Pas un instant je n'ai été fascinée par Los Angeles. Notre relation a tout de suite été libre et consentie débarrassée de l'arsenal un peu pénible et dégradant de la séduction Je n'ai jamais fantasmé de la posséder je n'ai jamais frémi à l'idée qu'elle me prenne. D'emblée, j'ai fait corps avec
Los Angeles. C'est le propre des villes anti-phalliques : accueillir, et ne rien imposer. New York envoûte, Los
Angeles invite.
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Je parle d’une expérience globale, d’une alchimie, d’une disposition au désir et au plaisir, de sensations d’un corps en milieu urbain. Je parle d’émotion, et d’un certain état de tension provoqué par des rencontres d’un soir mais par une ville, je cherche à comprendre le pouvoir qu’elle a de modifier une personne et sa façon d’appréhender le monde, je m’interroge sur l’impact d’un environnement sur l’humeur, les sens et l’esprit. J’essaie de concevoir ma place dans le paysage.
Los Angeles a beau être une ville ahurissante, disproportionnée, c'est une ville beaucoup plus humaine et vivable qu'on le prétend ou qu'on le fantasme.
Bien sûr, je comprends la commodité qu'il y a à personnifier une ville pour mieux incarner ce qui nous lie à elle. On s'en éprend, on ne veut plus la quitter, on voudrait y vivre. Soit. Mais il me semble que sous la métaphore, il y a un monde d'énigmes à élucider. Que veut vraiment dire tomber amoureux d'une ville ? Comment rendre avec précision la charge érotique qu'il y a à l'appréhender, à l'arpenter, à l'habiter ? Pourquoi certaines villes et pas d'autres ?
Il y a encore quelques années, je n'envisageais pas qu'on puisse tomber amoureux d'une ville. L'expression même me semblait louche, voire vaguement obscène. Je la rangeais dans la catégorie de métaphores utilisées par certains écrivains, du type « mon livre, c'est mon enfant », avec analogies subséquentes de gestation et d'accouchement, ce qui revient à insulter et l'enfant et le livre. A priori, on tombe amoureux d'une personne. Tomber amoureux d'une ville, ça ne voulait rien dire.
Ma naïveté ne va pas jusqu'à penser que l'amour, le vrai, est affranchi de toutes relations de pouvoir. Mon expérience m'indique que travailler à les désactiver, à les désinnerver, à les effriter avec patience, augmente et fortifie l'ardeur du cœur et du corps.