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Critique de AMR_La_Pirate


Les instruments à percussion existent depuis le début de l'histoire de l'humanité ; à ce titre, le tambour est un instrument de musique présent dans la plupart des cultures où il a un caractère officiel, cérémonial, sacré ou symbolique. Au Rwanda, pays d'origine de Scholastique Mukasonga, comme dans toute l'Afrique, la musique des percussions rythme l'oralité des traditions et accompagne, comme les chants et les danses, toute la vie de la population, vie quotidienne et vie publique.
La colonisation et le génocide n'ont pas pu faire taire les tambours et leurs tambourinaires rwandais. Dans son dernier roman, Scholastique Mukasonga se fait la porte parole de l'identité rwandaise par le biais du tambour et de ses percussions envoutantes et en mettant en scène les divinités féminines ancestrales autour d'un portrait de femme.

Le premier récit est écrit comme un documentaire ; cela pourrait être le compte rendu d'un chercheur, le reportage d'un journaliste, un essai sur les cultures musicales noires ou encore la biographie d'une artiste… quelque chose comme cela, un peu tout cela en fait. À l'occasion de l'anniversaire de sa mort, survenue dans d'étranges circonstances, nous suivons l'itinéraire et la carrière internationale d'une chanteuse rwandaise qui se faisait appeler Kitami. J'ai personnellement eu un peu de mal à adhérer à l'écriture distanciée, laborieuse d'un narrateur dont on ressent l'effort, la recherche et le travail de synthèse et qui manque donc d'invention, de spontanéité et de cette simplicité efficace que j'apprécie tant chez cette auteure.
Je retrouve mieux Scholastique Mukasonga dans le second récit, à la première personne, parce que je connais mieux cet univers déjà exploré dans mes précédentes lectures de Inyenzi ou les cafards et de Notre Dame du Nil. La narratrice, Prisca, raconte sa vie de petite fille, puis d'adolescente ; son parcours ressemble à celui de Scolastique Mukasonga de l'école primaire à l'examen national qui ouvre l'accès aux études secondaires et certaines anecdotes de la vie familiales sont très proches de celles que l'auteure nous a déjà racontées dans son autobiographie. Un avertissement de l'éditeur, au tout début du livre, annonçait cette autobiographie fictionnelle, topos littéraire du récit mystérieusement arrivé entre les mains d'un narrateur qui n'a d'autre choix que de le publier
La très courte troisième partie, en forme d'épilogue, se veut conclusion ouverte à toutes les interprétations possibles.

Que voilà un étrange roman ! Que voilà une écriture polyphonique pour plusieurs dimensions et niveaux de lecture… Ce que je vais livrer ici n'est que ma propre interprétation.
La carrière de la chanteuse Kitami se déroule loin de son pays d'origine, qu'elle a quitté pour se joindre à un groupe de musiciens venus récupérer un tambour ancestral au Rwanda. Son parcours musical est une métaphorisation de l'altérité de la négritude de l'Afrique à l'Amérique en passant par les Caraïbes. C'est une vision extérieure, un vision étrangère d'une culture que nous ne connaissons, pour la plupart d'entre nous, que d'après une littérature exotique faite de musique obsédante, d'amazones guerrières, de reines oubliées de pays légendaires, de vaudou et de tambours magiques… C'est aussi un rappel de la colonisation et de ses dérapages et de la guerre civile.
La vie est le destin de Prisca nous ramènent au Rwanda, lieu mythique et fondateur, voué au génocide : Prisca, devenue Kitami, incarne l'Afrique ancestrale et ses divinités féminines, dont la fameuse Nyabingui. Prisca devient passeuse de mémoire et de culture. Son chant incantatoire se fait épopée renversée car si elle va au bout de sa transe, elle va annoncer l'indicible : sa mort n'est qu'une tentative désespérée de taire cette prophétie pour empêcher qu'elle se réalise.

Encore une fois, on ne sort pas indemne d'un roman de Scholastique Mukasonga. Coeur Tambour mérite une lecture assidue, ouverte et quelques retours sans doute pour tout s'approprier.
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