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Critique de Mayakrochka


Une femme. Un terrible régime. Un pays. Une histoire : une dystopie ? Non, car pour être dystopie, il faut être fantasmée. Or, la cruauté des Talibans est bien loin d'être un cauchemar. Si les personnages sont fictifs, le cadre n'en est pas moins réel. C'est ce que montre ce roman, nourri de témoignages d'Afghanes et d'Afghans ayant survécu au régime de la violence talibane de 1996 à 2001. Cinq longues années pendant lesquelles, à l'autre bout du monde, des gens vivaient dans la terreur, bien loin de notre indifférence occidentale. Cinq longues années pendant lesquelles des gens se faisaient torturer, massacrer, exécuter pour des raisons aberrantes, quand il y en avait. Là, juste sous notre nez. Cinq années au cours desquelles ces gens se sont demandé, à chaque minute qui passait, combien de temps il leur restait à vivre.

C'est dans ce triste milieu qu'évolue Rukhsana, jeune journaliste de 24 ans – enfin, ancienne journaliste, puisque, comme toutes les Afghanes, condamnée à la prison à vie, derrière les grilles de sa burqa et de sa maison. La brillante Rukhsana ne peut néanmoins se résoudre à se taire, c'est pourquoi elle écrit secrètement pour le Hindustan Times de Delhi, défiant ainsi l'autorité des Talibans qui ne tardent pas à découvrir son activité clandestine. Pour les Talibans, Rukhsana est une menace à écarter. Son crime ? Avoir décrit la vie quotidienne dans son pays. Cela nuit à l'image que le nouvel Afghanistan donne au monde. Or, cette image, ils la chérissent. C'est pour elle qu'ils décident d'ériger le cricket en sport national, afin de dire aux autres : « regardez-nous, nous sommes un pays comme les autres, nous aussi, nous jouons et savons apprécier la vie ».
Pourquoi le cricket ? Notre héroïne se le demande bien, elle qui y a souvent joué lorsqu'elle faisait ses études en Inde. La promotion de ce sport a quelque chose d'ironique : le cricket est par essence le sport de la liberté, totalement antithétique aux nouveaux principes politiques de l'Afghanistan : la preuve, le cricket ne tolère pas la violence sur le terrain. Il n'empêche que cette nouvelle redonne espoir à la protagoniste et à sa famille, qui y voient une occasion de s'évader : en effet, un tournoi sera organisé, et l'équipe gagnante ira s'entraîner au Pakistan. Déguisée en homme, Rukhsana va tout faire pour entraîner ses frères et ses cousins, prenant ainsi des risques démesurés pour éviter aux siens de vivre plus longtemps sous le joug des « barbus ».

Je ne regrette pas d'avoir ouvert ce livre. Comment rester indifférent lorsqu'on pose ce roman pour vaquer à ses occupations quotidiennes ? On ne peut s'empêcher d'avoir un petit pincement au coeur et d'être inquiet pour nos héros. Comment ne pas enrager lorsqu'on lit ces lignes chaotiques, sur l'extrême précarité de la condition féminine, sur l'absurdité de ce régime de la haine, sur la perversion des hommes au pouvoir, qui prétendent agir avec la bénédiction de leur dieu ? Mais quel dieu pourrait se satisfaire d'une telle barbarie de la part de ses serviteurs ?

On l'aura compris, la lecture de ce roman est riche en émotions : colère, joie, tristesse, soulagement, répulsion se succèdent sans ménagement N'est-ce pas le signe d'un bon roman ? Un récit qui nous fait réagir, qui nous fait espérer, patienter, geindre, que l'on quitte avec un sentiment de victoire ou d'échec, comme si cette gloire ou cette défaite étaient nôtres. Et ce sont un peu les nôtres, effectivement, car on laisse toujours un peu de notre âme dans un livre : et, qui ne voudrait pas que son âme soit bien traitée ?

Un roman que je recommande donc, même si la fin est - un tout petit peu- décevante : trop hâtive et trop easy. On ose tout de même reprendre notre souffle et esquisser un sourire, un tout petit, très discret, de peur de se trahir et de trahir les personnages, et de voir trois talibans surgir de nulle part pour nous empêcher de nous évader.
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