Sacrebleu ! tu te moques de moi ! Je ne suis bon apparemment qu’à payer tes lettres de change ? J’en ai reçu une ce matin : soixante louis ! Te railles-tu des gens ? il te sied bien de faire le fashionable (que le diable soit des mots anglais !) quand tu ne peux pas payer ton tailleur ! C’est autre chose de descendre d’un beau cheval pour retrouver au fond d’un hôtel une bonne famille opulente, ou de sauter à bas d’un carrosse de louage pour grimper deux ou trois étages. Avec tes gilets de satin, tu demandes, en rentrant du bal, ta chandelle à ton portier, et il regimbe quand il n’a pas eu ses étrennes. Dieu sait si tu les lui donnes tous les ans ! Lancé dans un monde plus riche que toi, tu puises chez tes amis le dédain de toi-même ; [tu portes ta barbe en pointe et tes cheveux sur les épaules, comme si tu n’avais pas seulement de quoi acheter un ruban pour te faire une queue.] Tu écrivailles dans les gazettes ; [tu es capable de te faire saint-simonien quand tu n’auras plus ni sou ni maille, et cela viendra, je t’en réponds.] Va, va ! un écrivain public est plus estimable que toi. Je finirai par te couper les vivres, et tu mourras dans un grenier.
Le Marquis – À quoi pensez-vous donc, madame ?
La Comtesse – À ce pou-de-soie rose. Vous ne l’aimez-pas ?
Le Marquis – Non, j’aime mieux ce taffetas feuille-morte.
La Comtesse – C’est une étoffe trop âgée.
Le Marquis – Elle m’a paru toute neuve.
La Comtesse – Laissez donc ! Il y a de ces choses qui sont toujours de l’an passé.
Regarde comme cette nuit est pure ! Comme ce vent soulève sur tes épaules cette gaze avare qui les entoure ! Prête l'oreille ; c'est la voix de la nuit ; c'est le chant de l'oiseau qui invite au bonheur. Derrière cette roche élevée, nul regard ne peut nous découvrir. Tout dort, excepté ce qui s'aime. Laisse ma main écarter ce voile, et mes deux bras le remplacer.
Vous me traitez de Lovelace ; oui, par le ciel ! ce nom me convient. Comme à lui on me ferme une porte surmontée de fières armoiries ; comme lui, une famille odieuse croit m'abattre par un affront ; comme lui, comme l'épervier, j'erre et je tournoie aux environs ; mais comme lui, je saisirai ma proie, et comme Clarisse, sa sublime bégueule, ma bien-aimée m'appartiendra. (Valentin, III, 1)
Je ne compte rien faire qui puisse choquer personne. Je compte d'abord faire ma déclaration ; secondement, écrire plusieurs billets ; troisièmement, gagner la fille de chambre ; quatrièmement, rôder dans les petits coins ; cinquièmement, prendre l'empreinte des serrures avec de la cire à cacheter ; sixièmement, faire une échelle de corde, et couper les vitres avec ma bague ; septièmement, me mettre à genoux par terre en récitant la Nouvelle Héloïse, et huitièmement, si je ne réussis pas, m'aller noyer dans la pièce d'eau ; mais je vous jure d'être décent, et de ne pas dire un seul mot, ni rien qui blesse les convenances. (Valentin, II, 1)
Avec Michelle Perrot, Catherine Arditi
Avec le soutien de la Fondation d'entreprise La Poste
Pour évoquer la vie passionnée de George Sand (1804-1876), on a privilégié ses écrits personnels, son autobiographie, Histoire de ma vie (2 volumes, Pléiade, Gallimard,1970-71) et sa prodigieuse Correspondance, plus de 20 000 lettres réunies et publiées par Georges Lubin (26 volumes, Garnier, 1964-1991). Correspondance amoureuse, réduite par les destructions volontaires, mais surtout amicale, familiale, artistique, politique, quotidienne.., qui montre l'étendue, la variété, la qualité du réseau sandien, témoin et acteur d'un 19e siècle épris de progrès. On y croise Musset, Chopin, Delacroix, Marie d'Agoult, Pauline Viardot, Aragon, Louis Blanc, Hugo, Flaubert (cf. Flaubert-Sand, Correspondance, publiée par A. Jacobs, Flammarion, 1981), tant d'autres. On y entend la voix nocturne (elle écrivait la nuit), chaleureuse, tendre, ironique d'une femme libre, affrontée à tous les défis du siècle.
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