Le Maître du rêve-fantôme

MUDROOROOO
Le Maître du Rêve-Fantôme
Ed. de l'Aube
195 pages

J'ai en main un petit livre de 195 pages format poche. Son titre est « Le Maître du rêve-fantôme » et son auteur s'appelle Mudrooroo.

Je l'ai commencé dans la soirée et j'ai consacré une bonne partie de la nuit pour le terminer. Cela ne m'arrive qu'avec des textes exceptionnels. Il l'est.

Son auteur, un écrivain aborigène né en 1938 sous le nom de Colin Johnson – Mudrooroo (« arbre à papier » du bush) étant un patronyme aborigène qu'il a adopté sur le tard - est l'enfant d'un chercheur d'or marié avec une métisse. Ni Blanc ni Aborigène, rejeté par les deux communautés, il vit une enfance et une adolescence difficiles et, ne sachant pas comment s'intégrer ni où, se sentant comme un paria, il se décide de quitter les villes. Il ira d'abord dans le bush australien où la vie s'avérera au moins autant difficile qu'en hostile milieu urbain. Ensuite il suivra ses Chemins du Rêve qui le conduiront encore plus loin, menant la vie d'un nomade en accord avec ses racines aborigènes.
Il restera six ans en Inde, où il vivra comme un moine bouddhiste pour enfin s'établir au Népal.

L'intrigue de ce récit est mince : un missionnaire anglais, sa femme malade, et leur fils d'un côté, de l'autre – une poignée d'Aborigènes. Ils étaient 300 il y a trois ans, quand ils ont été forcés de venir
vivre sur cette île, près des côtes australiennes. Seulement 25 y ont survécu.
Cette île est devenue une prison pour tous ses habitants, tant pour la famille du missionnaire que pour les Aborigènes qui sont venus du continent australien. Cette île n'est pas leur territoire tribal. Ils n'ont aucun repère ici, aucun lieu sacré.

Le missionnaire tentera de survivre en se berçant des rêves de réussite scientifique hautement improbable, sa femme tentera de survivre tout court, les Aborigènes, eux, protégés et conseillés par leur chef spirituel, survivront grâce à la force de leurs traditions et leurs croyances.

Il y a des pages et des pages d'une étrange beauté dans ce livre d'un huis-clos entre deux civilisations, l'ancienne – celle des Aborigènes, et relativement jeune – celle de l'homme Blanc.

Par la seule force de leur pensée, les Aborigènes sont capables d'accomplir des actes de magie pure, de se retrouver dans un monde différent, de lier le passé avec le futur.

Il y a parfois des livres – mais ils sont rarissimes – où l'auteur ouvre la porte et nous laisse entrevoir, du seuil, un monde inconnu et insoupçonné, dont la magie provoque une étrange émotion, un écho ancien dans notre mémoire, un sentiment du déjà-vu. On aimerait tant voir plus...mais voilà, c'est la fin et le livre se referme, et avec lui tout le monde magique du Rêve, des Chants des pistes et du Serpent arc-en-ciel.