AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Patsales


Trois femmes puissantes, roman.
Sauf que ce n'est pas un roman à proprement parler, et que les femmes puissantes, on les cherche. À moins de comprendre « puissant » non dans le sens d' « autoritaire » mais comme « ce qui produit de grands effets ».
Car des effets, elles en produisent, ces femmes, qui transforment les hommes autour d'elles en bourreaux pathétiques, affolés par un misérable sentiment de culpabilité. le père, vrai salaud et vrai coupable, regrette que le mal fait à sa fille l'empêche de réparer le mal fait à son fils. le mari, pauvre type et salaud par omission, craint que le mal fait à sa femme ne le voue à la solitude et la détestation de soi. L'amant, vraie victime, se résout à devenir salaud quand il comprend qu'il a failli dans son rôle de protecteur.
Tous ces êtres, hommes comme femmes, analysent leurs sentiments d'impuissance et de déréliction dans un récit au plus près des sentiments, dans une zone d'infra-conscience... Mais bon sang, c'est bien sûr ! Nathalie Sarraute, sors de ce bouquin, avec tes tics de nouvelle romancière, ton « stream of consciousness », tes « tropismes », ton refus de l'intrigue et tes monologues narrativisés...
Comme c'est le premier roman de Marie NDiaye que je lis, je risque fort de dire des âneries, mais je n'ai pu m'empêcher de faire le lien entre cette écriture très « nouveau roman » et le thème même de ces « Trois femmes puissantes »: j'y vois dans les deux cas une réflexion sur les valeurs de l'Occident.
Car y a-t-il plus occidental que cette remise en cause de la littérature traditionnelle qui mise sur Proust pour critiquer Balzac et réfute l'individu au point de le réduire à sa conscience, bref qui crache dans une soupe à laquelle elle s'est largement abreuvée ? Or, c'est bien la relation à l'Occident qui constitue la trame essentielle de ce que l'auteur a appelé « roman » et non « nouvelles », ce qui oblige le lecteur à trouver une évolution de Norah à Fanta et de Fanta à Khadi. Norah vit en France et se refuse à penser qu'elle ait pu vivre en Afrique. Elle est avocate, a socialement réussi et souffre d'avoir un compagnon qu'elle estime certes aimant mais trop immature. le lecteur doit partager des états d'âme dont l'analyse subtile prend assez peu en compte toute l'ampleur du drame (meurtre et erreur judiciaire) qui se dévoile peu à peu. Fanta a quitté l'Afrique, épousant un Français qui l'entraîne dans son déclassement. Elle n'existe que dans le monologue intérieur de son époux. Khadi, sans famille, veut rallier l'Europe et connaît les affres et souffrances d'une migrante dont personne ne veut. Et son périple est transcrit de façon beaucoup plus factuelle que les histoires précédentes.
Je vois dans ce livre une double progression: vers l'extériorité, de l'auto-analyse apitoyée à l'affirmation de soi; vers la gravité, des problèmes de couples fantasmés à la perte de tout. Et l'Occident devient un lieu où l'on se perd parce qu'il faut s'y inventer des problèmes pour exister, s'enfermer dans des ratiocinations complaisantes pour ne pas voir l'horreur que vivent les opprimés qui nous assiègent.
Pleurons donc sur notre sort de nantis, nous dit Marie NDiaye. Ouvrons de grands yeux lucides sur nos souffrances intérieures. Mais cela ne suffira bientôt plus à contenir les damnés de la terre.
Commenter  J’apprécie          599



Ont apprécié cette critique (53)voir plus




{* *}