Au bout d'une dizaine de pages, j'ai hésité à arrêter cette lecture car l'histoire me paraissait sans intérêt.
Puis au fur et à mesure, j'ai apprécié ce livre de plus en plus, l'histoire de Marcus et son chien Oursou, leur chemin à travers la montagne jusqu'à m'émouvoir à en avoir quelques larmes mais je ne vous dévoilerai pas l'histoire.
A lire.
Commenter  J’apprécie         20
Il était un homme qui vivait à flanc de montagne, il y a longtemps de cela; un homme jeune et fruste, fort et sauvage, un homme d'autrefois, un homme d'avant le déluge, une lame d'homme pyrénéen. Il était un homme simple mais qui rêvait du ciel. Il rêvait d'un ciel pour sa vie, pour sa femme, d'un ciel plus grand et plus pur, d'un ciel couleur de paradis sur ce village misérable où chacun traînait une condition de terrien obtus, ne se souciant que de sa masure et de ses bêtes avec une discipline mercenaire qui n'obéissait qu'aux saisons de la survie. tendus vers la besogne, ils avaient tout oublié, du début frais de la vie à la dernière déclivité de la terre qui rend chaque moment si précieux. A ne se soucier que de vivre, rien ne les inclinait guère à la joie ou au rêve.
- Barcus, disait sa jeune femme, à quoi rêves-tu donc?
- Bella, répondait Barcus, caressant la tête de son chien, un jour viendra où je pourrai t'offrir une vie meilleure.
- La meilleure vie, c'est celle de chaque matin, en m'éveillant près de toi.
Elle n'ajoutait pas, par timidité et docilité, que son bonheur c'était le corps de Barcus tout contre sa peau comme un flanc de bête, ni qu'il lui était douloureux de le voir se refuser à l'amour et se lever, la nuit. Alors qu'elle soufflait la bougie, elle le voyait s'éloigner sur la colline, ombre mélancolique qui fixait les étoiles. Cependant, Barcus avait l'air de rêver de leur vie avec tant de clarté que Bella se sentait en toute sécurité auprès de cette ramure d'homme sauvage et obstiné.
Il chargea la porte, glissa ses paumes autour des poignées de chiffon et de corde. Elle ne lui parut pas lourde; il siffla le chien, qui se mit à japper avec fureur et à bondir autour de lui.
Et Bella vit la porte s'éloigner, grimper au flanc de la colline sur les jambes puissantes de son mari. Il montait sur l'herbe qui claquait dans le soleil matinal, un soleil très plat, très blanc qui tombait comme une pluie. Barcus montait du pas lent et régulier du montagnard et, bientôt, elle ne vit plus du tout les jambes, mangées par les hautes herbes et les digitales pourpres qui faisaient comme des taches de sang, elle ne vit plus du tout son homme mais seulement la porte brune qui allait vers le ciel, flottant en un vol ras sur la prairie verte.
La nuit qui suivit et les autres nuits encore, Bella rêva souvent de la porte. Elle la voyait voler, planer, toute brune avec ses rayures mordorées et son coeur palpitant renversé sous tout l'espace du ciel béarnais. Dans son rêve, elle voyait la porte s'envoler, mais elle ne voyait pas Barcus.
(...) La montagne ne cessait de frapper à la porte et il soupira :
- Entre, mais entre donc...
Mais le bruit n'entrait pas et restait derrière la porte, un bruit lourd et lancinant de troupeau piétinant.
- Je ne t'ouvrirai pas... Ne compte pas là-dessus. Cette porte est à moi, à moi seul, et je ne l'ouvrirai que pour le paradis. Cette porte, c'est ma vie, c'est mon âme, c'est une femelle qui m'obéit!
Et d'un coup de reins puissant qui fit saigner ses plaies dans la chemise souillée, il se redressa, rééquilibra la porte sur le sang, la sueur, l'eau, les muscles et les mains et reprit le cours du chemin.
Ce matin-là, il avait une tête qui n'était plus la tête de Barcus, pâle, couverte de croûtes de terre et de sang, la bouche mauvaise sous la barbe hirsute, taraudée par la soif, le regard fiévreux de faim. Il marchait mais ne trouvait plus de sens à sa marche, furieux contre son rêve, contre Noémie, contre lui-même. Il n'aimait plus son rêve car il n'était plus le maître de son rêve mais son esclave, il n'était plus qu'un galérien qu'une chaîne invisible tirait vers la vallée comme on le faisait au taureau dont la vaillance blanchit d'écume sous l'anneau qui l'asservit. Barcus n'était plus poussé par une volonté d'homme, mais traîné par celle du jour, par le caprice de la nature, la violence de la faim.
Les quatre grands côtés du jour se levaient sur le passage de l'homme entravé, mais Barcus ne le voyait pas.
"Bien parlé, Bella ! s'écria la jeune fille, on voit que votre maison est bien tenue, on le sent tout de suite... Cette porte est magnifique. Unique. Je n'en ai jamais vu de pareille. Unique, vraiment. Et son coeur, on dirait qu'il bat ! Ah, comme je voudrais une porte toute pareille à celle-là pour ma chambre nuptiale !"
Vidéo de Marie-Martine Muller