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Critique de Henri-l-oiseleur


L'ouvrage de Laure Murat est fait de deux parties distinctes. La première est un essai sur la relecture, où elle a recours aux sciences humaines, à la psychanalyse, à la théorie littéraire, pour rendre compte de ce phénomène. L'étude est très intéressante et instructive. Elle se fonde sur le témoignage de plusieurs dizaines d'écrivains à qui elle a envoyé un questionnaire sur leurs pratiques de relecture. Les réponses détaillées de ces écrivains (mais aussi universitaires et traducteurs) figurent en seconde partie du volume. Cette deuxième moitié est assez pénible à lire, pour des raisons de fond : Laure Murat, décrivant sa méthode, la présente comme "une enquête auprès de grands (re)lecteurs" (pp. 19-20). Quels critères président au choix de ces "grands" relecteurs ? Chacun est introduit par une brève notice qui annonce, sans plus de recul critique, les raisons de sa présence : avoir été lauréat d'un prix littéraire (Angot, Chamoiseau, Echenoz, Ernaut etc), ou avoir au moins publié des livres, ou enseigner à l'université (mais l'érudition s'accompagne toujours d'humour, n'est-ce pas, voir Noguez p. 243). Peut-on espérer de tous ces personnages publics, à qui l'on demande d'écrire sur leur culture personnelle, qu'ils ne feront pas les malins ? Qu'une fois de plus, qu'ils ne joueront pas aux auteurs devant un public ? Est-il innocent de dire qu'on a lu six fois Proust ou Joyce, ou, pour comble de snobisme, "La petite maison dans la prairie" ? A ce titre, la réponse de Sollers, qui avoue n'avoir rien à ajouter sur la question après les quatre tomes définitifs qu'il a écrits et qu'il énumère, a le mérite de la sincère et grossière vanité. Comment faire une enquête auprès de pareils témoins, dont le témoignage biaisé est donné tel quel, charge au lecteur de le décrypter et d'écrire lui-même une troisième partie du livre ? Ainsi, Laure Murat appelle "grands lecteurs" les écrivains à prix, ne s'interroge jamais sur leur représentativité, et ne se demande pas si une enquête sur la relecture gagnerait à se pencher sur les "petits relecteurs". Ainsi Philippe Lejeune, après avoir étudié l'autobiographie en théorie et en profondeur sur de grands textes, a consacré ses efforts et son attention à l'écriture autobiographique non publiée, commune, celle des anonymes. Il sait bien que la partie invisible de la littérature, les lecteurs, est l'essentiel. Laure Murat, qui croit naïvement que les "grands (re)lecteurs" sont ceux que les médias distinguent et encensent, n'a enquêté que sur la relecture à Saint-Germain des Prés. Elle accrédite l'idée que la création littéraire s'adresse à d'autres créateurs, que les écrivains écrivent pour d'autres écrivains (et pour les journalistes qui feront la retape). Nous, lecteurs et relecteurs, nous ne sommes que les témoins muets de ce théâtre, comme d'habitude.
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