Au-dessous des princes et des nobles, une bourgeoisie active et économe, sincèrement attachée à sa foi, tout en se montrant accessible au progrès, prisant les plaisirs de l'esprit sans dédaigner ceux de la table ni le luxe des vêtements, alliant le culte de la liberté à celui de la richesse, et qui, après une période de prostration ou d'affolement, semble avoir repris possession d'elle-même et retrouvé l'équilibre de toutes ses facultés.
En pénétrant dans les couches profondes, les « artiminori », comme on disait à Florence, nous rencontrons non pas l'ouvrier, — c'était une notion étrangère au quinzième siècle, qui ne connaissait que l'organisation par ateliers assez peu nombreux, — non les manufactures à la moderne, mais l'artisan (soit maître, c'est-à-dire patron, et d'ordinaire aussi propriétaire, soit compagnon, soit apprenti), protégé, soutenu et relevé par les règlements des corporations, ces règlements si profitables aux petits, si préjudiciables aux hommes d'un mérite supérieur, bref une espèce de bourgeois, nullement d'humeur à céder le pas au marchand drapier, au notaire, à l'apothicaire. On nous affirme qu'à Florence, dès le quatorzième siècle, les artisans savaient Dante par cœur. Par contre, pour eux toute la littérature pseudo-classique était nulle et non avenue, et ce n'est pas là un de nos moindres griefs contre les humanistes.
Les Italiens ne s'en tinrent pas à des témoignages d'admiration platoniques : outre qu'ils payèrent au poids de l'or les retables de l'École de Bruges, les tapisseries d'Arras ou de Bruxelles, ils accueillirent à bras ouverts les artistes du Nord que le caprice ou le besoin amenait de l'autre coté des Alpes. En compulsant les documents conservés dans les bibliothèques ou les archives italiennes, j'ai réussi à réunir plus de cent noms d'artistes français et plus de cent cinquante noms d'artistes flamands et allemands fixés en Italie pendant le quinzième siècle, et encore ces chiffres sont-ils forcément de beaucoup au-dessous de la réalité, car ce serait une singulière illusion de croire que les notaires et les comptables du temps aient pris soin de nous conserver les noms de tous ces étrangers. Nous pouvons donc affirmer sans hésitation que plus de trois cents artistes de toute spécialité et de tout mérite, tous nourris dans la tradition de l'école francoflamande et germano-flamande, ont joué leur rôle dans le développement de l'art italien du quinzième siècle, le dotant, qui des secrets de la peinture à l'huile, qui des procédés de la gravure sur bois, qui de ceux de la tapisserie de haute lisse.
Le sens du mot Renaissance n'est plus à chercher, après les travaux des Michelet, des Edgar Quinet, des Burckhardt, des Taines : il signifie ce rajeunissement de l'esprit humain, cet affranchissement de la pensée, cet essor des sciences et ce raffinement de la civilisation, cette poursuite de la distinction et de la beauté, qui se sont affirmés en Italie vers le quinzième siècle, sous l'influence des leçons de l'antiquité.