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EAN : 9782707318596
176 pages
Editions de Minuit (05/02/2004)
2.94/5   9 notes
Résumé :

Ce volume comporte cinq nouvelles écrites au cours des deux dernières années.
Dans Tous mes amis, un professeur tâche de comprendre pourquoi son ancienne élève a usé d'une telle volonté pour oublier l'enseignement qu'il lui a dispensé avec ardeur, et pour oublier, même, qu'il a été professeur.
La Mort de Claude François raconte les retrouvailles de deux amis d'enfance, l'une restée d'une fidélité absolue à la mémoire du chanteur adoré, l'... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Car le style de Marie Ndiaye mériterait un article à lui tout seul. Un professeur totalement ignoré de l'une de ses anciennes élèves, deux ex-amies qui n'ont jamais digéré la mort de Claude François, un coin de campagne pauvre où l'on n'hésite pas à vendre ses enfants les plus réussis, une femme enfuie de chez elle à la rencontre du bonheur et poursuivie par son passé, une mère qui va se débarrasser d'un enfant qu'elle ne supporte plus, croit-elle, tout ça n'est pas bien grave, n'était cette écriture qui transfigure tout et offre à ces récits une dimension qui les transcende.

En effet la phrase de Marie Ndiaye, du moins lorsqu'elle est longue - et ceci est vrai aussi pour tous les autres livres de l'auteur - , la phrase de Marie Ndiaye, donc, est souple et sinueuse. Elle s'enroule autour de ce qu'elle veut dire et tourne autour et rectifie sa trajectoire et ne lâche pas son sujet avant d'avoir totalement exprimé ce qu'il y avait à exprimer, quitte à se prolonger encore, quitte à employer des tournures syntaxiques aventureuses (pour ne pas dire acrobatiques), quitte à chercher sans cesse un vocabulaire plus juste, plus précis, et particulièrement en ce qui concerne les adjectifs, voire les séries d'adjectifs (Marie Ndiaye est véritablement la reine de l'adjectif). de telles phrases sont complexes à l'image de ce qu'elles veulent saisir, et limpides cependant. Un exemple : " le souvenir de soirées récentes où l'argent d'un autre avait été dépensé sans compter pour son plaisir à elle, repas fins, sorties à l'opéra, dans des bars sophistiqués, en vue non pas de la séduire, car séduite et amoureuse elle l'était depuis longtemps déjà, mais de sertir ce bel ornement de l'amour et de la séduction dans une monture d'usages, d'agréments convenus, - surgit dans la mémoire de Brulard comme les faits d'un passé très ancien et irrattrapable, et si tout cela était désirable, délicieux, s'y attachait aussi maintenant que Jimmy était là (ce sempiternel pauvre Jimmy) quelque chose de vaguement et bêtement déloyal, même si l'autre homme lui avait plu bien avant qu'elle ait eu connaissance de ce qu'il possédait. " On peut dire d'une telle phrase qu'elle a une amplitude, comme on dirait d'une onde. Un autre exemple : " Il regardait Mour le père pour tenter de se convaincre que la position d'Anthony n'était pas désirable, n'était pas méritoire, Mour le père que le déshonneur dans sa maison pétrifiait de dégoût, mais qu'importait, se disait René, qu'importait puisque ce n'était pas lui, René, qui s'enfonçait maintenant dans la cour ardente, qui s'éloignait à jamais, lui semblait-il, de la cuisine misérable des Mour, puisque ce n'était pas lui mais le bel Anthony qu'une femme nommée E. Blaye, venant de la ville, de l'âge de madame Mour quoique paraissant moins, suivait de très près dans la poussière de la cour en contemplant certainement sa nuque noire, ses épaules douces, en enveloppant le cou d'Anthony de la tiédeur impatiente de son propre souffle. " C'est une phrase à laquelle on pourrait pour ainsi dire prendre le pouls.

Et c'est précisément parce que cette complexité est abordable que des idées, des sentiments complexes eux aussi se laissent aborder, qui seraient autrement restés enfouis, indécelables. Ce qui donne lieu à de fulgurantes intuitions psychologiques : " Quel était le point à partir duquel l'ébranlement de la déconvenue vous fait tomber de l'espoir dans la détresse ? ", ou encore " Il sait de quoi il s'agit ou il le devine à partir de ce qu'il sait et que j'ignore, et il sait que je l'ignore, pensa-t-elle avec une tranquille pénétration, l'esprit soudain dégagé, se sentant presque froide, impassible, capable d'accepter le pire et non pas l'appelant mais le pressant, si cela devait être, de se révéler. ", sans oublier " Il lui semblait, malgré le vertige, avoir tout compris, cependant elle ignorait encore ce qu'elle avait compris, tout en sachant que ce n'était qu'une question d'heures, de minutes peut-être, avant d'en avoir l'élucidation. Elle avait compris mais, mon dieu, comme elle redoutait d'apprendre ce qu'elle avait compris. " Voilà typiquement des sentiments qu'on ne peut sinon découvrir, du moins explorer, qu'en les écrivant, en les saisissant dans une forme - celle de la phrase en l'occurrence.

Nous disions que Tous mes amis n'est pas, loin s'en faut, le meilleur livre de l'auteur. Ce qui est une bonne nouvelle, finalement, car en lisant le livre on s'accompagne de l'enthousiasmante arrière-pensée que Marie Ndiaye peut faire beaucoup mieux, qu'elle l'a déjà fait (qu'on lise seulement Rosie Carpe), et que selon toute probabilité elle le fera encore. le genre de la nouvelle est un genre réputé difficile ; il permet néanmoins à Marie Ndiaye de nous prouver, s'il en était encore besoin, toute l'étendue de son talent.

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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Elle s'en voulait. Ce fils n'était pas méchant. Ses facultés de cruauté avaient diminué à mesure qu'augmentait la rancœur agressive de la mère. Elle se rendait compte de la hargne et sa détresse puisaient leur aliment précisément dans la progressive disparition de ces sentiments chez le fils.
Non, ce fils-là n'était pas méchant, hélas.
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Brulard sentait la montagne dans son dos, qui l'observait. La montagne encore invisible, enveloppée de nuages, descendait jusqu'au lac. Où qu'elle se tournât, Brulard devinait la montagne et il lui semblaient que cette présence austère n'était que l'une des incarnations choisies par sa mère, morte depuis peu, pour peser sur la conscience de Brulard.
Mais, oh, elle se moquait bien d'être surveillée.
Elle s'en allait, fermement, vers un bonheur nouveau.
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Videos de Marie NDiaye (30) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Marie NDiaye
Le réel, dans l'oeuvre de Marie NDiaye, est bien souvent teinté d'étrangeté. le fantastique y affleure dans des univers réalistes, parfois triviaux ; comme si ces effets de dissonance, en s'immisçant dans le quotidien, offraient une meilleure compréhension du monde et le rendaient plus intelligible. Explorant des lieux de marginalité, ses romans arpentent des territoires ambivalents, en tension, où les personnages pourtant ancrés dans l'ordinaire vacillent parfois vers la folie. Évoluant dans une atmosphère cruelle, sur le seuil d'univers heurtés où l'équivoque s'impose, ils ne cessent de questionner leur appartenance, se confrontent à la métamorphose, à l'étrangeté du lien familial et aux déplacements incessants. Dans ce grand entretien, l'autrice évoquera l'évolution de son écriture tout au long de son parcours d'écrivaine majeure de la littérature contemporaine, qui a également investi le théâtre comme lieu d'exploration de la cruauté et de l'ambivalence humaines.
Marie NDiaye est l'autrice d'une oeuvre prolifique depuis la parution, en 1985, de son premier roman à l'âge de dix-sept ans (Quant au riche avenir, Minuit). Elle a obtenu le prix Fémina en 2001 pour Rosie Carpe, et le prix Goncourt en 2009 pour Trois femmes puissantes. En 2012, elle se voit décerner le Grand Prix du théâtre de l'Académie française, après avoir écrit de nombreuses pièces de théâtre dont Papa doit manger, qui est entrée au répertoire de la Comédie-Française en 2003.
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