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EAN : 9782070713288
154 pages
Gallimard (03/05/1988)
3.92/5   24 notes
Résumé :
Dans la forte et subtile étude dont il fait suivre son excellente traduction du roman de Nagaï Kafû, Pierre Faure définit ainsi le sens de La Sumida : déploration d'un «Meiji qui n'a pas tenu les promesses de ses débuts et qui, en voulant greffer un corps étranger sur un tronc qu'il a déraciné, a engendré une crise profonde qui est le drame du Japon moderne ; c'est ce déchirement de l'être japonais moderne que l'on peut deviner ainsi entre les lignes de La Sumida et... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Kafû nous entraîne au début du XXème siècle dans ses flâneries sur les bords de la Sumida, dans les faubourgs de la ville basse de Tôkyô, ancien centre de la culture populaire à l'époque d'Edo. Kafû assiste non sans tristesse à la fin d'un monde qu'il évoque en un flot d'images poétiques : souvenirs d'estampes, de grandes courtisanes, anciens sanctuaires de plus en plus menacés par les usines, théâtres, etc. Ce court roman s'articule autour de quelques personnages. Ragetsu, ancien libertin rejeté par son père, est un maître de haïkaï. Sa femme O-Taki est une ancienne courtisane. Au début du roman Ragetsu rend visite à sa soeur cadette, O-Toyo, qui enseigne un style de musique traditionnel, le "Tokiwazu", et élève seule, après des revers de fortune, un garçon de 17 ans, Chôkichi. L'amie d'enfance de Chôkichi, O-Ito, s'apprête à devenir geisha. Ce qui pousse au désespoir le jeune homme dont nous suivons au cours du roman les errances. Un très très beau roman au style poétique.
Bonne année à tous
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Je me suis rendu compte, bien tardivement, qu'il y avait comme un « trou » dans mes lectures en littérature japonaise : d'une part, je me suis intéressé à quelques classiques, notamment des époques de Heian et de Kamakura, un peu moins de Muromachi et d'Azuchi-Momoyama ou Sengoku, puis à nouveau un peu plus d'Edo ; d'autre part, concernant la littérature contemporaine, je me suis focalisé sur les ères Taishô puis Shôwa. Mais, entre les deux, il y avait l'époque du grand bouleversement, celle de Meiji – et, bizarrement ou pas, je n'en avais pas pratiqué un seul auteur à vue de nez… Chose d'autant plus fâcheuse qu'un Sôseki, tout spécialement, semblait être le maître, la référence indépassable, de nombre des auteurs qui suivraient – des écrivains majeurs comme Akutagawa Ryûnosuke, Tanizaki Jun'ichirô ou Uchida Hyakken.



Et, pas forcément très consciemment d'ailleurs, mes dernières lectures en la matière semblent avoir pour objet de remédier à cette lacune : je me suis ainsi récemment intéressé à la poésie de Meiji, et, si les Cent Sept Haiku de Shiki m'ont hélas laissé aussi perplexe qu'à peu près toutes mes tentatives dans ce registre poétique, au point que je ne me sentais absolument pas de chroniquer ce petit ouvrage, n'ayant rien à en dire, je me suis en revanche lancé dans les Cheveux emmêlés de Yosano Akiko, et, cette fois, ça me parle bien davantage ! Et, peut-être surtout, en matière de fictions, je me suis enfin attelé à Sôseki, avec Je suis un chat (roman séminal que je ne « connaissais » jusqu'alors qu'au travers d'une adaptation en manga un peu médiocre), une lecture qui en appellera sans doute beaucoup d'autres (comme le Pauvre Coeur des hommes, notamment).



Ceci étant, si Sôseki était bien le grand romancier de (la fin de l'ère) Meiji, il y en avait quelques autres – dont Nagai Kafû, celui dont je vais vous causer aujourd'hui. Kafû, à première vue, est bien représentatif des écrivains japonais de cette génération et de la suivante, en ce qu'il vit un véritable déchirement lié à la modernisation et à l'occidentalisation à marche forcée du Japon sous Meiji. Il s'intéresse à la culture occidentale, et notamment au naturalisme français, qu'il découvre avec Zola, lequel le fascine – pas autant cependant que Maupassant qu'il découvre un peu plus tard ; aussi Kafû est-il une figure du naturalisme japonais, lequel cependant s'est considérablement éloigné du modèle français, très vite, au point que les rapports entre les deux courants pouvaient au fond paraître limités (notamment en ce que le naturalisme japonais, à ce que j'ai compris, accordait une place centrale à l'expérience subjective, et, j'imagine, entretenait de la sorte des liens marqués avec le courant du « roman du moi », ou watakushi-shôsetsu, à la Dazai Osamu). Mais l'expérience occidentale de Kafû ne s'en est pas tenue aux livres : un peu contraint et forcé par son père, désireux d'en faire un homme d'affaires, Kafû a fait un assez long séjour aux États-Unis, prolongé en France – guère fructueux au plan professionnel, mais déterminant dans l'appréhension de la vie pour le futur auteur ; La Sumida, d'ailleurs, a été écrit rapidement après le retour au Japon de Kafû.



Mais c'est justement un texte qui témoigne combien modernisation et occidentalisation peinaient l'auteur, voire l'irritaient : son goût pour les naturalistes français était une chose, mais il admirait avant tout le Japon traditionnel d'Edo et sa culture, notamment telle qu'elle s'était développée dans le « bas peuple » ; ce qui pouvait, d'une certaine manière, l'inscrire je suppose dans la filiation d'un Saikaku (et les deux auteurs, après tout, même avec deux siècles d'écart, ont beaucoup écrit sur les « quartiers de plaisir », le monde des prostituées et des geishas, des oeuvres de divertissement jugées « populaires »), mais surtout, de manière plus franche, dans celle des auteurs de « romans sentimentaux » de la fin d'Edo, très décriés comme archaïques et « faux » du vivant de Kafû, mais auxquels il a toujours conservé son affection. Cependant, La Sumida témoigne de ce que l'auteur prisait aussi les haïkus ainsi que le théâtre d'Edo, notamment le kabuki, ou encore les estampes de la même époque, qu'on jugeait souvent encore « vulgaires » dans le Japon de Meiji du vivant de Kafû, alors même qu'elles fascinaient l'Occident.



Ce qui navrait Kafû, c'était la disparition brutale de toute cette culture japonaise, écrasée en masse sous le rouleau compresseur de l'occidentalisation. On aurait cependant tort de reléguer Kafû à l'archétype d'un conservateur acharné, voire réactionnaire, sans même aller jusqu'à parler de xénophobie – et son goût de la tradition japonaise s'accommodait très bien d'une attitude plus progressiste en matière de libertés individuelles, notamment : Kafû n'était pas moins farouche à défendre la notion d'individu et celle de son autonomie. Et c'est pourquoi, amoureux du Japon traditionnel, défenseur militant de sa culture, Kafû a cependant eu le bon goût de ne jamais se compromettre, dans les années qui suivraient, avec les nationalistes et le régime militaire qui emporteraient le Japon, après la brève « démocratie de Taishô », dans la catastrophique et sanguinaire aventure impérialiste que l'on sait – mieux, il a fait d'une certaine manière oeuvre de rébellion en continuant à écrire à cette époque, en faisant fi des injonctions patriotiques du régime, et tous les grands (et moins grands) écrivains japonais de ce temps ne peuvent pas en dire autant.



Si La Sumida n'est pas le premier écrit de Kafû, qui avait déjà livré des oeuvres sentimentales à la mode d'Edo (jugées très défavorablement par le traducteur et commentateur Pierre Faure dans un avant-propos qui ne prend pas vraiment des pincettes à cet égard), ainsi que des « souvenirs » de ses séjours aux États-Unis puis en France. Mais ce court texte (très court – à la limite plus une nouvelle ou novella qu'un roman) est celui qui a commencé à le faire connaître. L'influence du naturalisme français parcourt La Sumida, mais, déjà, il y a effectivement cette dimension subjective, ou peut-être intersubjective en l'espèce, qui singularise le naturalisme japonais.



Or c'est un « roman » sans véritable histoire. Il y a bien un soupçon de vague intrigue, mais, clairement, c'est là une dimension très secondaire de ce texte – ce qui importe bien davantage, c'est le regard porté par les personnages sur leur environnement changeant. le texte s'ouvre sur la figure de Shôfûan Ragetsu, un haïkiste vieillissant, que son mode de vie passablement libertin a éloigné de sa famille ; il entretient cependant toujours des relations avec sa soeur cadette O-Toyo, qui a elle aussi un côté « artiste », puisqu'elle enseigne le chant et la musique associés au jôruri et au kabuki, mais elle entend pourtant faire de son fils Chôkichi, 17 ans, un homme « bien », beaucoup moins bohème, quelqu'un qui aurait un travail « normal » et rémunérateur. Chôkichi, pourtant, n'en veut pas – et, assistant à une représentation de kabuki, il réalise qu'il préférerait bien davantage devenir comédien… et il faut relever ici qu'il y a beaucoup de l'auteur dans ce personnage, de manière assez transparente (le « vrai » nom de Nagai Kafû était Nagai Sôkichi). Mais le jeune homme est dans une mauvaise passe – il a d'autant moins envie de s'impliquer dans ses études qu'il est très affecté par le sort de son amie d'enfance et plus ou moins amoureuse O-Ito, qui va devenir geisha, et qui s'éloigne de plus en plus de lui… O-Toyo perçoit bien la détresse de son fils, mais ses idées quant à son avenir demeurent bien arrêtées – et quand elle fait appel à son frère Shôfûan Ragetsu pour raisonner le jeune homme, le vieux libertin fait l'hypocrite, prônant la sagesse et le pragmatisme, et il en est tristement conscient…



Le récit tourne autour de ces quatre personnages, et il n'y a pas grand-chose de plus à en dire : si « intrigue » il y a, elle se concentre probablement sur le personnage de Chôkichi, mais, d'un chapitre à l'autre, nous changeons sans cesse de point de vue ; à vrai dire, quand on lit le premier chapitre, on est tenté de croire que Shôfûan Ragetsu sera le héros de cette histoire, ou du moins le principal personnage point de vue – et ça n'est absolument pas le cas : Chôkichi prend probablement davantage de place, mais O-Toyo est aussi impliquée (il me semble en revanche qu'O-Ito n'est envisagée qu'extérieurement).



Mais « l'intrigue » est donc secondaire – et peut-être même, d'une certaine manière, les personnages, si leur point de vue est essentiel. Il ne se passe au fond pas grand-chose dans ce « roman », qui n'a rien d'ennuyeux pour autant. Quand, en guise de postface, Kafû livre une « Fantaisie » rapportant comment l'histoire aurait pu se poursuivre, il y a peut-être encore comme une ambiguïté quant aux intentions exactes de l'auteur, mais ce « plan d'une suite », au fond, confirme avant toute chose, et par l'absurde, presque, que la suite n'était pas nécessaire, et que Kafû avait bien fait d'arrêter son roman là où il l'a fait, pour en sublimer les principes.



C'est que, ce qui compte vraiment, c'est le décor. Les personnages déambulent sans cesse, et la plupart du temps sur les rives de la Sumida, un court d'eau tokyoïte d'une vingtaine de kilomètres à peine. Quand, quelques décennies plus tôt, la ville s'appelait encore Edo, les quartiers baignés par la Sumida étaient représentatifs d'une ville basse « populaire », en même temps célébrée par des artistes de toute sorte, qui y singularisaient des « paysages », des endroits notables, magnifiés dans des estampes, des poèmes, éventuellement des sortes de « guides touristiques » mais avec quelque prétention littéraire – ou tout cela à la fois. Mais, quand Kafû écrit La Sumida, en 1909, tout cela relève déjà du passé : les quartiers changent, le vieil Edo disparaît, ou même a d'ores et déjà disparu, sous les coups de boutoir de la modernisation et notamment de l'industrialisation – les « points de vue », si j'ose dire, célébrés par les poètes et les peintres, cèdent la place à la morosité grisâtre d'un Japon qui sacrifie volontairement et délibérément son essence à l'autel du progrès économique et technologique dans ce qu'il a de plus brutal et barbare.



Ce sont des quartiers que les personnages, tout au long de leur vie, ont parcouru en long et en large ; et, de toute évidence, Kafû s'est beaucoup promené le long de la Sumida. C'est donc ce que font ses personnages : ils se promènent, regardent le monde autour d'eux, et ne le reconnaissent plus – soit que, comme Shôfûan Ragetsu, ils soient suffisamment vieux pour percevoir, et douloureusement, combien leur environnement a changé, soit que, plus jeunes, ils perçoivent dans les transformations rapides de ce décor, presque en temps réel, comme un écho objectif de leur vie intérieure torturée, de leurs angoisses quant à ce qu'ils étaient eux-mêmes et sont supposés devenir.



Dès lors, le coeur de la Sumida réside dans de longues descriptions, très raffinées, très précises, mais toujours biaisées par le regard à chaque fois différent des personnages qui se promènent. La vision de Shôfûan Ragetsu, ainsi, est imprégnée d'une profonde mélancolie, de nature nostalgique, mais le vieux libertin, qui a longtemps posé au nihiliste ou peu s'en faut, ne peut même à son grand âge se départir d'une certaine tendance à rire de tout – la tristesse l'emporte, mais le regard a en même temps quelque chose d'un peu amusé, si douloureusement. O-Toyo, comme son poète de frère aîné, a vécu les transformations des quartiers bordés par la Sumida, mais son regard, phagocyté par l'inquiétude qu'elle éprouve quant à l'avenir de son fils, est probablement davantage pragmatique. Enfin, ledit fils, Chôkichi, arpente les rives de la Sumida en étant perpétuellement préoccupé par le constat de ce que son propre passé, subjectif, le fuit en la personne d'O-Ito, en même temps qu'un inquiétant avenir se dessine pour lui malgré qu'il en ait, aussi douloureusement grisâtre et fade que le décor dans lequel il évolue – or sans doute perçoit-il bien qu'il n'en a pas toujours été ainsi, et il est sans doute révélateur qu'il cherche à se réfugier dans le théâtre, prosaïquement comme idéalement.



La plume de Kafû est très belle, raffinée, mais aussi subtile – il n'y a rien ici des réjouissants excès baroques que j'avais relevés dans le Pied de Fumiko de Tanizaki Jun'ichirô, mettons. Tout cela est à la fois élégant et sensible, et une insidieuse douleur, légère mais indéniablement présente, parcourt les rêveries moroses de ces promeneurs solitaires, ou de ces hommes (et femmes) qui marchent, comme vous préférerez. du moins est-ce le sentiment que procure la belle traduction de Pierre Faure : bien sûr, je ne peux pas me référer ici au texte japonais, mais la version française est assurément touchante en même temps que bien tournée.



Ceci étant, on en arrive au problème que m'a posé ce livre : sa délicatesse et sa beauté doivent visiblement beaucoup à ce que Kafû joue des références et des associations d'idées presque instinctives pour ses lecteurs japonais, dans les décors qu'il décrit, les poèmes et les estampes auxquels il fait allusion, etc. Ceci, un lecteur français lambda tel que votre serviteur n'est tout simplement pas en mesure de l'apprécier sans une aide extérieure. Cette aide, le traducteur et commentateur Pierre Faure la fournit volontiers, mais (outre quelques planches de cartes et de peintures, la belle idée que voilà) cela implique de passer par de nombreuses notes, et par un long commentaire en fin de volume (une trentaine de pages), passablement pointu, et probablement bien trop pour ma pomme. Il y a là quelque chose de frustrant, parce qu'on perçoit que le ressenti suscité par ce livre devrait être bien davantage instinctif pour être pleinement apprécié... le recours à l'appareil critique instruit, mais n'émeut pas ; et la conviction n'en est que plus forte, pour ce lecteur français lambda, de passer à côté de bien trop de choses, et probablement de l'essentiel… C'est une limite que j'ai pleinement ressenti, qui ne tient donc pas forcément au texte lui-même, à sa qualité ou à celle de sa traduction, mais au constat de ce que ce livre ne peut pleinement parler qu'à des Japonais – le propos pourrait éventuellement paraître universel, on a sans doute écrit des centaines de milliers de livres sur le monde qui change, mais l'ancrage dans le Japon de Meiji est en fait tel que c'est en définitive la singularité culturelle qui l'emporte, et largement.



J'ajouterai une chose, mais beaucoup plus subjective : si je peux (plus ou moins) comprendre le ressenti de Kafû, si j'ai apprécié la finesse de ses descriptions, leur dimension élégamment sensible, si j'ai pu, même, revivre douloureusement mon passé en m'identifiant au personnage de Chôkichi, en même temps que je percevais en moi comme la possibilité d'un Shôfûan Ragetsu désormais trop vieux pour se montrer honnête dans ses conseils au jeune homme, il demeure que, idéologiquement, je me sens aux antipodes de l'auteur et de son propos. Disons-le, j'éprouve une méfiance instinctive et viscérale pour le sentiment nostalgique – qui vire régulièrement à l'hostilité quand on me vante les traditions pour la seule raison qu'elles sont des traditions ; aussi subtil soit le « roman » de Kafû, incomparablement plus que tant d'éloges creux du passé pour le passé qu'on nous sert comme autant de profondes et essentielles vérités, il avait donc dans sa note d'intention même quelque chose qui m'était fondamentalement suspect. Mais ceci est donc très personnel, et ne saurait véritablement constituer une critique de la Sumida



J'ai apprécié ma lecture – le jeu des points de vue, la délicatesse des descriptions, la douleur insidieuse qui s'empare des personnages, la très belle plume de Kafû et/ou de son traducteur Pierre Faure. Mais un certain nombre d'obstacles m'ont donc empêché d'apprécier La Sumida autant qu'elle devrait l'être. Ce qui constitue une certaine déception, je suppose, même si plus « dérivée » qu'autre chose…
Lien : http://nebalestuncon.over-bl..
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Avec Kafu, et plus précisement La Sumida, il me semble que l'on touche à l'Essentiel, au Sublime. Je ne raconterai pas l'intrigue, qui, d'ailleurs, tient en très peu de choses. L'essentiel est ailleurs. Ce que kafu nous dit, c'est son ressenti face à la transformation et l'industrialisation foudroyante de Tokyo à l'ère Meiji. le jeune protagoniste ne parvient pas à suivre ce changement qui se déroule sous ses yeux. Toute la rive gauche de Tokyo, jusqu'alors préservée, où il allait en compagnie de son amie lors de leurs promenades amoureuses sous les cerisiers disparait brutalement. Les illustrations et cartographies de l'édition Gallimard sont à cet egard très instructives et permettent de bien se rendre comte de cette transformation.
Ce récit est à apprécier dans les petits détails de cette vie quotidienne japonaise qui régissait alors la société. Alors que son oncle et sa tante semblent s'accomoder de cette transformation urbaine et sociétale, le jeune homme (Kafu ?) n'y parvient pas. D'autant plus que son amie, elle aussi, semble en avoir pris son parti puisqu'elle préfèrera devenir geisha plutôt que de vivre avec lui.
Un récit tout en nuances, à apprécier pour la decouverte d'un Japon disparu. le concept de "ma" me semble bien s'inscrire dans ce récit. En effet, il s'agit de prendre conscience du "vide" qui sépare les individus ou les choses. L'essentiel, ce ne sont pas les choses en elles-même mais ce qui les sépare, un peu comme dans l'ikebana où le vide entre les fleurs est plus important que les fleurs en elles-même. C'est, je pense, cela qu'il faut apprécier dans la Sumida, pour pouvoir en saisir toute la finesse.
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L'intrigue tient en peu de choses, un jeune homme élevé par sa mère seule, qui donne des cours de musique de second ordre, mais le fils n'a aucune envie de réaliser le rêve de sa mère et entrer dans l'administration. Avec l'adolescence, se réveille l'envie d'être artiste, et le refus d'une vie qu'on appellerait ici petit bourgeoise. Un oncle qui a eu un peu le même parcours comprend les aspirations de son neveu. le tout placé dans le contexte de rapides changement culturels au Japon, dont les dirigeants ont décidé une rapide occidentalisation. Ce qui entraîne une rapide disparition de tout un pan de culture, et une transformation du paysage urbain. Que l'oncle regrette de tout son être.

Un livre où il ne se passe pas grand chose à proprement parlé, qui ressemble plus à une série d'estampes qu'à un film. L'important est une ambiance, une nostalgie. L'enfance qui fuit, une ville qui se transforme. C'est plein de poésie, très contemplatif. Il faut être sans doute disponible pour cette lecture qui pourraient laisser certains sur leur faim. Il faut s'arrêter aux détails, aux petites choses qui sont plus importantes que le reste. L'auteur projetait de donner une suite à ce récit, dont il esquisse quelques éléments. Mais tel quel c'est un objet un peu étrange, un peu désarçonnant mais fascinant. Pas sûr qu'une seule lecture suffise.
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Shôfûan Ragetsu , auteur de haïkai, philosophe qui a rompu avec sa famille, ami des prostituées, a pour neveu Chôkichi, un jeune adolescent. Son amour déçu pour O-Ito, amie d'enfance qui entre dans une maison de geisha, conduit Chôkichi au désespoir. Il sèche les cours et erre aux bords de la Sumida., le fleuve de Tokyo, ce qui permet à l'auteur de décrire minutieusement le quartier, ses habitants et ses moeurs avant que le modernisme le transforme (l'action se passe vers 1890).

Contrastes entre O-Ito, volontaire, expansive, et Chôkichi adolescent sensible, description du théâtre Kabuki, peinture des quatre saisons, des paysages, des quartiers sous la lune, font le charme du livre qui a été censuré pour des allusions critiques au régime en place.
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Il faisait le temps de la saison : le ciel sous les nuages était gris et bas et, des arbres aux alentours, tombaient sans interruption des feuilles encore vertes mangées par les insectes. Le cri des corbeaux et des coqs, le bruissement d'ailes des pigeons résonnaient avec un mélange de fraîcheur et de force. À l'ombre des essuie-mains, offrandes de fidèles, la pierre du bassin et à ablutions que l'eau mouillait en débordant éveillait déjà une vague impression de froid ; ce qui n'empêchait pas hommes et femmes venus pour une prière matinale de s'arrêter tous là afin de se purifier les mains avant de monter l'escalier du sanctuaire.
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C'était une rue latérale à maisons basses en enfilades comme on en voit partout dans les faubourgs, avec pour seul trait tant soit peu caractéristique quelques rares boutiques où se vendait de la poterie du cru. Sous l'auvent de leur maison et à l'entrée des venelles, des gens prenaient le frais en bavardant, et, sous la faible lueur des lanternes, se détachait la blancheur de leur yukata ; cependant le silence régnait sur les alentours, troublé seulement quelque part par des aboiements et les vagissements d'un bébé. Vers le ciel où se déploie le cours limpide de la voie lactée, s'élèvent les grands arbres drus du temple Hachiman d'Imado.
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Le courant du fleuve se mit étrangement à scintiller, aveuglant, et dessina, noires et précises, comme dans une peinture à l'encre de Chine, les silhouettes des gens montés sur les bacs. Vus de cette rive, les cerisiers encore feuillus dont les lignes s'étiraient sur la digue étaient devenus d'une noirceur angoissante et les chalands dont les files s'étaient un temps curieusement succédé s'évanouirent en un moment jusqu'au dernier vers l'amont; ça et là, semblables à des feuilles mortes, flottaient seules quelques barques qui revenaient de la pêche sans doute et, sur la Sumida qui se déployait de nouveau largement, se répandit alors une atmosphère calme et solitaire.
Au lointain, en amont, dans un coin de ciel pointe, vestige de l'été, une crête de nuages où de minces éclairs s'allument et s'éteignent sans répit.
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Vus de cette rive, les cerisiers encore feuillus dont les lignes s'étiraient sur la digue étaient devenus d'une noirceur angoissante et les chalands dont les files s'étaient un temps curieusement succédé s'évanouirent en un moment jusqu'au dernier vers l'amont ; çà et là, semblables à des feuilles mortes, flottaient seules quelques barques qui revenaient de la pêche sans doute et, sur la Sumida qui se déployait de nouveau largement à perte de vue, se répandit alors une atmosphère calme et solitaire.
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Absent le saké,
Comment puis-je vous priser
Fleurs de cerisiers ?
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Vidéo de Kafū Nagai
Ryoko Sekiguchi Patrick Honoré le Club des gourmets et autres cuisines japonaises. Traduire. Où Ryoko Sekiguchi et Patrick Honoré tentent de dire de quoi est composé "Le Club des gourmets et autres cuisines japonaises", présenté par Ryoko Sekiguchi, et comment a été traduit du japonais ce recueil de Kôzaburô Arashiyama, Osamu Dazai, Rosanjin Kitaôji, Shiki Masaoka, Kenji Miyazawa, Kafû Nagai, Kanoko Okamoto, Jun?ichirô Tanizaki traduits par Ryoko Sekiguchi et Patrick Honoré, à l'occasion de sa parutuion en #formatpoche aux éditions P.O.L et où il est question notamment de la traduction à deux mains, de Patrick Chamoiseau et de mangas,et des mots pour dire la nourriture et la cuisine. "Si le Japon est connu comme un pays de fine gastronomie, sa littérature porte elle aussi très haut l'acte de manger et de boire. Qu'est-ce qu'on mange dans les romans japonais?! Parfois merveilleusement, parfois terriblement, et ainsi font leurs auteurs, Tanizaki, Dazai, Kafû du XIIe siècle à nos jours, dix gourmets littéraires vous racontent leur histoire de cuisine."
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