A la première personne, une femme anone son quotidien, répétitif, ennuyeux mais pas dramatique, entre ménage, les heures ponctuées du déjeuner pour le mari, du goûter de son fils, et elle-même répète : « Nous nous en sommes sortis, nous avons réussi à survivre dans ce monde sans pitié » (p 14 et 16),
Une nuit, pourtant, elle fait un cauchemar, se réveille…. et ne peut plus se rendormir… pendant dix-sept nuits et dix-sept jours.
Au contraire de l'insomnie, qu'elle avait expérimentée quand elle était à l'université, manque de
sommeil qui l'avait laissée à moitié morte durant le jour, le fait de ne plus dormir la fait revivre.
Elle qui lisait « de temps en temps », s'était aperçue assez vite qu'elle s'endormait au lieu de lire, et en « un rien de temps », s'était habituée à ne plus lire.
Alors, le temps gagné quand elle ne dort plus lui fait retrouver maintenant une vieille lecture, Anna Karénine, dont elle lit des dizaines de fois l'histoire.
En buvant du cognac et mangeant du chocolat.
A l'inverse d'Anna, celle qui avoue à son mari qu'elle l'a trompée, notre héroïne n'avoue rien à son mari, qui lui, de son côté, ne remarque rien, ni qu'elle sort du lit quand il dort, ni qu'elle change, parce que, forcément, elle a changé (en mieux, dit-elle, elle pète la forme tout le jour, remplit ses taches ménagères, tellement ennuyeuses qu'elle n'a pas besoin de beaucoup de concentration…)
La répétition des actes de tous les jours restent ce qu'ils sont, ennuyeuse, mais elle sent par ailleurs un agrandissement, un enrichissement progressif et une joie de plus en en plus grande, un élargissement de sa conscience.
Ma vie n'appartient qu'à moi, c'est ma vie, dit-elle.
Son temps, ce temps un peu endormi à se perdre dans l'inutile, se double d'un temps précieux, et elle ne veut plus dormir. C'est un choix, elle y gagne.
Et même si dormir signifiait se réparer des usures du temps, elle n'a que faire de cette répétition du
sommeil chaque nuit, perdre sa vie en dormant.
Génial, puisque Murakami pose le problème du temps perdu dans les actes anodins, au détriment de la concentration nécessaire pour lire et relire par exemple Tolstoï, où chaque fois elle redécouvre un message différent chaque fois : « Comme une série de boites, chaque monde en contenait un autre plus petit, et ainsi à l'infini. Et, tous ensemble, ces mondes formaient un univers entier, et cet univers était là, attendant d'être découvert par la lecture ».
Elle répète le même livre, mais c'est à chaque fois un recommencement.
Et se demande pourquoi vivre, quel sens y a-t-il à donner à cette famille dont elle découvre le côté insupportable.
Continuer, pourquoi ?
L'autre existence possible, jour et nuit, jusqu'à la fin digne d'une nouvelle où tout est possible, et rien affirmé, c'est à nous d'utiliser nos neurones pour l'imaginer : ou elle s'en sort, et se remet à dormir, ou elle s'en sort, et continue à ne pas dormir, ou elle ne s'en sort pas, mais de toute façon elle avait envisagé être sans doute morte sans que son entourage s'en soit rendu compte.
Pour moi, la vraie fin de ce conte génial, c'est quand je lis deux chroniques coup sur coup, de @nicolak, Nicky et de @hundredreams, Sandrine, et que je vois apparaitre dans ma bibliothèque le museau d'une couverture noire avec incrustations argent, et des illustrations de
Kat Menschik. Génial, je n'ai pas peur de me répéter.