Cette semaine, j'étais au festival de courts-métrages de Clermont-Ferrant et j'ai réussi entre autres à me passer d'Internet plusieurs jours (mais pas des jeux vidéo à la con). En bon petit L, j'ai regardé et analysé des tas de films, je suis même passé à la télé de mon lycée, bref au final j'ai été un vrai petit veinard. Là où ça n'allait pas, c'est que les courts-métrages n'étaient pas tous de la même qualité. Par exemple, il y avait eu cette séance de trois films : le premier avait des bonnes idées, mais était bateau à l'extrême, le troisième était une saloperie érotique qui ne m'a pas lâchée de toute la nuit, par contre le deuxième... Purée, le deuxième ! C'était le triangle amoureux entre Sand,
Musset et Chopin. le musicien apparaissait comme angélique tandis que l'écrivain était toujours diabolique, obscur, sombre, sans jamais tomber vraiment dans le piège de la romance à deux balles (je suis sûr que ce ne sont pas les exemples qui vous manquent...). Est-ce que le côté inquiétant de ce grand dramaturge français transparaissait dans ses écrits ? Oui, et c'était aussi un avant-gardiste, un révolutionnaire, un romantique qui vivait toutes ses émotions à fond et qui les exprimait de la manière la plus forte possible. Seulement, est-ce que ça fait tout ?
Évidemment, on peut saluer son envie de tordre le cou aux règles de la tragédie classique : plus d'unité de temps, plus d'unité de lieu, plus d'unité d'intrigue. Plus de bienséance, plus d'alexandrin, un peu de vulgarité, de prosaïsme, de violence, et surtout, un mépris des autres pièces, de sorte que
Musset avait tout écrit de façon à ce que ce soit injouable. du théâtre underground, quoi.
Simplement, mettre autant de personnages que dans Game of Thrones et en tuer à peu près le même nombre ne suffit pas à créer une bonne histoire. Entre deux bavardages gratuit censés rendre la pièce plus réelle,
Alfred de Musset multiplie les anachronismes et les sous-intrigues inutiles. Des sujets sont modernes, mais les dialogues grandiloquents. Les psychologies sont solides, mais les monologues innombrables. L'idée n'est pas de plaire, ce qui est compréhensible, mais de choquer les critiques, ce qui sur ce coup est grotesque.
Après des pages et des pages mornes et d'une lenteur Da Rosesque, on saisit peu à peu ce qui se trame à Florence, charmante petite bourgade où s'entretuent quotidiennement les Salviati, les Médicis et les Strozzi. le duc est un joyeux drille qui fornique à peu près tout ce qui passe près de son nez et qui a des rondeurs à la poitrine. Son larbin en chef, Lorenzo, est un trouillard paradoxalement doté d'un sens de l'humour cynique, seule bouffée de soleil dans ces lieux trop graves. Voilà-t'y pas qu'un beau jour il décide de l'assassiner. Entretemps, la marquise Cibo et son beau-frère cardinal se chamaillent joyeusement pour une histoire d'adultère qui ne servira à rien, les familles fomentent des complots qui ne serviront à rien, et le duc se fera un portrait où il se retrouvera mêlé à une histoire de cottes de mailles qui ne servira à rien. "Phèdre" était bien plus palpitant, alors qu'il respectait à la lettre les canons du classicisme.
Paradoxalement, la fin reste réussie : l'adieu aux Strozzi et aux Salviati dont la lutte est ridiculisée par les chamailleries de leurs enfants, le couple Cibo qui s'aime à nouveau apparaissant sous un jour touchant, Lorenzo perdu, oscillant au bord de la folie tout en voulant rester le même ; et enfin, le discours du nouveau duc, teinté d'une ironie mordante.
PS : En après-séance, je discute avec Mathéo, un gars de ma classe rappeur et passionné du théâtre. Il me dit qu'il a trouvé que "19 Juin" n'avait aucun intérêt, et surtout pas dans le jeu des acteurs. Pourtant, la qualité du filmage, la superbe reconstitution et la mise en scène donnent l'impression qu'ils jouent parfaitement bien. Un bon film est-il nécessairement un film où les acteurs jouent bien ? Les débats sont ouverts.