Joanny Moulin a écrit une grosse (570 pages) biographie de la reine Victoria assez particulière. En effet, elle est en grande partie construite à partir de son journal et de sa correspondance. Nous n'avons donc pas entre les mains une analyse pointue pour historiens chevronnés ou universitaires, mais un ouvrage plutôt grand public qui permet de survoler toutes les problématiques du XIXe siècle, avec le point de vue de la principale actrice de cette époque.
De nombreux thèmes sont ainsi abordés dont la constitution de l'immense empire britannique grâce à une colonisation, souvent sanglante, menée par l'armée et la Compagnie des Indes Orientales. L'expansion à marches forcées a touché principalement l'Afrique (Egypte, canal de Suez, la guerre des Boers en Afrique du Sud, la guerre contre les Zoulous…) et toute l'Asie du Proche-Orient jusqu'en Inde et l'Extrême-Orient (guerres de l'opium et révolte des Cipayes en Chine, guerres anglo-afghanes…).
On assiste également à la guerre de Crimée, à la montée en puissance en Europe de la Prusse qui va déboucher sur la guerre de 1870 (puis les deux guerres mondiales au siècle suivant). du point de vue économique puis social, la grande affaire est la révolution industrielle basée sur l'exploitation des mines de charbon par une nombreuse population ouvrière survivant dans la famine et le dénuement le plus total.
Les années 1820 sont également le point de départ du « problème irlandais », simple problème politique au départ, il va s'aggraver dans les années 1830-40 avec la Grande Famine qui décime l'île et qui va faire naître le mouvement insurrectionnel indépendantiste.
Comme je l'ai écrit plus haut, ce n'est pas un essai sur l'ère victorienne mais une biographie sur Victoria à partir de ses écrits. Et ce sont eux qui me la rendent plutôt antipathique. Alors qu'elle vit aisément dans un monde rempli de nécessiteux, elle n'a pas tellement, hormis pour ses soldats, de compassion pour ses compatriotes des classes inférieures, pour les européens et encore moins pour les populations des pays colonisés, ravagés par ses armées.
Issue d'une lignée comportant des mâles assez dérangés mentalement, elle a pour elle d'être à peu près stable de ce côté, si on excepte sa propension aux terribles crises hystériques qui faisaient fuir ses domestiques et son époux le prince consort Albert de Saxe-Cobourg. Leur fils aîné, le futur Edouard VII, sera d'ailleurs quant à lui un enfant assez attardé qui montera sur le trône à soixante ans après une vie scandaleuse passée dans la débauche et qui faisait le malheur de ses parents.
Cette biographie permet de s'apercevoir de la vacuité de la vie du monarque dans une monarchie parlementaire puisqu'il n'a pas de pouvoir politique et ne peut exprimer ses opinions politiques. Son unique « utilité » semble être, à chaque chute du gouvernement, de nommer le Premier ministre issu du camp majoritaire au Parlement. C'est pourquoi, la vie de Victoria n'est remplie que d'inaugurations, de passages en revue d'armées, de cérémonie de décoration de vétérans, de voyages sur le voilier royal, et de vacances dans les demeures royales dont surtout Balmoral dans les landes écossaises.
L'auteur m'a très vite perdu en employant les surnoms utilisés par Victoria dans sa correspondance pour nommer les membres de sa nombreuse famille (neuf enfants donc neuf conjoints, une multitude de petits-enfants et d'arrière-petits-enfants) plutôt que leurs noms. On se retrouve bien vite avec des phrases comme : « En revanche, Liko et Bébé fument comme des pompiers, ce que la reine trouve absolument dégoûtant. » Comme les surnoms n'ont rien à voir avec les patronymes véritables, on doit sans cesse se référer aux deux pauvres arbres généalogiques en fin d'ouvrage pour essayer de comprendre de qui on parle. Arbres généalogiques d'ailleurs incomplets puisqu'ils ne font référence qu'à quelques petits-enfants. Dans la phrase citée ci-dessus, « Liko » renvoie à Henry de Battenberg (rien à voir avec le surnom) et « Bébé » à Béatrice, la dernière fille de Victoria.
Au final, cette biographie de Victoria n'est qu'une entrée en matière pour qui voudrait réellement s'intéresser à cette reine et à l'ère victorienne.