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Critique de Syl


Syl
03 juillet 2013
Dieppe, 1963.

Eric Aubin, jeune homme de dix-huit ans, est domestique chez les d'Estignac, une vieille famille bourgeoise de Dieppe. Avec ironie, il se dit être un "butler"… c'est mieux que majordome ou valet. Orphelin, recueilli par les religieuses de Saint-Aubin, il n'a pour horizon que sa chambre mansardée, les falaises et le cinéma. Il ne sait même pas s'il peut se permettre de rêver et de prétendre à une autre vie.
Gants blancs pour le service, ce soir la maison reçoit… Gros plans sur la cuisinière qui s'affaire, sur le plateau des toasts et sur celui des coupes de champagne… son regard est une caméra, il s'amuse à être cinéaste.
Lors de cette soirée, Eric fait la connaissance de Sir Archibald Leach, un aristocrate anglais un peu désoeuvré, charmeur et mystérieux, qu'il comparera un jour à Peter O'Toole dans "Lawrence d'Arabie". Leur entente est immédiate et débouche sur un projet inespéré, exceptionnel !

Sir Archibald le présente à Freddy l'Enfer, un canadien qui a fait le débarquement en juin 1942. L'ancien soldat témoigne de ce matin d'août où ils arrivèrent sur la plage Rouge et où il vit beaucoup de ses camarades mourir sous l'artillerie ennemie.
"- Je suis mort sur la plage Rouge, le 19 août 1942, à 5h31 du matin… Sur la mer d'un noir de suie montaient des torsions de fumée…
… Les coups de canon m'entrent dans le ventre, dans la gorge. On mitraille la falaise… une foule qui hurle, insultant le Ciel et les Boches, une masse souple et compacte qui soudain explose et se recompose. The Lord is my sheppard. le Seigneur est mon berger. A mes pieds, un jeune tient entre ses mains le nid diapré de ses entrailles. J'ai entendu : "Hey, choum, bouge-toi ! Ma survie est ma victoire et ma condamnation, ma mort est ma geôle et ma liberté !" du courages et des tripes, avait ordonné le général Roberts…"

Les souvenirs de Freddy, Eric voudrait les saisir et en démontrer toute la puissance. C'est alors que Sir Archibald amorce l'idée d'un film. Enregistrer les mémoires des hommes et des femmes qui ont survécu à ce temps ; la guerre, l'occupation, la libération, la résistance, la soumission, les sympathies, l'opportunisme…
Sur ses recommandations et avec son appui, Eric peut demander au père Fernand de lui confier sa caméra pour filmer "Dieppe en guerre". Puis, toujours par l'intermédiaire de Sir Archibald (le bon génie), il rencontre une jeune fille de son âge, Marjolaine, qui lui servira de scripte. Leur passion commune pour le cinéma les rapproche et leurs conversations sont une surenchère de titres de films, de noms d'acteurs, de scènes mythiques. Eric expérimente pour cette nouvelle amie, un véritable coup de foudre.

Madame d'Estignac, détentrice de la fortune familiale, est prête à subventionner son film. Elle croit en lui, elle l'a toujours apprécié car il est sa fantaisie, même si cela doit déplaire à son fils et sa bru.
Eric ressent cette aubaine comme une exigence. Il a l'intelligence et la détermination pour se hasarder dans cette aventure.

Etre naturel, oublier la caméra. Il pose une question en prélude des monologues et le déballage des confidences se fait simplement. Clap, moteur, scène 1, la caméra tourne.
Au montage, Eric est surpris. La pellicule ne ment pas, elle rapporte parfois d'autres réalités. Les images démontent les histoires narrées et racontent un envers du décor.
Fernand le Boeuf, Antoine Cacheleux, Fabre de Parrel, Philippe et René Levasseur, Marjory Rasse, Emmanuel Faure… ils avaient 18 ans en 1940, ils avaient 30 ans… Ils ont combattu, résisté, ils ont collaboré, ils ont été déportés, ils ont vécu l'occupation avec courage ou lâcheté, soldats, civils, hommes, femmes, les esprits sont blessés et suppurent encore.

Ca dérange. Vingt ans ont passé et c'est à vif. Les menaces cernent Eric qui s'obstine à poursuivre son documentaire. On connaît sa motivation, mais qu'en est-il de Sir Archibald ? Il est le marionnettiste qui tire les ficelles. Son flegme et son élégance britanniques sont une apparence. Il était à Dieppe lui aussi durant la guerre, il avait son rôle.

Plus que l'ascension d'un jeune garçon orphelin, sans le sou, féru de cinéma et passionné par la seconde guerre mondiale, c'est la quête d'une vérité sur les histoires du passé. le silence étouffe les vies, il est une violence pour certains, mais pour d'autres, c'est leur absolution. La guerre a permis d'enfouir des mensonges et des crimes…

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Ce livre pourrait être votre histoire de l'été, sa lecture a été très agréable.
Epopée d'hier, destin d'aujourd'hui, à travers Eric, nous lisons quelques secrets tenus depuis la guerre. Dieppe présente des aspérités, des cicatrices, elle est la scène d'un héroïsme guerrier avec ses fantômes et d'une zone minée depuis son occupation.
L'auteur mêle aux désirs et à l'engouement d'Eric, une intrigue complexe qui défait petit à petit sa trame. Livre à tiroirs où sont rangés quelques films hollywoodiens, quelques références à la Nouvelle Vague, il est question d'honneur, de traîtrise, d'espionnage, d'amour, d'humanité.
"La vie était belle" renvoie au film de Franck Capra, en 1946 avec James Stewart. Beaucoup d'analogies sont faites entre le cinéma et le déroulement du scénario et ainsi nous avons une filmographie très intéressante… "Fort Apache", "Casablanca", "Le Pont de la Rivière Kwaï", "Ben Hur", "L'homme qui tua Liberty Valance"…
Sans ennui, un rythme prenant, de surprenantes révélations qui défont les images, vous aurez certainement plaisir à lire ce livre.
Je retiendrai un passage cruel, dont la violence s'assimile étrangement à un adoubement… Philippe, un des personnages importants du roman, invite Eric à la pêche au congre. La tuerie est un massacre sanglant, presque un acte de guerre. Eric en sort grandi et moins vulnérable.
Merci Christelle…

L'auteur, professeur de lettres dans la région parisienne, a écrit une vingtaine de romans.
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