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Critique de Deleatur


Scholastique Mukasonga n'a pas vécu le génocide rwandais. Elle ne l'a connu que de loin, depuis la France où elle était arrivée deux ans plus tôt. Par chance, serait-on tenté de dire. Mais où se situe exactement la chance dans le fait d'avoir survécu à la mort atroce et brutale de la quasi-totalité de sa famille ?
Écrit dans une langue simple et directe, sans la moindre coquetterie stylistique, ce livre est le récit d'une enfance et d'une jeunesse au Rwanda, puis au Burundi voisin. Il s'agit d'un témoignage précieux si l'on veut comprendre à quel point le génocide ne devait rien au hasard des circonstances, et tout à un régime d'apartheid méthodique qui a écrasé les Tutsi pendant plus de trente ans. Scholastique Mukasonga le dit et le répète, et le lecteur n'a aucun mal à la croire : toute l'histoire du Rwanda indépendant semble conduire jusqu'à ce génocide de 1994. Nulle surprise lorsqu'il advient enfin : les Tutsi le redoutaient depuis un quart de siècle. Refusant pour les uns de croire à l'impensable, s'accrochant pour les autres aux espoirs les plus minces ou choisissant plus lucidement l'exil.

Pendant ces trente années, les pays occidentaux ne font pas grand chose. L'auteure n'en parle guère, d'ailleurs, sinon pour souligner que les missions internationales passent tandis que le pouvoir Hutu aboie. Il y a bien quelques missionnaires étrangers qui s'efforcent de protéger leurs ouailles Tutsi. Mais ils n'agissent qu'à l'échelle de leur propre engagement et de leur propre foi. A l'échelle des institutions, le livre souligne amèrement que l'Église rwandaise et les missions occidentales se contentent de fermer les yeux, voire d'approuver la ségrégation. C'est une réflexion que l'on se fait en cours de lecture : la foi est individuelle ; dès qu'il est question de la transformer en une affaire collective, la Religion pointe le bout de son nez, et ce n'est plus dès lors qu'une question de pouvoir et d'emprise sur le groupe. Voilà au passage pourquoi je peux avoir le plus grand respect pour un croyant sincère – et même une vraie curiosité pour cette foi que je ne partage pas –, tout en éprouvant la détestation la plus viscérale de tout ce qui ressemble de près ou de loin à un clergé constitué. Je renvoie sur ce sujet à l'admirable Tolstoi et à son essai le Royaume des cieux est en vous.

Un autre des point d'intérêt du récit de Scholastique Mukasonga est son évocation de l'après-génocide. Curieusement, aucun des Hutu qu'elle rencontre n'a rien vu ni rien fait. Comme par extraordinaire, ils se trouvaient ailleurs ces jours-là, ces semaines-là. On leur a raconté que. Ils ont entendu dire que. Rien de plus. Dès lors que peut-on vraiment attendre des tribunaux Gacaca, ces juridictions villageoises que le gouvernement met en place pour juger les acteurs du génocide, et pour s'efforcer de trouver le chemin vers une improbable réconciliation ? Là encore, l'auteure ne se berce pas assez d'illusions pour s'attarder sur le processus. Lapidaire, un rescapé observe devant elle que beaucoup des juges siégeant dans les Gacaca auront eux-mêmes du sang sur les mains. Et il conclut de façon sinistre, en espérant qu'au moins ce ne sera pas du sang d'enfants.
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