A la suite de la lecture commune de "
La conversation de Bolzano", de
Sándor Márai, Athalie et moi nous sommes mutuellement interviewées...
(Attention, si vous n'avez pas lu ce roman, mes réponses aux cinquième et dernière questions comportent des spoilers...)
Aurais-tu aimé rencontrer ce Casanova ? Pourquoi ?
Oui, parce que l'auteur dépasse l'image de séducteur que l'on associe au personnage, pour en faire un Casanova "sur le retour", dont le corps révèle ses premières trahisons, qui réalise l'ampleur de sa solitude... Il incise ainsi la brillante carapace du mythe, le ramène à son statut d'homme, et le rend à la fois intéressant et touchant.
J'ai d'ailleurs trouvé son choix plutôt malin : en faisant de Casanova son héros, il met d'emblée le lecteur dans un certain état d'esprit -on s'attend de la part du personnage à certaines postures-, pour déconstruire ensuite cette première image qu'il lui a mise en tête...
Comment t'es-venue l'idée de lire ce livre ?
J'ai lu d'autres titres de
Sándor Márai, qui m'ont tous plu, malgré leurs différences -ou grâce à elles, d'ailleurs- et "
La conversation de Bolzano" faisait partie de ceux que m'ont conseillé plusieurs blogueurs... ta proposition de LC -tu le sais, je ne te refuse jamais rien, parce que tu as toujours de bonnes idées-, a fait le reste ! Sans cela, je ne me serais sans doute pas tournée spontanément vers ce titre, dont la thématique ne m'attirait pas vraiment...
Si tu devais résumer l'histoire en trois phrases ?
Casanova vient de s'échapper, en compagnie d'un moine défroqué, des Plombs -la prison- de Venise, où, au nom de l'honneur et de la vertu, il était incarcéré pour cause de moeurs dissolues. Lors d'une halte à Bolzano, il reçoit la visite de Francesca, une femme qu'il a jadis séduite, puis celle du vieux comte auquel elle est mariée, qui lui propose un étrange marché...
Que penses-tu du personnage principal ?
Avant de pénétrer son intimité, nous le voyons comme quelqu'un qui suscite chez ceux qui l'approchent ou le côtoient des sentiments ambivalents, entre horreur et fascination. Et comme tous ceux qui sont entourés d'une aura de légende, il est même l'objet d'une certaine obsession -qui se fait chez les femmes un peu fiévreuse- alimentée par la rumeur et les fantasmes liés à sa réputation d'homme libre et jouisseur, refusant de se soumettre à toute autorité politique ou morale. Et le récit conforte dans un premier temps cette image, en mettant en scène sa faconde et son emphase, sa propension à l'emportement, qui se traduit par des emballements verbaux un peu présomptueux.
Assez vite, l'image se ternit un peu, à l'évocation de son physique vieillissant et peu avantageux, de ses dents jaunies, de sa mauvaise haleine. On le trouve alors un peu ridicule, pathétique, on se dit que son soi-disant charisme n'est en effet qu'un mythe, qu'il est surestimé, comme le démontre d'ailleurs sa tentative de séduction avec la première servante venue...
Et puis,
Sándor Márai s'aventure au-delà des apparences, délaisse le mythe pour mettre au jour les failles de son personnage, auquel il rend ainsi une certaine beauté, mais auquel il donne surtout une réelle consistance. On découvre ainsi, sous l'orgueilleuse exubérance, la peur et l'écoeurement, qui surviennent par crises, parce qu'il prend conscience de la vacuité de son existence. C'est en réalité un homme tiraillé entre sa soif d'aventure et de tumulte, sa quête de sensations et de défis qui le portent vers des plaisirs fugitifs, sans cesse renouvelés, et son rêve refoulé car inatteignable d'absolu, que concrétiserait un amour complètement désintéressé, un don total de soi sans aucune attente en retour.
Quelle est la plus grande qualité de ce livre ?
L'écriture de Márai, sans hésiter. Notamment ces longs dialogues dans lesquels il parvient à mêler fougue et profondeur.
J'ai aussi particulièrement aimé la toute dernière partie du roman. Avant d'y parvenir, le personnage de Francesca nous livre une belle déclaration d'amour, portée par l'abnégation d'une femme qui offre tout à celui qu'elle aime, prête à s'oublier elle-même, à renier ses propres désirs pour permettre à l'autre d'assouvir les siens, et de jouir d'une liberté totale... Il ne s'agit pourtant pas, selon moi, de la plus belle des déclarations d'amour exprimée dans "
La conversation de Bolzano". Car tout donner à l'autre ne revient-il pas à le lier, à le rendre responsable de ce à quoi on a renoncé ? La plus belle n'est-elle pas celle, ultime et silencieuse, de Casanova, qui, conscient de ce qui lui offre Francesca (et qui répond à son secret désir d'absolu), tait son propre amour pour la sauver de lui-même ? Parce qu'il est conscient qu'il ne saurait la rendre heureuse, il renonce à elle, la libérant d'un avenir qui la rendrait prisonnière de sa promesse, contrainte de subir la nature aventureuse de Casanova aux dépens de son propre épanouissement.
Quel est son plus grand défaut ?
Je ne lui ai pas trouvé de réels défauts, mais si je devais exprimer un bémol, je dirais que certains passages m'ont paru un peu trop bavards...
A-t-il des points communs avec les autres titres que tu as lus de cet auteur ?
Oui, on retrouve dans "
Les braises" et dans "
L'héritage d'Esther" ces longs dialogues sous forme de confrontations, qui sont à chaque fois pour l'auteur l'occasion de décortiquer les mécanismes qui déterminent les relations entre ses personnages, d'exhumer les tensions et les rancunes qu'ils nourrissent l'un vis-à-vis de l'autre.
Combien de mails ont été nécessaires pour la publication de cette note peu commune ?
Je ne sais plus ! On l'a initiée il y a maintenant plusieurs semaines, les vacances sont passées par là, et comme nos mails sont autant l'occasion de se donner des nouvelles -de nos enfants, de nos chats, de nos lectures en cours- que d'évoquer l'organisation de la LC... mais c'est, je crois, le choix de la forme sous laquelle nous allions présenter cette LC qui a nécessité le plus d'échanges, non ?
Aurais-tu aimé être Francesca ?
Au moment où s'achève le roman, non. Elle est rejetée par celui qu'elle aime après lui avoir offert jusqu'au reniement d'elle-même... mais bon, elle est jeune, son riche époux est sur le point de mourir, et Casanova l'a en réalité empêchée de s'engager dans une relation qui aurait fini par lui être toxique : son avenir ne s'annonce pas si mal !...
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