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Critique de LiliGalipette


« J'étais venu à Madrid pour tuer un homme que je n'avais jamais vu. » (p. 11) le capitaine Darman est un tueur à gages à la solde d'un réseau antifranquiste qui continue d'agir 20 ans après la fin de la guerre. Envoyé un peu partout en Europe, Darman est un agent froid et efficace qui accomplit ses missions sans ciller, mais qui souhaiterait se retirer. « Je ne leur devais rien et n'avais aucune envie de leur réclamer quoi que ce soit, pas même le temps que j'avais gaspillé à servir leurs rêves délirants de conspiration et de retours vengeurs. » (p. 22) En outre, cette mission à Madrid réveille le souvenir d'un autre meurtre, 20 ans plus tôt, quand Darman avait dû exécuter un ami traître au réseau. Des années plus tard, le capitaine s'interroge : a-t-il eu raison ? Walter était-il vraiment coupable ? « J'ai exécuté ma part de cruauté et de destruction et j'ai mérité l'opprobre. Les effets de l'amour ou de la tendresse sont fugitifs, mais ceux de l'erreur, ceux d'une seule erreur, n'ont pas de fin, comme une maladie carnivore et incurable. » (p. 129) Ici, c'est Andrade que Darman doit exécuter, un nouveau traître à la cause. Dans la ville madrilène, Darman est pris au piège de ses souvenirs, des faux-semblants et du passé qui ne demande qu'à ressurgir. Et il plane l'ombre de Beltenebros, le traître qui a collaboré avec la police de Franco. Qui est-il ? Où se cache-t-il ? « Beltenebros, on ne peut le découvrir parce qu'il sait vivre dans l'obscurité. » (p. 220)

L'univers mis en scène par Molina est sombre, nocturne, mal famé, louche et tout à fait inquiétant. Avec le passé qui frappe à la porte de sa mémoire et qui ne demande qu'à entrer et tout recouvrir, Darman embarque dans une odyssée intérieure qui malmène ses certitudes. On assiste à un processus inéluctable : dans une progression macabre, l'intrigue se déploie jusqu'à étouffer le héros pour mieux lui ouvrir les yeux. Tous les éléments traditionnels du polar sont au rendez-vous : le héros fatigué et désabusé, la très belle femme énigmatique, la proie innocente ou non et l'organisation supérieure implacable. Mais le roman dépasse ces codes quand la manipulation que subit Darman vire au cauchemar. « On voulait que je refasse les mêmes pas, que j'entende exactement les mêmes sons qu'alors. » (p. 210) Antonio Munoz Molina insuffle à ses pages un petit air de David Lynch avec l'inquiétant glissement des choses et la perte de contrôle de son héros. « Après tant d'obscurité, chaque chose que je regardais devenait une incitation pressante à déchiffrer ce qui me crevait les yeux et m'imposait l'évidence hermétique de sa candeur. » (p. 85) le traqueur devient traqué et le mystère s'épaissit avant l'ultime épiphanie, alors que les ruines de la mémoire et de la compréhension se redressent lentement pour dévoiler l'évidence et faire sortir Beltenebros de l'ombre.

Ce roman m'a été recommandé par un ami très cher. Il a bien fait, très bien fait. Moi qui ne suis pas vraiment sensible aux polars, j'ai été subjuguée par cette intrigue cauchemardesque. de plus, une lecture qui s'ouvre sous le haut patronage de Don Quichotte annonce à coup sûr un palimpseste de la littérature espagnole. Mais il serait bien réducteur de cantonner Beltenebros à cette définition. Ce roman est également un hommage au roman noir américain et au cinéma du même genre. Beltenebros, c'est comme un vieux film en noir et blanc avec un héros en pardessus et feutre mou, une femme fatale en talons aiguilles et rouge à lèvres carmin, mais avec en plus l'angoissante certitude que tout n'est qu'apparence et que le rideau va bientôt se déchirer.
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