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Vidiadhar Surajprasad Naipaul (on comprend mieux l'utilisation des initiales V. S.), c'est forcément se confronter au monde. Né en Amérique (Trinidad), d'une famille originaire d'Asie (Inde), citoyen Européen (Royaume-Uni), c'est bien en Afrique qu'il nous conduit, dans cette courbe du fleuve.
Et quoi de mieux que ce citoyen du monde pour penser la décolonisation, les jeux de pouvoir et d'influence en un même lieu et sur quelques années des Arabes, des Européens, des Indiens et de ce peuple d'Afrique qui se cherche un avenir. Sans jamais porter de jugement définitif sur quiconque, l'auteur nous donne à voir les errements qui vont plonger ces régions dans les tourments les plus terribles. A part le voisinage avec l'Ouganda, nous ne saurons jamais quel pays est précisément évoqué, également parce que les destins funestes de nombre de ces pays d'Afrique Noire se sont malheureusement ressemblé.
La prouesse est surtout réalisée dans l'imbrication entre les différents destins internationaux, continentaux, nationaux, locaux... et jusqu'aux destins individuels des personnages. Tout se répond de manière tellement fluide qu'aucune frontière ne peut être tracée. On le voit notamment avec le narrateur : d'abord surtout observateur des évolutions qui l'entourent, il semble refuser de s'impliquer. Mais la vie et ses désirs vont l'obliger à prendre des risques qui vont lui créer des liens d'abord rassurants puis enfermants.
Le propos est riche et profond et on craint au début qu'il nuise à la narration, mais des évènements viennent sans cesse relancer l'intérêt. La galerie des personnages annexes est également essentielle, dans sa complexité foisonnante. Même l'esclavage est traité à travers le personnage de Metty, dans toutes ses ambiguïtés et avec un angle original qui fait ressortir une authenticité parfois dérangeante mais tellement intéressante dans la réflexion qu'elle amène.
Ce fleuve nous enserre totalement comme il enserre les personnages, protection et prison. On est tour à tour admiratifs et inquiets, comme les habitants face à ces jacinthes d'eau, "nouvelle chose du fleuve", qui l'orne et l'étouffe à la fois. Un Nobel méconnu qui gagne vraiment à être découvert.