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Critique de FabM


Miss Charity Tiddler est une petite fille issue de la haute société anglaise de l'époque victorienne. Enfant unique puisque ses deux soeurs sont mortes en bas âge, délaissée par ses parents, elle se réfugie dans sa nursery au troisième étage de la maison. Elle y vit en compagnie de sa bonne Tabitha, une Ecossaise un peu folle aux cheveux roux, et des animaux qu'elle trouve à l'extérieur ou qu'elle sauve de la casserole. Devant apprendre le piano, le français et le chant comme toute jeune fille bien éduquée, Charity passe sous la tutelle d'une gouvernante française, Melle Legros. Charity n'est pas douée pour la musique mais a du talent pour le dessin et l'aquarelle. Elle passe ainsi sa vie, entre ses animaux, ses peintures, sa passion pour les sciences naturelles, les conversations avec sa gouvernante, les récits horrifiques de Tabitha, les pièces et poésies de Shakespeare qu'elle apprend par coeur et Dingley Bell où elle passe l'été.

Miss Charity est un roman dense dont les cinq cent soixante pages peuvent rebuter. Il suit l'évolution de Charity depuis ses cinq ans jusqu'à ses vingt cinq. le récit est ponctué de dates et d'âge, donnant ainsi des repères dans le temps au lecteur, d'autant plus que les événements qui ponctuent la vie de Charity sont nombreux et discontinus. Si l'année et l'âge sont des marqueurs de temps clairs, des épisodes reviennent aussi périodiquement pour structurer son histoire, comme les séjours d'été annuels pendant lesquels Charity quitte Londres. Invariablement et où qu'elle soit (Kent, Ecosse...), Charity rencontre Kenneth sur son chemin. Par ailleurs, les illustrations de Philippe Dumas, incluses dans le corps de texte, parfois en pleine page, aèrent celui-ci très régulièrement. A cela s'ajoute le fait que les (nombreux) dialogues sont présentés comme dans une pièce de théâtre : ils sont ainsi rendus lisibles et visibles. Cette présentation permet à nouveau de structurer la page et de l'aérer. La lecture du roman est donc grandement facilitée tant sur le fond que sur la forme.
Marie-Aude Murail mélange les genres littéraires dans son récit, jouant avec les codes du roman, du théâtre (elle utilise des didascalies), de la poésie, de la lettre, du conte... En sus, le lecteur a l'impression, du fait que le récit se fasse à la première personne, d'accéder à une forme de journal intime. Elle y mélange aussi textes et dessins, littérature pour les adultes et littérature enfantine. L'auteur produit un texte vif dont l'alternance des formes sollicite l'intérêt du lecteur tout au long du récit.
L'histoire de Charity est celle d'une petite fille devenue une jeune femme libre, indépendante, accomplissant ses rêves, à l'intérieur d'une société victorienne corsetée, sévère, où les femmes sont destinées au mariage. Les deux cousines de Charity, Lydia et Ann, sont ses contre-points: elles réalisent ce que la société attend d'elles, font de « beaux mariages » mais sont toutes les deux malheureuses et dévorées par l'envie. Charity, quand elle est en âge de se marier, subit beaucoup de pressions de la part de son entourage qui lui arrange des rencontres. Il n'existe que deux possibilités à leurs yeux, se marier ou finir vieille fille. L'idée de l'indépendance par le travail n'est pas compréhensible.
le roman est aussi une ode à l'imagination et à l'enfance : Charity vit dans un monde solitaire, elle n'intéresse pas ses parents qui la laisse aux soins de sa bonne puis de sa gouvernante. Elle remplit son temps de toute sorte d'activités propices au développement de son imaginaire et de son identité : elle expérimente d'abord les sciences naturelles, observe le comportement des animaux, les élève, leur fait jouer des tours. Elle complète son apprentissage par des visites au muséum, par la lecture de son Livre des Nouvelles Merveilles puis par le dessin. L'héroïne travaille dur tous les jours et grâce à son talent et à l'encouragement constant de ses amis, elle parvient à réaliser ses rêves.
Elle y parvient également grâce à un caractère généreux et soucieux des autres. Charity sauve Blanche de la situation catastrophique dans laquelle elle se trouve, rapproche Herr Schmal et Blanche, protège Tabitha puis Gladys, accompagne Philip dans sa maladie, conseille avec justesse Kenneth sur ses rôles, va même jusqu'à se travestir en homme pour l'aider... Elle est aussi soucieuse des enfants qu'elle rencontre et les distrait par ses dessins. Grâce à ses dispositions naturelles, ses amis lui rendent les soins qu'elle leur a prodigués en la poussant à s'accomplir.
La légèreté du style ne fait cependant pas oublier que la mort est aussi présente dans le récit et ce dès le début : Charity a perdu ses deux petites soeurs, ses animaux meurent, son cousin meurt, déjà lassé de vivre, sa bonne met le feu à son étage et est internée, elle fait des malaises, déprime... rappelant ainsi que la vie peut aussi être douloureuse mais que cela peut être surmonté.
Les lecteurs pourront reconnaître l'univers de Beatrix Potter (si, enfants, ils ont lu ses albums). le livre de Marie-Aude Murail est en effet librement inspiré de sa vie. Beaucoup d'éléments du roman renvoient à sa vie et son oeuvre : le nom de Bertram (prénom du frère de Beatrix Potter), le journal codé, les titres des livres de Charity (Master Peter renvoie à The Tale of Peter Rabbit), l'enfance entourée d'animaux, les dessins à caractère scientifique... Marie-Aude Murail rend non seulement hommage à l'auteur et à la littérature enfantine mais aussi à la littérature anglaise du 19e siècle et notamment aux dramaturges Oscar Wilde et Bernard Shaw. Les illustrations de Philippe Dumas contribuent à plonger le lecteur dans l'univers de Beatrix Potter et de Marie-Aude Murail en complétant significativement son récit.
le roman s'adresse aux lecteurs à partir de douze ans. Il nécessite sans doute un bon niveau de lecture mais Marie-Aude Murail et Philippe Dumas ont travaillé à ce que le récit soit le plus accessible possible à des lecteurs plus novices. Quelques connaissances historiques peuvent faire défaut mais l'histoire peut aussi se comprendre sans ces références. Avoir un poignet musclé paraît être indispensable, le livre pèse son poids !
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