Lors de la venue à Paris d'
Abir Mukherjee le 7 Février 2023, nous avons été quelques "chanceux" à pouvoir participer à une très intéressante discussion au sujet de ses quatre romans policiers, dans un anglais très clair, avec une expression vivante, précise et beaucoup d'humour.
Il a évoqué sa double culture avec laquelle il est très à l'aise et il dit avoir créé son duo de policiers, l'un anglais, l'autre indien pour exprimer les facettes de cette double culture. Il se sent parfois proche des réactions de Sam et parfois de celles de Surren.
Quant au roman policier, c'est pour lui le moyen de faire passer des idées sérieuses sans rebuter le lecteur.
L'action des 4 romans publiés en français se situe à Calcutta et sa région entre 1919 et 1922.
Le capitaine Sam Wyndham, officier de police à Scotland Yard a survécu à la guerre de 14/18, après une blessure qui le rend dépendant à la drogue. Il est désormais seul, après la perte de sa femme, ce qui lui fait accepter la proposition d'un ancien supérieur de le rejoindre à Calcutta comme chef enquêteur dans la police locale. Il ne connaît pas le pays.
Il arrive à Calcutta quand émergent les mouvements indépendantistes en Inde. Il y a les mouvements classiques, attaques de trains ou de banques pour acheter des armes, mais aussi les mouvements non-violents de Gandhi, prônant le boycott économique des produits anglais. On apprend aussi qu'il existait une connexion entre les mouvements de libération irlandais et indiens, sous couvert de négociations textiles.
Bien qu'appartenant à la police de l'occupant, Sam développe une certaine indépendance d'esprit par rapport à la société coloniale de l'époque, surtout lorsqu'il se trouve en butte à la guerre d'influences que mènent les divers corps de l'administration britannique. Ces luttes intestines sont étouffées pour éviter des scandales qui affaibliraient la présence anglaise. Il y a chez les Anglais la peur palpable d'une révolte des masses qui, si elle se produisait, anéantirait la minorité blanche.
L'auteur donne l'exemple des événements d'Amritsar et de la visite du Prince de Galles à Calcutta. Dans les deux cas, les Anglais font profil bas par peur de réactions de la foule.
il est donc nécessaire de maintenir une distance avec les "natives" limités aux emplois de base et gardés sous tutelle par un jeu de fausse supériorité morale. Tout cela pour le bénéfice de gros industriels écossais installés à Calcutta.
S'il est un policier efficace, Sam se démarque par une attitude sociale inhabituelle, en particulier vis à vis de son subordonné direct, un Indien, Surrendranath Bannerjee. Ce jeune homme issu d'une famille locale importante, parle un anglais impeccable, est un bon enquêteur très intelligent et inventif, mais sous estimé jusqu'ici du fait de son origine. Sam collabore avec lui comme il l'aurait fait en Angleterre, puis remarquant ses qualités et sa connaissance du terrain, il lui laisse prendre de plus en plus d'initiatives et ils se lient d'amitié. Ils ont en commun des divergences avec leur milieu d'origine et une large zone de compréhension (excluant le whisky et les rapports avec les femmes !). Quand Sam apprend que Surren est en froid avec sa famille plutôt pro-Gandhi, du fait de son emploi de policier au service de l'occupant, Sam lui offre de partager son logis, faisant fi des commentaires.
la position de Surren se confirme au fil des enquêtes, mais, lors de la dernière, il confie à Sam les doutes qu'il ressent sur sa collaboration avec les Anglais. A suivre....
Sam peut aussi s'afficher avec une métisse, bien traiter un conducteur de rickshaw et même éprouver de la sympathie pour un indépendantiste, qu'il n'hésitera pas à mettre hors jeu en tant que policier.
Frôler le danger fait partie de son métier mais cela s'applique aussi à sa dépendance à la drogue. A Calcutta, il fréquente les fumeries d'opium clandestines, au risque de briser sa carrière. Cacher son addiction est de plus en plus difficile, malgré l'étonnante acuité dont il fait preuve dans la solution de ses enquêtes. Il doit donc se résoudre à entreprendre une cure de désintoxication dans un ashram de l'Assam.
C'est Sam lui-même qui raconte ses aventures, avec toujours une pointe d'humour pour "faire passer" des sujets parfois sensibles ou tout simplement faire des remarques sur le quotidien, la chaleur du pays, la médiocrité du relationnel ou de la nourriture dans une pension de famille pour expatriés.
Autre intérêt de la lecture : chaque roman traite d'un aspect social différent du pays, néanmoins lié à la présence anglaise.
Le cinquième roman "The Shadows of Men" vient de sortir en Anglais.
A vos dictionnaires !!!!
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