en 1956 ou 1957 – quand j'avais moins de vingt ans, que j'étais marié et que je gagnais ma vie comme coursier chez un pharmacien de Yakima, petite ville dans l'est de l'État de Washington, je me rendis en voiture livrer des médicaments à une adresse du quartier huppé de la ville. Je fus invité à entrer par un monsieur alerte mais très âgé portant un cardigan. Il me demanda de bien vouloir l'attendre au salon pendant qu'il allait chercher son carnet de chèques. Il y avait un tas de livres dans ce salon. […] Pendant que j'attendais, jetant les yeux çà et là, j'avisai sur la table basse un magazine qui portait sur sa couverture un nom singulier et, pour moi, très surprenant : Poetry. Ébahi, je le pris. […] je pris aussi un livre, un truc qui s'intitulait The Little Review Anthology, édité par Margaret Anderson. […] Il y avait des tas de poèmes dans le livre […]. Qu'est-ce que ça pouvait bien être que tout ça ? me demandai-je. […] Quand le vieux monsieur eut fini de rédiger son chèque, il dit, comme s'il lisait dans mon coeur, « Emporte ce livre, fiston. Tu y trouveras peut-être quelque chose qui te plaira. Tu t'intéresses donc à la poésie ? Pourquoi ne prends-tu pas la revue aussi ? Peut-être écriras-tu toi-même quelque chose un jour. Dans ce cas, autant que tu saches où l'envoyer. » Où l'envoyer. Quelque chose – je ne savais quoi au juste, mais je sentis toute l'importance de ce qui se passait. J'avais dix-huit ou dix-neuf ans, le besoin d'« écrire quelque chose » m'obsédait, et je m'étais déjà essayé gauchement à deux ou trois poèmes. Mais il ne m'était jamais venu à l'esprit pour de bon qu'il puisse exister un endroit où l'on envoyait effectivement ces tentatives dans l'espoir qu'elles seraient lues et même, peut-être – si incroyable que cela semble –, prises en considération pour une publication éventuelle. […] Je remerciai le vieux monsieur à plusieurs reprises et quittai sa demeure. J'emportai son chèque à mon patron, le pharmacien, et Poetry et The Little Review chez moi. Et ce fut le commencement d'une éducation. […] Plus tard ce soir-là, la vue brouillée d'avoir tant lu, j'eus le sentiment distinct que ma vie était sur le point de connaître un changement significatif et même, qu'on me pardonne, magnifique. […] […] Et donc, quelle excuse existe-t-il pour avoir attendu vingt-huit ans ou plus avant d'en venir enfin à expédier un peu de mon travail à Poetry ? Aucune. Mais le plus étonnant, le facteur crucial, c'est qu'au moment où j'envoyai effectivement quelque chose, en 1984, la revue était encore là, encore vivante et en bonne santé, et dirigée, comme toujours, par des gens responsables dont le but était de continuer de faire tourner cette entreprise unique et d'en assurer le bon fonctionnement. Et l'une de ces personnes m'écrivit en sa qualité de membre de la rédaction, louant mes poèmes et m'annonçant que la revue publierait six d'entre eux le moment venu. […] Je n'étais qu'un jeune chien alors, mais rien ne peut expliquer, ou disqualifier, un tel instant : l'instant où la chose même dont j'avais le plus grand besoin dans ma vie – appelons-la une boussole – me fut généreusement offerte en toute simplicité. Rien qui approche même de loin cet instant ne s'est produit depuis. »
(Raymond Carver [1938-1988], Un peu de prose à propos de Poetry)
0:00 - Pluie 0:33 - Au moins 2:01 - Demain 3:08 - Dormir 4:07 - Compagnie 4:48 - À travers les branches 5:39 - Générique
Référence bibliographique : Raymond Carver, Volume 9, Poésie, traduit par Jacqueline Huet, Jean-Pierre Carasse et Emmanuel Moses, Éditions de l'Olivier, 2015.
Image d'illustration : https://www.gettyimages.fi/detail/news-photo/raymond-carver-news-photo/533531674
Bande sonore originale : Keys of Moon - Lonesome Journey Lonesome Journey by Keys of Moon is licensed under a CC BY 4.0 Attribution International
Site : https://www.free-stock-music.com/keys-of-moon-lonesome-journey.html
#RaymondCarver #Poésie #PoésieAméricaine
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