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Citations sur Autres rivages (39)

Un instant plus tard mon premier poème fusa. Qu'est-ce qui le déclencha ? Je crois le savoir. En l'absence de tout vent, du fait simplement de son poids, une goutte de pluie, brillant comme un luxe parasite sur une feuille en forme de coeur, en fit plonger la pointe, et ce qui avait l'aspect d'une gouttelette de mercure exécuta un brusque glissando en suivant la nervure centrale, et alors, ayant perdu son lumineux fardeau, la feuille soulagée se redressa. "Lisse, diamant, glisse, soulagement" - l'instant qui suffit à tout cela pour se produire me sembla être non tant une fraction du temps qu'une fissure dans le temps, un battement de coeur manquant, aussitôt remboursé par un crépitement de rimes. Je dis bien : "crépitement", car lorsqu'on souffla une rafale, les arbres se mirent à dégoutter tous à la fois, imitant la récente pluie torrentielle aussi grossièrement que la strophe que déjà je murmurais ressemblait au spasme d'émerveillement auquel j'avais été en proie quand, l'espace d'un instant, coeur et feuille n'avaient plus fait qu'un.
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La spirale est un cercle spiritualisé. Dans la forme hélicoïdale, le cercle, délové, déroulé, a cessé d'être vicieux; il a été rendu libre.
Plus loin :
Une spirale colorée dans une petite boule de verre, voilà comment je me représente ma propre vie.
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Dans la pureté et la vacuité de cette heure moins familière, les ombres étaient du mauvais côté de la rue, lui prêtant la parure non sans élégance d'un renversement, comme lorsqu'on voit reflétée dans le miroir d'un salon de coiffure la vitrine vers laquelle le coiffeur mélancolique, tout en repassant sur le cuir son rasoir, tourne son regard (comme ils font tous en pareil moment), et, encadrée dans cette vitrine reflétée, une section de trottoir qui aiguille un défilé de piétons imperturbables dans la mauvaise direction, vers un monde abstrait qui, subitement, cessant d'être drôle, déchaîne un torrent d'effroi.
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Les trois arches d'un pont à l'italienne, franchissant le cours d'eau étroit contribuaient à former, avec l'aide de leurs répliques dans l'eau presque parfaite et presque sans rides, trois ovales exquis. À son tour, l'eau jetait une tache de lumière fine comme de la dentelle sur la pierre des intrados, sous lesquels notre petite embarcation passait en glissant. Çà et là, perdu par un arbre en fleur, un pétale lentement descendait en tournoyant, tournoyant, tournoyant, et, en ayant l'étrange sentiment de voir quelque chose que ni un fidèle, ni un spectateur fortuit ne devrait voir, on surprenait son reflet qui rapidement -plus rapidement que le pétale ne tombait- s'élevait à sa rencontre ; et pendant une fraction de seconde, on avait peur que le tour ne ratât, que l’huile bénite ne s'enflammât pas, que le reflet fit défaut et que le pétale ne s'éloignât en flottant, tout seul ; mais chaque fois la délicate union avait lieu, avec la magique précision d'un mot de poète rencontrant à mi-chemin son souvenir à lui, ou celui du lecteur.

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J'assiste avec plaisir à l'exploit suprême de la mémoire, à cet usage magistral qu’elle fait des harmonies innées lorsqu'elle rassemble au bercail les tonalités interrompues et errantes du passé. Je me plais à imaginer, quand j'embrasse le passé d'un coup d'œil rétrospectif, comme couronnement et résolution de ces accords cacophoniques, quelque chose d'aussi permanent que la longue table que, aux jours d'anniversaires et de fêtes en été, l’on dressait au-dehors pour le chocolat du goûter, dans une allée de chênes, de tilleuls et d'érables, à l'endroit où elle débouche sur l'espace sablé et aplani du jardin proprement dit qui séparait le parc de la maison. Je revois la nappe et les visages des personnes assises participant aux jeux de lumière et d'ombre sous un mouvant et fabuleux feuillage, exagéré, sans aucun doute, par le même pouvoir de commémoration passionnée, de perpétuel retour, qui me fait toujours m'approcher de cette table de festin en venant du dehors, des profondeurs du parc -non de la maison- comme si l'esprit, afin de revenir là, devait s'y prendre avec les pas silencieux d'un enfant prodigue nu-pieds, défaillant d'émotion.
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Aimer de toute son âme et, quant au reste, s'en remettre au destin, telle était la règle simple à laquelle elle obéissait. " Vot zapomni (N'oublie pas cela)", disait-elle, sur un ton de conspiratrice en attirant mon attention sur tel ou tel objet de son amour, à Vyra -- une alouette montant dans le ciel lait-caillé d'un jour couvert de printemps, des éclairs de chaleur prenant des instantanés d'une ligne d'arbres au loin dans la nuit, la palette de feuilles d'érable sur le sable brun, les empreintes cunéiformes des pas d'un petit oiseau sur la neige nouvelle. Comme si elle sentait que dans peu d'années, toute la part tangible de son univers périrait, elle cultivait un état d'attention extraordinaire...
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Depuis l'âge de sept ans, toutes mes sensations par rapport avec un rectangle de lumière de soleil encadré par la fenêtre, ont été commandées par une passion unique. Si mon premier regard du matin était pour le soleil, ma première pensée était pour les papillons qu'il engendrait. Il y avait eu, à l'origine de cela, un incident assez banal. Sur le chèvrefeuille surplombant le dossier sculpté d'un banc, juste en face de l'entrée principale, l'ange qui me guidait ( et dont les ailes évoquaient celles du Gabriel de Fra Angelico, moins les franges de style florentin) m'indiqua un visiteur d'une espèce rare, une splendide créature jaune pâle avec des taches noires et des crénelures bleues, et un ocelle vermillon sur chaque queue noire bordée de jaune de chrome.Tout en sondant la fleur inclinée à laquelle il était suspendu, il ne cessait d'agiter, par saccades nerveuses, ses grandes ailes, et mon désir de le posséder devint irrésistible.
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Quand je me reporte en arrière, à ces années d'exil, je me vois, moi, et des milliers d'autres Russes, menant une existence bizarre, mais nullement désagréable, dans l'indigence matérielle et le luxe intellectuel, parmi des étrangers parfaitement insignifiants, Allemands et Français fantomatiques, dans les villes plus ou moins illusoires desquels nous, émigrés, venions à demeurer. Ces aborigènes étaient pour l'oeil de l'esprit aussi plats et transparents que des silhouettes découpées dans de la cellophane, et bien que nous nous servions de leurs accessoires, applaudissions leurs clowns, cueillions les prunes et les pommes sur les bords de leurs routes, aucune communication réelle, riche d'humanité de cette sorte si répandue dans notre propre milieu, n'existait entre nous et eux.
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Oui, je m’enorgueillis d’avoir discerné dès cette époque les symptômes de ce qui est si manifeste aujourd’hui, où une sorte de cercle de famille s’est peu à peu formé, unissant les représentants de toutes les nations, de gaillards bâtisseurs d’Empire dans leurs clairières de jungle, les policiers français, l’innommable produit allemand, les bons vieux faiseurs de pogromes, russes ou polonais, assidus aux offices divins, le maigre lyncheur américain, l’homme aux dents gâtées qui fait gicler des histoires chauvines au bar et aux w.-c, et, en un autre point de ce même cercle infra-humain, ces impitoyables automates aux visages de papier mâché, vêtus de pantalons curieusement larges et de vestons aux épaules carrées que l’État soviétique commença d’exporter autour de 1945, après plus de deux décennies d’élevage sélectif et de confection sur mesure durant lesquels la mode masculine à l’étranger avait eu le temps de changer…


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Le berceau balance au-dessus d'un abîme, et le sens commun nous apprend que notre existence n'est que la mince lumière d'une fente entre deux éternités de ténèbres.
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