En ce bicentenaire de la mort de Napoléon, les éditions "Unique Héritage Éditions" ont eu la judicieuse initiative de publier ce "
Moi Napoléon", dont les illustrations et la création graphique de
Bruno Wennagel, ainsi que les textes de Vincent Mottez, rendent hommage à l'épopée de ce "militaire empereur". Je remercie chaleureusement les éditions Unique Héritage et Babelio pour cette Masse Critique et pour ce magnifique ouvrage que j'ai trouvé autant esthétique que passionnant.
Il fallait de l'audace, non seulement pour reconstituer les aspects majeurs de la vie de
Napoléon Bonaparte en 139 pages, mais en plus pour la présenter sous la forme d'un roman graphique au style sobre et pourtant très expressif. Je ne m'attendais pas à ça et j'ai beaucoup aimé !
C'était une sacrée gageur que de s'attaquer à un homme devenu légende, que trop souvent on résume, d'un ton réducteur, soit de despote tyrannique soit de brillant génie.
J'ai lu ce roman graphique d'une traite et c'est là sa qualité première : le contenu en fait un ouvrage d'histoire, mais sa forme le rend aéré et esthétique, synthétique et concis.
Le chapitrage par grande date majeure, (annonçant une grande bataille, un sacre, un mariage, un exil...) rend la lecture d'une Histoire, parfois complexe, particulièrement claire et abordable, même à des non-initiés, le tout découpé judicieusement et de façon rythmée. Que j'aurais aimé avoir en main cet ouvrage, et non les polycopiés indigestes et monotones de nombre de mes profs d'histoire à l'époque. Je n'aurais pas attendu 30 ans pour me découvrir une passion pour
L Histoire !
Les pages alternent entre grandes planches graphiques (grande illustration unique ou cases multiples), qui viennent souligner le propos historique, et une page de texte, qui s'appuie autant sur le fait historique que sur la psychologie de Napoléon qui grâce au "je" employé nous ouvre la porte de ses ressorts intimes.
En effet, ce roman nous fait côtoyer un homme dont on se sent forcément proche puisqu'il discourt à la 1ère personne, et nous entraîne dans une ascension fulgurante où l'on se voit Grognard à ses côtés, oreille attentive à ses confidences plus intimes sur ses blessures d'un très jeune Corse isolé sur le continent, fasciné par l'audace qui l'anime et l'aura qui l'entoure, admiratif de ses initiatives réformatrices mues par une intelligence que même ses détracteurs ne pourront lui dénier.
L'auteur met en avant les apports indiscutables d'une organisation administrative dont Napoléon dote la France (p.56) : "Je dote les départements de préfet, les districts deviennent des arrondissements, le canton est créé. J'irrigue la France d'une administration saine et efficace [...] Je crée le franc germinal et fonde la banque de France, à qui est conféré le monopole d'émission de billets, plus facile à faire circuler que l'or et l'argent. Après des années de gabegie, le budget est à l'équilibre."
L'auteur nous offre un inventaire des apports du Consulat et de l'Empire, en n'oubliant pas la création du Conseil d'État, des lycées, et du code civil bien évidemment. Il ne fait pas non plus l'impasse sur la volonté de Napoléon de fixer une paix civile qu'elle soit fondée sur les disparités politiques ou religieuses, car il lève le bannissement des aristocrates émigrés et pose fermement le principe de liberté des cultes.
Mais ce qui émeut le plus chez ce personnage qui nous invite dans son intimité, c'est tout à la fois cet amour profond et sincère pour sa patrie dont il place la grandeur au-dessus de tout, (et même au-dessus de la vie de ses hommes) mais aussi cette conviction dont il est entièrement pétri que celui qui se bat pour son pays, celui qui est valeureux et courageux, fut-il sorti du caniveau et va-nu-pieds sera toujours bien plus noble que le plus titré des aristocrates, hautains et présomptueux. Ce qui touche chez Napoléon l'homme, c'est ce sentiment d'égalité et de fraternité avec son peuple, quelque soit ses origines ou sa condition sociale (p.71): "C'est au camp de Boulogne-sur-Mer que je remets, pour la première fois, les croix de la Légion d'honneur aux soldats. Des larmes coulent sur les trognes de mes plus rudes grognards. Leurs poitrines, exposées au feu de l'ennemi, reçoivent l'insigne d'un respect éternel. J'espère que cet ordre me survivra et que l'on ne l'épinglera jamais au plastron du premier jean-foutre venu! D'or ou d'argent, cette croix symbolise la bravoure et l'excellence, la supériorité des mérites individuels sur les privilèges de la naissance. Voyez, Murat par exemple. Ce fils d'aubergiste est devenu maréchal d'Empire à mes côtés."
Opportunisme stratégique ou réelle motivation démocrate, on découvre un Napoléon à la main de fer mais toujours soucieux d'une égalité sociale et respectueux des cultures et des cultes (p.48) : "Comme en Italie, je me présente en libérateur, et non en sultan avide. Depuis mon quartier général au Caire, je multiplie les réformes au profit des autochtones, en matière de droit, de fiscalité et d'administration, avec le concours des notables égyptiens. En un mot, j'impose l'ordre. J'ordonne à mes soldats de se montrer respectueux des moeurs, comme jadis les Romains dans les provinces conquises. Je vais jusqu'à m'instruire des principes de la religion de Mahomet, qui, à bien des égards, n'est pas plus ridicule que la nôtre."
Ce n'est pas pour autant une ode aveuglée à la gloire d'un chef sans faille. Les faits sont relatés avec une objectivité historique qui ne prend pas parti, mais livre un personnage qui n'édulcore pas son côté le plus sombre. Un personnage qui peut être sans pitié et procéder aux sacrifices, notamment humains, que requière une victoire et que d'aucun pourraient qualifier de tyrannique. Et comble de l'ironie pour celui qui exècre les royalistes, il ne recule pas devant l'ultime contradiction de s'offrir les apparences d'un monarque en se faisant proclamer empereur ! (p.67): "Empereur, moi, l'ancien robespierriste ! Il faut toujours se réserver le droit de rire le lendemain de ses idées de la veille. Après tout, on peut très bien être empereur d'une république."
Mottez nous révèle un personnage épris des cultures étrangères mais qui tout en se targuant de laisser aux Egyptiens nombre de leurs trésors archéologiques, n'hésite pas au nom de la culture à leur en dérober d'autres pour les rapporter en France. Et pourtant, ne fut-il pas le meilleur promoteur de cette culture, lui qui fonda l'Institut d'Égypte et qui, accompagné d'ingénieurs et de cartographes, catalogua et promut la culture et l'art égyptiens, au point de faire décrypter les hiéroglyphes ? Tout est là dans ce paradoxe et ce roman met parfaitement en exergue cette dualité du personnage.
C'est en cela que Mottez et Wennagel réussissent leur pari, puisque ce roman graphique pourrait être comparé à une pièce dont une face constitue la légende dorée et l'autre son alter ego obscur...
L'empereur aime ses soldats, mais s'il fascine par son sens quasi arithmétique de la stratégie militaire, celui qui regarde les combats de loin à la lunette n'en oublie t-il pas que ces combattants qui suivent ses plans si brillants soient-ils, n'en restent pas moins des hommes et non des petits soldats de plomb, qui tombent sous ses ordres?
Un modeste bémol tout de même relatif à sa vie privée et familiale dont on sait qu'elle fut importante pour lui mais qui est malgré tout quasi absente de l'ouvrage. Ces quelques rares références à sa vie privée m'ont beaucoup moins convaincue. Sa relation avec Joséphine est légèrement abordée. Quant à
Marie Louise, un très court paragraphe se contente de faire l'affaire avec des réflexions qui m'ont semblé peu pertinentes. C'est tout l'écueil d'un ouvrage qui, s'il aborde à la 1ère personne et avec ingéniosité la vie publique de ce personnage, doit bien reconnaître ses limites à lui prêter des liens et sentiments en privé que l'on ne peut que supposer.
Je n'en garde pas rigueur à ce roman, qui s'axe donc principalement sur l'homme en tant que militaire et chef d'État, ce qui fut certainement sa motivation la plus fondamentale, voire obsédante, lui ce stratège hors pair, ce militaire audacieux et ambitieux, cet administrateur rigoureux qui voulait tant s'inscrire dans la lignée des plus grands : César, Alexandre le Grand, Hannibal et Charlemagne.
Un grand bravo à Messieurs Mottez et Wennagel, j'ai appris énormément de choses, en troquant l'ennui contre le plaisir !