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Critique de Apoapo


"La question cardinale est de savoir pourquoi, en ce début du XXIe siècle, dans l'un des pays les plus riches de la planète, le problème est moins de trouver un emploi sans diplôme que de ne pas en trouver à cause de ses diplômes." (p. 72-73)

Et de répondre, dans un cadre théorique appelé "principe de moins-value sociale" en référence au fameux concept marxien de "plus-value résiduelle" (du travail salarié) : "Quand un parcours éducatif ne correspond plus à la finalité qui lui a été assignée à sa création - par la multiplication des titulaires ou par l'inadéquation de la formation à l'environnement global -, le statut symbolique lié à ce niveau d'études devient un facteur d'autodestruction personnelle et le frein à l'intégration dans la société réelle." (p. 71)

Cet ouvrage, né sans doute sous l'influence des manifestations contre le CPE (printemps 2006) et avant le choc de la réforme de l'université dont il n'est donc pas du tout question, dénonce à la fois le marché du travail qui exclut et paupérise les diplômés et sur-diplômés des universités (grâce est encore accordée aux diplômés de quelques grandes écoles et des écoles de commerce, pour combien de temps?), de même que l'université qui demeure ancrée à son archaïsme, selon lequel sa fonction professionnalisante est tout à fait secondaire, car elle posséderait en elle-même les raisons suffisantes de sa perpétuation ; d'où une incapacité frôlant la mauvaise foi à orienter les étudiants autrement que vers la poursuite des études comme fin en soi, ou, pire, leur faisant miroiter une carrière universitaire très hautement improbable vus les chiffres de fréquentation actuels.
Le parcours semé d'illusions et de connaissances-supputations erronées commence avec le bac, conçu comme clé d'entrée à l'université, cette inconnue touffue d'offres de formation. Car, dans la logique de la massification (démagogiquement nommée "démocratisation") et du consumérisme, "L'offre d'éducation, assez boulimique, correspond parfaitement à cette sorte de supermarché permanent de la société où l'on consomme au nom de la seule morale sociale qui compte : celle d'épuiser les stocks. La machine éducative doit être, dans cette perspective, totalement productiviste [...] en ce sens, c'est moins le produit fini qui importe que la massification de l'offre." (p. 9-10)
En parallèle avec son apprentissage intellectuel, l'étudiant fait précocement un solide apprentissage de la précarité par une fréquentation du secteur professionnel et marchand dans ses aspects les moins festifs dits "jobs étudiants", afin de payer ses études ; ensuite il en perfectionne l'expérience par la pratique du travail sous-rémunéré légalement, sous forme de stages en entreprise. de plus, à mesure que se prolonge la durée de sa vie universitaire, il s'éloigne de la probabilité de l'embauche, d'une part pour des raisons d'âge, d'autre part par ses propres résistances psychologiques et culturelles d'éloignement du monde de l'entreprise (il se socialise donc efficacement aux normes universitaires !), que celui-ci lui rend au centuple par ses propres a priori à l'égard du sur-diplômé qui "fait peur". Reste la manne (??!) des concours publics, où la sur-qualification est devenue aussi monnaie courante. (Il y aurait parmi les magasiniers de la BNF presque autant de docteurs que parmi les lecteurs usagers...!)

L'on perçoit, tout au long de l'essai, que la conception de l'université comme un service publique qui se targue d'être ouvert au plus grand nombre et se défend absolument d'être sélectif (peut-être est-ce dû à Mai 68 ou à la lecture de Pierre Bourdieu et de ses "héritiers" ?) est sans cesse critiquée et condamnée. D'autant qu'une auto-sélection peut-être encore plus injuste (car fondée sur des critères extra-universitaires) s'opère de toute façon comme conséquence de la vie dédoublée entre études et activité salariée (p. 64) et que la philosophie du libre choix de formation (en province) est un véritable leurre lorsqu'il y a contrainte économique à choisir une filière d'enseignement en fonction de sa proximité du domicile et du travail (ce qui sera de plus en plus vrai suite à la fameuse réforme).
Chiffres à l'appui et par une perspective "intérieure" d'administrateur d'université qui trouve rarement d'échos dans la presse et en général en dehors de l'alma mater, l'auteur décortique donc les avatars du parcours d'aliénation socio-professionnelle des étudiants, jusqu'à leurs infortunes finales. J'aurais souhaité que l'analyse se concentre surtout à partir de ce moment-là, comme le titre me le laisser entendre, mais je suis conscient que la pratique de la veille socio-professionnelle des "anciens" à l'issue de leur cycle de formation, pratique courante des grandes écoles (pour de toutes autres raisons...) ainsi que des grandes universités étrangères, n'est presque pas adoptée en France. A n'en point douter, elle provoquerait de très fâcheuses surprises, voire des difficultés de financement pour certaines filières...
Cette enquête inquiétante pour tous ceux qui ne connaissent pas ce milieu (ou qui l'ont quitté il y a longtemps) est très importante et mérite la plus grande diffusion ; hélas, personnellement, les contenus appris ainsi que le plaisir que j'en ai retiré à la lecture ont été inversement proportionnels à la familiarité que j'ai de ces sujets douloureux...
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