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Critique de batlamb


La lecture de Nabokov nécessite une grande concentration, tant ses phrases s'allongent et s'amplifient à coup d'incises et d'avalanches de détails, dont la plupart - merveilleux exploit - ne s'avèrent pas superflus et participent de l'atmosphère capiteuse du roman : cette obsession du détail peut refléter l'obsession du joueur d'échecs examinant toutes les combinaisons possibles sur son plateau, afin de mieux s'enfoncer dans une pensée abstraite également retranscrite par le goût de Nabokov pour les envolées lyriques à l'improviste.

Il y aurait sans doute beaucoup plus à dire sur l'impeccable construction et la cohérence stylistique de « La défense Loujine », qui suit certains mouvements et motifs que l'on retrouve sur le plateau d'échecs. Mais encore aurait-il fallu que j'en connaisse assez sur ce jeu. Heureusement, ce dernier point n'est pas un frein à la lecture et à l'interprétation, car le roman escamote l'aspect le plus technique du jeu, pour se focaliser sur la psychologie du héros, et son rapport au réel.

De fait, la défense Loujine décrit la façon dont une passion dévorante recompose la réalité, en saturant la conscience. Nabokov dépeint les raisons qui, depuis l'enfance, conduisent Loujine à se "défendre", en s'enfermant dans le monde des échecs, où il devient inapte à une autre forme d'existence. Tout découle des difficultés initiales de l'enfant Loujine à saisir la nature des rapports sociaux, même avec ses parents. La vision du monde offerte par les échecs le fascine, car elle s'avère bien plus facile à appréhender pour sa psyché particulière. Loujine circonscrit et apprivoise dans ces carrés blancs et noirs un fragment de l'infinité effrayante du réel. Il trace des lignes, s'enferme dans des cases protectrices qui lui évitent de se confronter aux autres complexités de la vie humaine… du moins jusqu'à un certain point.

Car ne connaissant pas d'autre logique, d'autre rapport au réel, Loujine finit par pousser sa passion trop loin, au-delà de 64 cases. Les lignes se prolongent, se distordent, débordent dans la vie, et la folie n'est pas loin. « La verticale était infinie, comme toute ligne, et l'oblique l'était également » : cette propriété géométrique qui fascine Loujine finit par se retrouver dans ses rêves, où des glaces démultiplient son reflet devant le plateau de jeu en des lignes infinies qui effacent peu à peu son existence. le problème d'échec devient sans solution : continuer, c'est se consumer dans la flamme de sa passion. Mais s'arrêter c'est mourir à petit feu, car l'esprit de Loujine ne connaît pas d'autre façon de fonctionner. Dans les deux cas, nous avons affaire à une vie vouée à l'échec.

Les descriptions maniaco-minutieuses de Nabokov se mettent alors à dessiner un enfer comparable au panneau de droite du jardin des délices de Bosh, qui est décrit dans le texte sans être nommé.

Face aux autres et à leur pitié mal placée, la folie obsessionnelle de Loujine lui permet d'échapper à une vie se jouant sans lui (car son identité demeure celle d'un joueur d'échec). Mais bien entendu, une fois les limites du plateau flouées, le joueur n'a plus le contrôle de la partie. Ses rêves jouent aux échecs avec lui, et le sacrifient quand bon leur semble.
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