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Critique de karmax211


"Un oiseau vient au monde et voilà qu'à la faveur de son premier envol il passe au-dessus des eaux de la mer. La lumière laisse entrevoir sous la surface les poissons aux écailles argentées. Ému par cette beauté inconnue, l'oiseau veut aller à leur rencontre et il tombe vers la mer. Mais les autres oiseaux, ses congénères, le rattrapent avant qu'il n'atteigne les vagues. "Non ! lui dit le plus sage, ne t'avise jamais d'aller vers ces créatures. Elles te sont étrangères en tous points et, les rejoignant, tu mourrais comme elles mourraient si elles nous rejoignaient. Nous ne sommes faits ni pour nous rencontrer ni pour vivre ensemble." L'oiseau obéit et va sa vie, mais toujours son coeur se tord à la vue de la mer. Taciturne, il ne chante plus. Jusqu'au jour où, pétri par un chagrin devenu trop lourd à porter, il songe qu'à une longue vie malheureuse il préfère un seul instant d'extase, et il referme sur lui ses ailes ! Et dans la bleuité du ciel, il tombe vers la bleuité de la mer pour en fendre la surface. le voilà sous l'eau, s'enfonçant vers l'abysse des lumières et dans le peu de temps qu'il lui reste, l'oiseau ouvre ses yeux ! Infinité de poissons multicolores ! Satin insoupçonné des abîmes ! Indicible beauté étrangère ! Son coeur s'enflamme ! Sa dernière heure approche, mais il ne s'en soucie plus, tout à son désir de l'autre, de ce qui est différent, et ce désir est si absolu, si immense, si spirituel, qu'à l'instant précis où la mort veut le saisir des ouïes lui poussent au cou ! Et il respire ! Il respire ! Et respirant, volant-nageant, il s'avance au milieu des poissons aux écailles d'or, de jade et de rose aussi subjugués que lui par eux, et, les saluant, l'oiseau prononce la parole magique : "Me voici ! C'est moi ! Je suis l'oiseau amphibie arrivant au milieu de vous, je suis l'un des vôtres, je suis l'un des vôtres !"
Il m'a semblé approprié de vous relater l'histoire de l'oiseau amphibie pour introduire cette présentation de la pièce de Wajdi Mouawad, car elle illustre à elle seule le propos de la pièce, à savoir notre quête d'identité et la recherche de nos identités perdues ou égarées.
Cette pièce que je n'ai pu que lire, c'est-à-dire que je n'ai pas eu la chance de voir jouer au théâtre, met en scène huit personnages... non en quête d'auteur, mais en quête d'eux-mêmes, perdus qu'ils sont entre ce qu'ils croient être et ne sont pas, ce qu'on veut leur faire croire qu'ils sont et qu'ils ne sont peut-être toujours pas, ce qu'ils voudraient être et qu'on leur refuse qu'ils soient, égarés dans un monde où les murs, les bannières, les barbelés, les check-points, les idéologies, les dogmes, les croyances, les religions, L Histoire s'érigent en parangons identitaires qui ne suffisent pourtant pas à étancher leur quête, tel cet oiseau irrésistiblement attiré par ce qui semble n'être pas lui et ne jamais pouvoir le devenir.
Ces huit personnages sont Eitan jeune juif new-yorkais, étudiant en statistiques, Wahida jeune étudiante new-yorkaise doctorante qui prépare une thèse sur Hassan Ibn Mohammed Al-Wazzân, diplomate de haut rang, enlevé par des pirates en 1518 au retour d'un pèlerinage à La Mecque et offert au Pape Léon X, Eden soldate israélienne, Leah grand-mère d'Eitan... elle vit en Israël, Norah belle-fille de Leah et mère d'Eitan, Etgar mari de Leah, beau-père de Norah et grand-père d'Eitan et père de David... il vit en Allemagne, David père d'Eitan, fils de Leah et d'Etgar, mari de Norah... ils vivent également tous deux en Allemagne, Wazzân personnage historique sujet de la thèse de Wahida.
Eitan, le juif rencontre Wahida, l'arabe... c'est le grand amour.
Ils vivent à New York.
Eitan fait venir ses parents ( David, Norah et Etgar) qui vivent en Allemagne, à New York, pour leur présenter Wahida l'amour de sa vie avec laquelle il veut se marier.
C'est le clash.
Entre l'orthodoxie de David son père, le soutien de Norah sa mère à son époux et ce malgré son passé de communiste de l'ex-RDA et donc pro-palestinienne et l'attitude ambiguë d'Etgar rescapé de la Shoah... ils se quittent sur un constat d'échec et une énième brouille.
Eitan se rend en Israël pour rencontrer Leah sa grand-mère.
Il est accompagné de Wahida qui veut profiter de ce voyage pour se rendre en Jordanie et dans d'autres pays musulmans... sur les traces de Wazzân le "personnage" de sa thèse.
Ils font partie des victimes d'une attaque terroriste.
Eitan est hospitalisé dans le coma.
Wahida prévient Leah et les parents berlinois d'Eitan.
Tous se retrouvent en Israël au coeur de l'affrontement entre Israéliens et Palestiniens.
Les masques vont tomber. Chacun va devoir faire face à ses vérités et à ses mensonges.
Que leur réserve cette recherche d'identité après laquelle ils couraient tous et qui désormais s'impose à eux ?
Une pièce que j'aurais vraiment voir aimé jouer sur scène.
Qui sait ?
Plus que du théâtre, l'art de Wajdi Mouawad, c'est de mêler poésie, réalisme, à ce qui apparaît à la lecture de son oeuvre comme relevant également du cinéma.
Le propos est intelligent, lourd, touchant, et ce, dans un ensemble où se mêlent les langues, les espaces-temps, où le poids de l'Histoire est omniprésent.
Autour du conflit israélo-palestinien plane la mémoire toujours vivace de l'holocauste, et l'auteur à travers - Tous des oiseaux - nous montre son pessimisme face à ce drame fait pour durer.
Les clés, peut-être pas toutes, certaines tout au moins, sont là et pourraient permettre d'ouvrir des portes entravées par des oiseaux sans ailes.
La présence, la vie, l'expérience et le legs à l'Histoire de Wazzân est une de ces clés...
J'espère ne pas avoir été trop confus, mais j'avoue qu'à défaut d'avoir vu la pièce au théâtre... il me faudra la lire et la relire... tant sa structure et son propos sont plus complexes que ce que ma pauvre présentation s'est évertué à essayer de montrer.
Du très grand théâtre !
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