Tous les enfants ne sont pas sur le même modèle (...). Les intelligences sont diverses, sociale, manuelle, artistique. Votre femme a raison de penser que l'école ne sait pas comment accueillir ces enfants qui sont intelligents autrement...
- Vous voulez travailler, c'est ça ?
- Oui, monsieur.
- A quatorze ans ?
- Oui, monsieur.
Le principal essayait de garder un air imposant. Il était conquis. En quelques secondes, il avait compris que Louis appartenait à la race de ceux qui s'embarquaient à quinze ans sur des baleiniers.
l sortit les ciseaux de la poche de son blouson.
– Je peux te rafraîchir ta coupe ?
– Jésus Marie !
– D’abord, ta mèche sur le front, ça fait vieux.
– Pas du tout, c’est pour cacher mes rides.
– Ça fait vieux.
– Non.
– Si.
Bonne-Maman regarda son petit-fils avec étonnement. Elle ne lui connaissait pas cette obstination.
– Eh bien, vas-y, montre ce que tu sais faire.
Elle alla cherche une serviette, se mouilla les cheveux et s’assit sur un tabouret dans la cuisine.
– Mais tu vas voir tes fesses si tu me loupes !
Louis sourit à peine de la menace. Il était déjà projeté dans les gestes qu’il allait faire. En silence, mordillant l’intérieur de ses lèvres, engageant tout son corps, puis se reculant pour juger de l’effet, il prit le risque de modifier la coupe de cheveux que Bonne-Maman arborait depuis une vingtaine d’années. Quand il eut fini le séchage, il eut une grimace d’appréhension. Sa grand-mère lui fit les gros yeux pour rire et se dirigea vers le miroir du salon.
– Mais qu’est-ce que tu as fait ? s’écria-t-elle en passant la main dans ses cheveux. J’ai l’air de… J’ai l’air d’une…
Elle se regarda attentivement.
– J’ai l’air moins vieux.
Il est tombé amoureux d'un carré déstructuré avec un balayage miel sur une base plus foncée.
- Ca vous plaît, la coiffure, Louis ? demanda le principal.
- Oui.. Oui monsieur.
Il se redressa et le regarda bien dans les yeux.
- Vous voulez travailler, c'est ça ?
- Oui monsieur.
- A quatorze ans ?
- Oui monsieur.
Le principal essayait de garder un air imposant. Il était conquis. En quelques secondes, il avait compris que Louis était de ceux qui s'embarquaient à quinze ans sur des baleiniers.
- Bonjour, monsieur, dit Clara, vous voulez un rendez-vous ?
- Non.
- Je ne vais pas pouvoir vous prendre tout de suite. SI vous voulez attendre ?
- Non.
Dans ses yeux, il lut la peur. Que lui voulait cet homme ?
- Vous ne me reconnaissez pas ?
Elle se força à le dévisager.
- Louis !
C'était un cri de saisissement. Le petit Louis était devenu l'homme dont elle avait rêvé.
- Oh, Louis...
Elle oublia où elle était, qui elle était. Louis n'eut que le temps d'ouvrir les bras pour qu'elle s'y réfugie.
Il chercha ses mots. La vie, c'est pas que des coups. C'est de rêves et des désirs, des passions, des vocations, la vie...
Elle avisa Louis et lui ordonna sèchement :
- Rangez donc les magazines qui traînent. Il y a toujours quelque chose à faire quand on veut se rendre utile.
- C'est clair, approuva le garçon.
Madame Maïté haussa les sourcils. Louis la surprenait. Finalement, il était serviable, dégourdi et tranquille. Fifi prétendait qu'il était doué pour la coiffure. Pourquoi pas ? Madame Maïté le suivit un instant du regard.
- Vous aimez l'école, Louis ?
Il était en train de ramasser un Figaro Madame glissé sous un fauteuil. Il se redressa.
- Non.
Il chercha comment adoucir sa réponse, mais il ne trouva pas. C'était non.
Tous les enfants ne sont pas sur le même modèle. Les intelligences sont diverses, sociale, manuelle, artistique.
- Je rentrerai tard, la prévint-il.
Il avait l'intention de rester jusqu'à la fermeture. Il voulait savoir où madame Maïté s'en allait le soir venu, pour chasser cette idée saugrenue qu'elle dormait sous son comptoir.