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Marie-Hélène Dumas (Traducteur)
EAN : 9782259198820
396 pages
Plon (30/11/-1)
3.96/5   191 notes
Résumé :
Après avoir dû démissionner de l'Université de Téhéran sous la pression des autorités iraniennes, Azar Nafisi a réuni chez elle clandestinement pendant près de deux ans sept de ses étudiantes pour découvrir de grandes œuvres de la littérature occidentale. Certaines de ces jeunes filles étaient issues de familles conservatrices et religieuses, d'autres venaient de milieux progressifs et laïcs, plusieurs avaient même fait de la prison.

Cette expérienc... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (44) Voir plus Ajouter une critique
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Après avoir découvert par le plus grand des hasards et avec passion l'essai " La République de l'imagination" ... j'ai enchaîné avec un récit antérieur de cette dame, qui date de 2004. Nous ne pouvons être qu'époustouflés par le courage et la détermination de cette enseignante-écrivaine, qui s'est battue avec panache et courage pour la liberté d'enseigner dans son pays d'origine, l'Iran...afin de transmettre son amour de la littérature à ses étudiants. ...

Dans ce récit qui date de plus de dix années, elle relate une expérience singulière et unique avec huit de ses étudiantes les plus motivées...

Brimée à l'Université de Téhéran où elle enseigne, elle tient bon tant qu'elle peut, et finit par démissionner.

Ne pouvant pas non plus partir d'Iran pour enseigner dans un autre pays, elle concrétise une idée de séminaire à domicile autour de la littérature américaine, et plus spécifiquement autour de "Lolita" de Nabokov... La littérature comme espaces de liberté, d'apprentissage
du sens critique et de rebéllion !

Expérience originale et hautement "subversive" dans un pays sous dictature, où les interdits succèdent aux interdits, la censure à d'autres censures, où règne la forte ségrégation entre les étudiants et les étudiantes...

Les étudiants entrant quotidiennement à l'Université par la porte centrale, la "Grande porte", alors que les étudiantes doivent pénétrer par une petite porte de
côté, "honteuse"... où elles sont , chaque jour, avant leurs cours, fouillées, inspectées de pied en cap, pour vérifier que leur tenue est correcte !!!

Ce pays natal que l'auteure adore, mais qui devient à son grand désespoir, une terre de terreur !

Ce séminaire de littérature à son domicile nous montre ces jeunes étudiantes brillantes , paralysées, contraintes dans leur quotidien , dans leur famille, etc...arrivant chez leur professeur, avec les vêtements, et le voile obligatoires...Premier geste pour couronner ces cours de littérature, particuliers, à tous points de vue: le
"déshabillage"... pour faire place à des vêtements colorés, joyeux, les chevelures se défont... thé et gâteaux partagés, que chacune apporte à tour de rôle...et place à La LITTERATURE, sorte de reconquête d'un espace de liberté et d'expression spontanée

Un très beau témoignage qui fait honneur à la Littérature et au courage des femmes...dans un pays de dictature et de fanatisme religieux...
J'achève cette modeste critique (car ce récit est très dense et très riche de multiples questionnements) par deux extraits qui offrent l'essentiel de la teneur centrale de ce récit incroyable !

"Les seuls moments où elles s'ouvraient et s'animaient vraiment étaient ceux de nos discussions autour des livres. Les romans nous permettaient d'échapper à la réalité parce que nous pouvions admirer leur beauté, leur perfection, et oublier nos histoires de doyens, d'université et de milice qui arpentait les rues. (…)
Les romans dans lesquels nous nous évadions nous conduisirent finalement à remettre en question et à sonder ce que nous étions réellement, ce que nous étions si désespérément incapables d'exprimer. (p. 64-65)"

Cette pièce devint pour nous un lieu de transgression. le pays des merveilles. Installées autour de la grande table basse couverte de bouquets de fleurs, nous passions notre temps à entrer dans les romans que nous lisions et à en ressortir. Lorsque je regarde en arrière, je suis stupéfaite de tout ce que nous avons appris sans même nous en rendre compte. Nous allions, pour emprunter
les mots de Nabokov, expérimenter la façon dont les cailloux de la vie ordinaire se transforment en pierres précieuses par la magie de la fiction. (p.22-23)
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Azar Nafisi nous plonge avec ce livre au coeur de la révolution qui a mené à la république islamique iranienne : le départ du Shah, le bras de fer entre communistes et religieux pour le pouvoir, et finalement la victoire de ces derniers. Pour les femmes, le choc est rude : voile obligatoire, liberté de plus en plus restreinte, … la révolution a à ce point marqué les esprits que le moindre détail insignifiant doit faire partie du combat contre l'impérialisme : des ongles trop longs, le port de la cravate, applaudir, deviennent des gestes de la culture occidentale décadente à bannir.

Face à un gouvernement qui a de moins en moins conscience de la réalité du terrain, les iraniens se scindent en deux : une personnalité publique qui s'efforce de coller à l'image qu'on attend d'eux, rappelée régulièrement par la police des moeurs ; et une privée, qui ne s'exprime qu'entre quatre murs, en présence de gens de confiance.

Azar Nafisi nous parle également de son expérience en tant que professeur de littérature anglo-saxonne, puis plus tard, après avoir démissionné, des petits séminaires organisés dans son appartement avec quelques uns de ses anciennes étudiantes. Elles y étudient ensemble Nabokov, Fitzgerald, Austen, … , des auteurs qui ne sont pas particulièrement bien vus par le pouvoir en place. Ces oeuvres les aident à la fois à mieux analyser ce qu'elles sont en train de vivre et leur donne la possibilité de rêver.

Lire Lolita à Téhéran offre un aperçu de l'Iran vécu de l'intérieur, et de la vie quotidienne, des peurs, des rêves, des espoirs de ses habitants. Il aidera aussi à mieux comprendre toute la complexité du pays, trop souvent réduit à quelques diatribes de ses dirigeants.
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Azar Nafisi est professeur de littérature à Téhéran. Opposée à toute forme de totalitarisme mais profondément attachée à son pays, elle a tenté, à travers l'étude de certaines oeuvres classiques, de développer le sens critique de ses étudiants. Dans l'intimité de son salon, elle a tenu pendant deux ans un séminaire réunissant plusieurs jeunes filles qui partageaient leurs rêves et leurs réalités en compagnie de Lolita, Gatsby, Elisabeth Bennet, et bien d'autres.

Ce récit, qui se situe entre le roman et l'essai, fait partie de ces lectures nécessaires qui font réfléchir. Parce qu'il est impossible de ne pas appréhender l'ouvrage sans faire le lien avec la situation actuelle en Europe. Au point qu'il m'a fallu faire une pause en pleine lecture (et lire autre chose), ce qui ne m'arrive jamais. Parce que les mécanismes mis en oeuvre, insidieusement, avec l'assentiment d'une partie de la population fragilisée et crédule, qui ont fait basculer l'Iran moderne du Shah dans la République Islamique, modèle dans lequel se sont perdus les érudits, la culture, le libre arbitre et l'esprit critique, ces mécanismes donc, s'apparentent fortement aux politiques actuelles dans nos contrées.

Difficile, voire impossible, de ne pas faire le lien entre les brigades de la morale qui arpentent les rues pour vérifier que les femmes portent bien leur foulard et les brigades Covid de nos polices ; impossible de ne pas comparer la propagande médiatique par la peur et la censure « anti-occidentale » qui l'accompagnait avec ce qu'il se passe aujourd'hui dans la presse et sur les réseaux sociaux. En prenant un peu de hauteur, bien que le fond n'ait aucun rapport, les exemples sur la forme ou les risques de dérives qui y sont liés sont légion et rend d'autant plus glissante la pente sur laquelle nous nous sommes engagés.

A travers ce contexte qui la perturbe beaucoup car il la pousse à se questionner sur l'impact qu'elle pourrait avoir sur des étudiants en souffrance, qu'ils soient acquis à la cause islamique ou en désaccord avec le régime qui se met en place, l'autrice a d'abord exploité l'oeuvre de Fitzgerald et a été jusqu'à organiser le procès de Gatsby. Dans un auditoire composé de jeunes femmes qui tentent de conserver leur liberté de parole et de pensée et de jeunes hommes de plus en plus convaincus que l'occident en général et l'Amérique en particulier incarnent le Mal sur terre, Azar Nafisi s'expose constamment. A la vindicte du corps professoral que ses prises de position dérangent et à l'agressivité d'une partie de ses élèves qui rêveraient de la voir « remise à sa place ».

Quand la République islamique sera installée, que la guerre contre l'Irak aura débuté, c'est Henry James qui lui servira de prétexte à tenir débat, à secouer les idées reçues avant de se faire éjecter de l'université.

Et une fois un semblant de paix revenue, sans pour autant que les dogmes installés sous Khomeyni disparaissent, c'est grâce à Jane Austen et Nabokov qu'elle réunira chaque jeudi pendant deux ans des étudiantes qui oseront enlever leur voile et leur longue robe noire le temps des échanges.

Une certaine complicité unira ces femmes entre elles, sans pourtant parler d'amitié. Chacune se posera mille et une questions, aussi bien sur le présent que sur l'avenir. Quand on se sent étranger en son pays, vaut-il mieux partir en espérant un monde meilleur, ou faut-il rester par patriotisme, pour résister et montrer que l'on n'est pas à terre ?

Azar Nafisi nous propose donc ici un témoignage poignant, bouleversant par moment et nous confirme que la littérature, pour imaginaire qu'elle soit, et la liberté d'expression au sens large, restent des socles de démocratie solides que nous avons tous le devoir de protéger. Et que même si le doute, voire le découragement, sont parfois inévitables, rester en cohérence avec ses convictions profondes, plier mais ne jamais rompre, poser un regard critique sur les croyances et les dogmes et désobéir s'il le faut, permettent à l'humain de rester Libre, même en enfer.
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Impressions de lecture…

Lolita de Nabokov est un de mes livres préférés, le titre a donc immédiatement attiré mon attention. Et en tant que féministe et amoureuse de la littérature, l'histoire de ce groupe de femmes - réuni clandestinement autour de l'auteur elle-même, dans son salon, pendant la révolution islamique en Iran, pour lire de grandes oeuvres occidentales – a éveillé mon intérêt. L'avis de Margaret Atwood, cité en quatrième de couverture, a fini de me décider : « Un livre captivant. Il explore avec ferveur et conviction le pacte tacite existant entre l'écrivain, le livre et le lecteur. Tous les lecteurs devraient lire ce livre ». Chose curieuse, quand j'ai acheté puis lu ce livre, je n'avais pas vraiment fait attention au nom de Margaret Atwood (dont je n'avais encore rien lu) et, hasard des pérégrinations et envie de lectures, après avoir terminé cet ouvrage de Nafisi, j'ai plongé dans La Servante écarlate d'Atwood. Et bien sûr, on ne peut s'empêcher de voir des résonnances entre les deux oeuvres, notamment la description des sensations qu'on peut avoir quand on sort voilée, la contrainte physique de ne rien laisser dépasser, la négation du corps, le fait d'être ramené à un regard, la réduction du champs visuel…

Je reviens sur le livre d'Azar Nafisi. L'oeuvre est inclassable : ni roman, ni reportage, il est à mi-chemin entre les deux. Azar Nafisi y raconte son expérience de professeur de littérature anglo-saxonne à l'université de Téhéran, puis chez elle quand elle se retrouve obligée de démissionner et qu'elle organise dans son salon des séminaires avec certaines de ces étudiantes. le livre est donc le témoignage d'une intellectuelle dans un monde en guerre, où les libertés individuelles, notamment celle des femmes, se réduisent comme peau de chagrin. Mais il se rapproche du roman, car l'auteur a été obligée d'injecter une certaine dose de fiction. Comme elle l'indique dans une note préliminaire, pour des raisons de sécurité, pour protéger les gens concernés, elle a dû changer leurs noms et « certains traits des personnages et des évènements décrits dans ce récit ont été déformés ».

Bien que le livre m'ait déçue, ce fût pour moi une lecture très instructive. Je n'y ai pas trouvé ce que le titre et la quatrième de couverture m'avaient laissé présager et j'ai donc eu tout le long un goût de promesses non tenues. J'avais imaginé comment à travers les oeuvres d'écrivains que j'affectionne moi-même énormément : Nabokov, Fitzgerald … (elle traite aussi d'Austen et de James), l'auteur nous montrerait le pouvoir de la littérature. Qu'elle resterait bien plus collé à l'analyse littéraire pour nous raconter ce qu'une lectrice de Téhéran, oppressée par les interdits pouvait ressentir et penser à la lecture de ces oeuvres très mal vues par le pouvoir politique en place. Comment certains auteurs ont déjà en leur temps bravé la censure, comment les livres et l'imaginaire peuvent préserver des espaces de liberté. J'y ai trouvé cela, dans une certaine mesure (Mention spéciale à l'épisode du procès de Gatsby le Magnifique que Nafisi organise dans sa classe (à partir de la p.173)), mais l'auteur raconte surtout des éléments de sa vie personnelle et de celles de ses étudiantes. Comment elle a vécu la guerre, les bombardements, comment ces femmes et elles même ont vécu l'oppression et ont tenté de résister face à elle, en laissant par exemple dépasser une mèche de cheveux de leur voile, au péril de leur vie, dans un pays où tout geste était alors interprété comme « politique ». Elle nous montre ce que c'est de vivre dans un pays où la liberté d'expression est muselée, où l'on est surveillé, où la censure règne, en cela cette lecture m'a rappelé certains passage de Kundera. Pour nous occidentaux de ma génération, vivant en France, nous avons du mal à nous rendre compte de ça, c'est quelque chose que nous n'avons pas connu. Pas dans une telle mesure… car on aurait tort de penser que nous ne vivons dans une société où la censure n'existe pas et où les citoyens ne sont pas fichés, fliqués, rangés dans des cases (ne serait-ce qu'au nom des intérêts commerciaux), mais c'est un autre débat.

La question des générations est d'ailleurs un thème important qu'Azar Nafisi traite dans son oeuvre. Car elle, elle fait partie d'une génération de femme qui a connu le pays autrement, qui a perdu des libertés, qui mesure donc cette perte et la différence entre la vie actuelle et la vie d'avant, « Nous avions des souvenirs, des images de ce qui nous avait été pris. Ces jeunes femmes n'avaient rien. Leur mémoire était celle d'un désir qu'elles ne pouvaient exprimer, de quelque chose qu'elle n'avait jamais eu. » p.115. Livre instructif et touchant donc dans le témoignage qu'il délivre sur une période particulière de l'histoire iranienne, plusieurs passages m'ont marqués. Mais je n'ai pas particulièrement apprécié le style, régulièrement j'ai du m'accrocher pour ne pas abandonner la lecture. Et j'ai été fâchée par le côté racoleur du titre, qui est aussi celui du premier chapitre, les autres chapitre portant tous le nom d'un auteur, jusqu'à l'épilogue. J'ai trouvé que cette construction était plutôt artificielle et ne convenait pas au propos. Donc oui, le côté racoleur du titre, on prend une oeuvre sulfureuse (de loin la plus sulfureuse de celles traitée par Nafisi) et on l'accole à Téhéran (et donc à ce que la ville charrie dans les imaginaires collectifs, aidé par la couverture sur laquelle deux femmes voilées s'embrasse en souriant) pour créer un oxymore (jeu des contrastes oxymorique aussi sur le visuel de couverture voile/sourire et sensualité du touché et femmes voilée/ femme visage nue qui regarde droit dans l'objectif), une provocation. Provoc soulignée par le premier mot : l'emploi d'un verbe du premier groupe, vecteur dynamique (je lis, j'accomplie une action, c'est une forme de libération, de résistance, de lutte. Je lis, je pense, j'écris etc…). À noter que le titre français colle au titre original : Reading Lolita in Tehran (car Azar Nafisi a écrit le livre en anglais, elle est d'ailleurs citoyenne américaine depuis 2008 et vis aux Etats-Unis). Tout ça et le fait que ce titre soit trompeur par rapport au contenu, a sonné très « marketing » pour moi, ce qui m'a dérangé.

Lien : http://quelscaracteres.eklab..
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Comment parler de littérature en pleine dictature islamique, quand tout est suspect, y compris des romans d'amour ? Comment sont reçus et analysés les oeuvres de fiction ?
Ce sont 2 questions, parmi les nombreuses qui se posent dans ce récit. Que se soit parmi les étudiantes du groupe du jeudi ou lors des cours à l'université, la fiction et la complexité des personnages ne laissent personne indifférent. Et permet de comprendre pourquoi elles sont interdites et/ou très contrôlées par les régimes totalitaires : elles sont porteuses d'incertitude, alors que ces régimes ont besoin de certitude, même si pour cela il faut créer des êtres binaires.
C'est ce que Nafisi montre bien dans son récit de 18 ans en République islamique d'Iran. Heureusement, le passage par la fiction lui permet de démontrer également que même des jeunes femmes issues de milieux traditionalistes ne se sentent pas à leur place dans une théocratie imposée, et qui s'impose partout. la fiction lui permet d'aborder des sujets tabous, comme l'amour et la sexualité, si occultés qu'aucune des jeunes femmes non mariées ne sait ce qui peut se passer entre un homme et une femme.
C'est souvent poignant, révoltant, mais comme Marjane Satrapi avec Persépolis, Nafisi démontre que se couvrir des pieds à la tête pour sortir dans l'espace public, accepter de mettre un voile pour faire cours ne signifie pas que l'on accepte la politique gouvernementale. Mais à la différence de Satrapi, où la plupart des actes "séditieux" sont commis en famille, ici le risque est plus grand : des femmes issues de toutes les couches de la société, autant de risques de se faire dénoncer. Pourtant, aucune d'elles ne peut accepter de vivre dans la vie imaginée pour elle par un autre, sans avoir un seul espace de liberté.
La littérature leur a offert cet espace de liberté, pour respirer mais aussi pour enfin oser se découvrir, se penser en tant qu'être humain ayant le droit d'existence.
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Citations et extraits (76) Voir plus Ajouter une citation
Plus que n'importe laquelle de mes étudiantes, Mahshid, me disais-je, pose sur la religion des questions vraiment inquiétantes. Dans ce qu'elle écrivait pour le séminaire, avec une rage aussi contenue que son sourire, elle avait passé en revue les plus petits détails de la vie sous la loi islamique. Plus tard, elle y noterait : " Yassi et moi savons que nous sommes en train de perdre notre foi. Nous la remettons en question par chacun de nos gestes. Sous le chah, c'était différent. J'avais l'impression de faire partie d'une minorité et de devoir continuer de croire, quoi qu'il arrive. Maintenant que ma religion est au pouvoir, je me sens encore plus impuissante qu'avant, et plus aliénée. " Elle racontait comment on lui avait dit depuis toujours que la vie en terre infidèle était un pur enfer. On lui avait promis que tout allait changer quand une juste loi islamique serait instaurée. Mais quelle loi islamique ? Ce carnaval hypocrite et honteux ? Elle parlait des hommes qui à son travail ne la regardaient jamais dans les yeux, des filles de six ans obligées de porter un foulard pour aller au cinéma et qui n'avaient pas le droit de jouer avec les garçons de leur âge. Elle-même portait le voile, et c'était pourtant une véritable douleur qu'on l'y oblige. Elle n'y voyait plus qu'un masque derrière lequel les femmes étaient forcées de se cacher. Elle parlait de tout cela avec une froideur et une rage terrible, terminant chaque phrase par un point d'interrogation.
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« Vivre dans la République islamique, c'est comme coucher avec un homme qui te dégoûte », ai-je dit à Bijan ce soir-là après le séminaire. Il m'avait trouvée en rentrant assise au salon dans mon fauteuil habituel, le dossier de Nassrin sur les genoux, ceux des autres éparpillés sur la table à côté d'un bol de glace au café en train de fondre. Il s'assit en face de moi et me dit : « Tu ne peux pas laisser cette phrase flotter comme ça dans l'air. Explique-toi clairement.
- Eh bien voilà : si tu es obligé de coucher avec quelqu'un qui te déplaît, tu fais le vide dans ta tête, tu prétends que tu es quelqu'un d'autre, tu veux oublier ton corps, tu le hais. C'est ce que nous faisons ici. Nous prétendons tout le temps être ailleurs, nous en rêvons, nous nous y préparons. Ça fait des heures que je réfléchis à ça. Je n'ai pas arrêté depuis que mes étudiantes sont parties. »
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Les seuls moments où elles s'ouvraient et s'animaient vraiment étaient ceux de nos discussions autour des livres. Les romans nous permettaient d'échapper à la réalité parce que nous pouvions admirer leur beauté, leur perfection, et oublier nos histoires de doyens, d'université et de milice qui arpentait les rues. (…)
Les romans dans lesquels nous nous évadions nous conduisirent finalement à remettre en question et à sonder ce que nous étions réellement, ce que nous étions si désespérément incapables d'exprimer. (p. 64-65)
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Pendant les premiers raids aériens, les bombardements touchèrent une maison d'un quartier chic. Le bruit courut que la guérilla antigouvernementale en avait occupé les sous-sols. Pour apaiser la population affolée, Hāchemi Rafsandjani, alors porte-parole du Parlement, annonça lors de la prière du vendredi que l'attaque n'avait pas fait de véritables dégâts, car les seuls victimes étaient « des gens riches, arrogants et subversifs » qui auraient de toute façon probablement été exécutés un jour ou l'autre. Et il profita de cette occasion pour recommander aux femmes de s'habiller de tenues correctes pour dormir afin de ne pas être « indécemment exposées aux regards d'étrangers » si leur maison devait être touchée.
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Au bout de quelques mois de séminaire, nous avons découvert, mes étudiantes et moi, que nous avions fait pratiquement toutes au moins une fois, sous une forme ou une autre, un cauchemar au cours duquel nous avions oublié de mettre notre voile, ou n'avions pas voulu le mettre, et dans ce mauvais rêve, nous nous mettions toutes à courir, cherchant à fuir. Il y en avait une, peut-être moi, qui voulait courir, mais n'y arrivait pas. Elle était figée, enracinée devant sa porte. Elle ne pouvait pas se retourner, ouvrir et rentrer se cacher. Seule Nassrin échappait à ces angoisses nocturnes. " J'ai toujours eu peur d'être obligée de mentir. Vous savez, le Sois honnête envers toi-même, et tout le reste. Je croyais à ce genre de truc, nous a-t-elle dit en haussant les épaules. Mais j'ai fait des progrès ", a-t-elle ajouté après réflexion.
Plus tard, Nima nous a raconté que le fils d'une de ses amies, un enfant de dix ans, était venu un matin réveiller ses parents horrifiés en leur racontant qu'il avait eu un " rêve illégal ". Il était à la plage avec des hommes et des femmes qui s'embrassaient et il ne savait pas comment réagir. Et l'enfant répétait sans cesse " Je fais des rêves illégaux ".
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