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EAN : 9782897193393
180 pages
ECOSOCIETE EDITIONS (01/08/2017)

Note moyenne : /5 (sur 0 notes)
Résumé :
Écrit dans le sillage de penseurs du soupçon (Marx, Nietzsche, Freud) et de leurs contemporains, Les stratèges romantiques cherche à repenser les questions qui touchent l’existence (le temps, le désir, la religion, l’amour, la vie, la mort) afin de rouvrir les possibles d’une action politique authentiquement émancipatrice.

S’inscrivant dans la tradition du romantisme émancipateur qui entend prendre le contre-pied d’un monde utilitariste et marchand, P... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Ne jamais cesser de rêver


Dans son introduction Michael Löwy (dont je rappelle l'ouvrage écrit avec Robert Sayre : Révolte et mélancolie. le romantisme à contre-courant de la modernité) souligne un fil conducteur : « la proposition novatrice et originale d'une stratégie romantique, d'une forme de pensée et d'action à la fois réaliste et sensible, rationnelle et enchantée ».


Le romantisme, une vision du monde dans divers domaines, dont la culture et la politique ; « la révolte, la protestation culturelle contre la civilisation capitaliste moderne au nom de certaines valeurs du passé » ; une protestation contre la mécanisation, la dissolution des liens « communautaires », la quantification des rapports sociaux. Peut-être. Si des possibles passés enfouis et déniés peuvent inspirer au futur, « renaissance des espérances si longtemps retardées » (Michèle Riot-Sarcey), si des espaces historiques de mise en commun dessiner des lendemains, les « valeurs du passé », les « communautés » doivent aussi être interrogées dans leur complexité (relations statutaires, répétitions temporelles, poids d'éléments non choisis, refus de l'essentialisation, etc.). Comme l'indique Michael Löwy, il convient de faire la différence entre le rêve d'un « retour au passé » et le « détour par le passé communautaire pour aller vers l'avenir utopique ».

Contre la fragmentation, la dispersion, l'atomisation, inhérentes au système capitaliste – son autre face étant une unificatrice socialisation modelée par la marchandise et son fétichisme – il est plus que souhaitable de rechercher la «possibilité d'unifier » dans des collectifs émancipateurs, d'assurer la convergence, la concentration des protestations et des révoltes, bref… des tâches de « stratège »… pour autant que l'auto-organisation démocratique soit au coeur des pratiques.



« C'est en voulant aller sur le fond et en souhaitant prendre les choses à la racine que cet essai sur les désordres du monde contemporain et les moyens d'y remédier est né » écrit Pierre Mouterde en entame de son préambule « Tenter d'avoir la vue qui porte loin ». L'auteur rompt avec les incarnations du néolibéralisme dans « une vision réductrice et unidimensionnelle de l'être humain ». Il parle, entre autres, des atteintes à la « subjectivité première », du temps, du désir, de l'amour, de la mort, etc. et y oppose « des stratégies susceptibles de rassembler de larges majorités et de mettre un holà au cours si chaotique pris aujourd'hui par nos sociétés contemporaines ». Cela passe aussi par l'exploration de chemins de traverse ou le questionnement de sujets trop souvent négligés, des réponses – ensemble – aux « sourdes angoisses » individuelles et collectives.

« D'où la figure du stratège romantique qui sert de fil à plomb à cette série d'essais pluriels et qui symbolise – à travers les contradictions et tensions mêmes qu'elle peut évoquer – l'importance de ces révolutions à effectuer dans le domaine de l'existence et de l'agir collectif ». Une démarche tendue vers les voix des oublié-e-s d'aujourd'hui, en lien avec les héritages enfouis, les possibles engloutis par la modernité capitaliste.

Dans les limites de mes compétences (je ne fréquente guère certains auteurs cités), en négligeant certaines divergences, je vais souligner quelques analyses et questionner certains points. Une déambulation sans mélancolie. Je signale que chaque chapitre commence par des touches plus personnelles ou subjectives, donnant un coloration particulière aux développements de l'auteur.

Sommaire:

Préface de Michael Löwy

Préambule : Tenter d'avoir la vue qui porte au loin

Introduction : À la recherche d'hommes et de femmes qui parlent

Chapitre premier : Une époque sens dessus dessous, un monde fragmenté et massifié

Chapitre 2 : La flèche du temps et l'impérieuse question du sens

Chapitre 3 : le chant du désir et sa profondeur créatrice

Chapitre 4 : le cri des religions et leurs propositions de sens et de liens

Chapitre 5 : Les puissances de renouvellement de l'amour

Chapitre 6 : Les stratèges romantiques et les vertus d'une intervention sociopolitique renouvelée

Conclusion : Une époque marquée par la figure de la séparation

Un « homme qui parle », un shaman, la soif de paroles et d'histoires, l'horizon.

« C'est là le point de départ de cet essai : le temps, la vie et la mort, le désir, en somme ce qui reste toujours à l'horizon de l'existence humaine individuelle, ne faut-il pas, dans un tel contexte, y prêter plus d'attention qu'on ne le fait habituellement, en particulier lorsqu'on se situe à gauche ? »

A l'opposé de la sécheresse de l'objectivisation et de la quantification marchande, les désirs – pour autant que soit prise en compte leur historicité et leurs constructions sociales – l'aspiration au bien-être, au mieux-être, au devenir. Et comment aborder ces questions – qui ne sauraient relever du privé – sans renouer avec la politique, comme action d'auto-émancipation. La politique, ses dimensions pratiques, ses incarnations « dans des êtres faits de chair et de sang », son enracinement dans le présent historique et les hypothèses stratégiques. « Car si le stratège sait que l'univers se reconnaît au fait qu'il est d'abord façonné de luttes et de combats (« le combat est père et roi de toutes choses », disait Héraclite !), il est aussi capable d'embrasser les horizons lointains et de porter la vue au loin, en ne se laissant pas enfermer dans le particulier et en tendant à l'universel. »

Il nous faut donc creuser dans « la profondeur d'une longue histoire oubliée », redonner la parole aux vaincu-e-s d'hier, aux oublié-e-s, aux sans voix, combiner « les vertus de la stratégie à celles d'une philosophie authentique de l'émancipation », mettre en perspective l'importance de certaines dimensions de l'existence humaine.

Nos mondes à la fois fragmentés et massifiés, la coexistence d'Etats puissants et de zones de non-droit et de misère, une nouvelle échelle spatiale et temporelle, une généralisation du mode de régulation néolibérale, les effets d'un système sur « sur les collectivités humaines elles-mêmes et plus particulièrement sur leurs subjectivités agissantes, en somme sur leurs capacités réelles à se constituer en une force politique transformatrice capable de s'autodéterminer chaque fois plus par elles-mêmes »

La fragmentation et ses impacts,« les ponts permettant de dégager une grille d'analyse commune sont de moins en moins solides et de plus en plus éclatés », les nouvelles expériences spatio-temporelles, les conformismes et les embrigadements, la massification et l'unification obligée et autoritaire, les contradictions entre socialisation et privatisation, la nouvelle religion du marché, les rapports de commandement hiérarchique, « La régulation néolibérale aujourd'hui à l'oeuvre ne consiste en effet pas simplement à réorganiser sur le plan économique le capitalisme en le délestant de toutes ses régulations et limitations passées. Elle consiste aussi à proposer positivement un nouveau mode de régulation de la vie sociale prise dans son ensemble, mais pensée à partir de la seule figure de l'individu, et plus particulièrement de l'individu entrepreneur », l'expansion du fétichisme de la marchandise… Les tentations identitaires, le narcissisme généralisé, le développement du masculinisme et du suprématisme blanc, l'essentialisation de normes sociales fantasmées… « l'absence ou la mise en sommeil d'un authentique projet d'émancipation sociale et politique rassembleur engendre des monstres tant sur le plan de la vie collective la plus vaste que sur la scène individuelle la plus intime ».

L'illusion de la linéarité du « progrès », le temps brisé et retrouvé (curieusement l'auteur ne parle pas de Marcel Proust), « Une vie, ré-ouverte vers l'à-venir et ses possibles, mais aussi plus enracinée que jamais dans les souvenirs du passé », le temporel de la vie de chacun-e, les perceptions subjectives du temps, les « discordances du temps » (Daniel Bensaïd), les injonctions au présent et l'« écrasement du temps dans l'immédiat », Walter Benjamin, le retour des aspirations oubliées des vaincu-e-s du temps passé, « le présent ne revêt du sens que parce qu'il est relié au passé et qu'il peut ainsi préparer l'avenir, le réouvrir au devenir, à la vie et à ses possibles », le refus des regrets nostalgiques, l'histoire et la politique, la projection des projets dans l'avenir.

L'histoire n'est ni préétablie, ni toute faite, les vaincu-e-s d'hier et d'aujourd'hui peuvent se saisir des possibles inscrits et de leurs contradictions, délivrer « les potentialités oubliées » ou émergentes, le toujours inachevé peut être bonifié par l'« action collective transformatrice »

Le chant du désir. Il ne me semble pas possible de traiter du désir – sans pour autant le réduire au sexuel sans parler du sexe du désir, du sujet/objet, du narcissisme, de droit de jouir des droits et de la jouissance…

Pierre Mouterde aborde, entre autres, « l'expression possible de notre redéploiement éventuel en tant que sujet créateur », les mystérieux arcanes du désir, les besoins médiatisés, les constructions historiques, « Désirer, c'est toujours mettre en jeu son être, et non seulement le sien, mais au passage celui d'une époque entière ! ».

Le désir naît, devient, se façonne au fils du temps et des expériences. Il est profondément individuel et pourtant pleinement social. Sa plasticité se heurte aux dominations, mais reste une « affaire d'imaginaire », de « rêves éveillés », de fantasmes » plus ou moins en lien distendu avec les réalités.

Aujourd'hui « mis en tutelle, capté, uniformisé, arraisonné, massifié », contraint par des interdits de toutes sortes, décliné en « tabou », enrôlé, normalisé, standardisé, discipliné – voir à ce sujet le rôle de la pornographie, comme le souligne l'auteur – il ressurgit pourtant comme une condition de notre existence, un sens de notre liberté, une expérimentation permanente, une attente… Comment donc changer la vie, notre vie ?

Une question préalable au chapitre sur la « religion ». Comment oublier le processus de sécularisation qui se manifeste sous des formes diverses à travers le monde ? C'est dans ce cadre que l'on peut, à mes yeux, aborder les renouveaux religieux, y compris sous leurs formes violentes, hindouisme identitaire, sectes évangélistes, islamisme intransigeant, « orthodoxies » diverses, etc.

Pour le reste, je préfère en rester à deux phrases de l'auteur : « En fait, si l'on veut comprendre le fait religieux de manière globale et dans toutes ses dimensions contradictoires, on doit être capable de le mettre en perspective, de le replacer dans son contexte historique et social, seule manière d'en apprécier les potentiels aliénants ou libérateurs » et surtout « Révélant ainsi que la racine du religieux se trouve en fait hors du religieux et que ce n'est donc pas dans le domaine du religieux qu'il faut d'abord agir si l'on souhaite en voir dis- paraître les traits les plus problématiques ».

Je n'ai rien à dire sur les « croyances » des un-e-s et des autres. Et si la laïcité reste le cadre de la liberté de conscience et de pratiques (ce qui reste impossible lorsque la religion est d'Etat ou lorsque la religion et le pouvoir sont imbriqués), celle-ci ne peut prendre la forme d'une contrainte institutionnelle assimilationniste ou d'un « athéisme de pacotille », mais bien une expression de la volonté collective d'inscrire les un-e-s et les autres dans un projet citoyen émancipateur…

Amour. Comment aborder cela sans prendre en compte les rapports sociaux de sexe, la contrainte à l'hétérosexualité ?

Aux indications de l'auteur, « C'est reconnaître aussi que les formes de la société à laquelle j'appartiens vont inévitablement interférer sur la façon dont je suis en train d'aimer. Avec tout ce que cela peut impliquer en termes de tabous, de contraintes et d'interdits d'origine sociale ainsi que de rapports sociaux inégalitaires préexistants, par exemple entre hommes et femmes. Mais aussi avec tout ce que cela peut impliquer en termes de conceptions philosophiques ou éthiques de l'amour, devenues au fil du temps largement hégémoniques dans le paysage culturel d'une époque donnée », j'oppose une sourde interrogation : et si l'amour même n'était qu'une forme de cristallisation des rapports sociaux de domination ?, une illusion à la fois invalidante et porteuse d'espérance ?

Au delà de ces brèves remarques sur ces chapitres, chacun-e pourra profiter des propositions de l'auteur.

Avant de conclure, Pierre Mouterde redéploie des questionnements sur « les vertus d'une intervention sociopolitique renouvelée », les stratèges romantiques, l'actuel manque d'alternatives sociales, la force commune des dominé-e-s (il utilise le terme de « subalternes »), le « pouvoir de l'affirmation de soi, et partant la possibilité de faire leur propre histoire », l'art de rendre les choses possibles, les projets collectifs et alternatifs, les luttes démocratiques, « imaginer cette nouvelle lutte sociale et politique sur le mode de la constitution/reconstitution d'un pouvoir contre-hégémonique chaque fois plus présent au sein de la société contemporaine… »

Dans le monde actuel, les forces nées de notre travail nous sont donc largement étrangères. En conclusion, l'auteur revient sur cette « séparation », sur ce qui nous rend « étranger à nous même ». Et contre les constructions historiques porteuses de domination ou de négation du caractère social des êtres humains, il indique : « Non, la véritable radicalité aux temps présents consiste bien plutôt à reconstruire – sur la base de toutes ces oppressions et dépossessions prises soigneusement en compte – des liens pensés comme libérateurs, et par conséquent à reconstituer des forces collectives qui soient authentiquement émancipatrices et permettent de commencer à en finir pratiquement avec les oppressions et dépossessions qui continuent à nous hanter. ». Des liens, du sens, des horizons du devenir individuel et collectif…

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Lien : https://entreleslignesentrel..
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Non, la véritable radicalité aux temps présents consiste bien plutôt à reconstruire – sur la base de toutes ces oppressions et dépossessions prises soigneusement en compte – des liens pensés comme libérateurs, et par conséquent à reconstituer des forces collectives qui soient authentiquement émancipatrices et permettent de commencer à en finir pratiquement avec les oppressions et dépossessions qui continuent à nous hanter.
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La régulation néolibérale aujourd’hui à l’œuvre ne consiste en effet pas simplement à réorganiser sur le plan économique le capitalisme en le délestant de toutes ses régulations et limitations passées. Elle consiste aussi à proposer positivement un nouveau mode de régulation de la vie sociale prise dans son ensemble, mais pensée à partir de la seule figure de l’individu, et plus particulièrement de l’individu entrepreneur
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Car si le stratège sait que l’univers se reconnaît au fait qu’il est d’abord façonné de luttes et de combats (« le combat est père et roi de toutes choses », disait Héraclite !), il est aussi capable d’embrasser les horizons lointains et de porter la vue au loin, en ne se laissant pas enfermer dans le particulier et en tendant à l’universel.
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C’est là le point de départ de cet essai : le temps, la vie et la mort, le désir, en somme ce qui reste toujours à l’horizon de l’existence humaine individuelle, ne faut-il pas, dans un tel contexte, y prêter plus d’attention qu’on ne le fait habituellement, en particulier lorsqu’on se situe à gauche ?
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En fait, si l’on veut comprendre le fait religieux de manière globale et dans toutes ses dimensions contradictoires, on doit être capable de le mettre en perspective, de le replacer dans son contexte historique et social, seule manière d’en apprécier les potentiels aliénants ou libérateurs
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