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Critique de gavarneur


Ce roman devrait plaire à un public très large. Il se déroule au XVIIe siècle dans le sud de l'Inde, et comme le héros, Idris, se présente comme un éternel voyageur, c'est pour commencer un roman d'aventures.

La traduction de Dominique Vitalyos est soignée, je n'ai pas trouvé de ces tournures décalquées de trop près de l'anglais qui m'énervent parfois. Elle est même plutôt bonne que soignée, par exemple, le vocabulaire est superbe sans être voyant.

Une partie de l'histoire se situe près de la côte de Malabar, (pas de costaud, de princesse ni de chewing-gum en vue), où vengeance pratiquement tribale, éducation guerrière quasiment de style ninja, sensualité et vie familiale se déroulent et s'emmêlent dans une société apparemment sereine (attendez la suite), qui ne vit pas que dans les jardins*.

Il y a de belles scènes tranquilles, d'autres qui le sont bien moins, et une grosse invraisemblance permet à Idris de repartir commercer en emmenant son fils et un chaton. En bateau vers Ceylan puis en char à boeufs vers un espoir de faire fortune, avec de nombreuses rencontres et des conversations polyglottes.

Voilà pour le premier niveau, déjà intéressant pour les lieux, les modes de vie et surtout les personnages. On y est gourmand, curieux, amoureux, mais c'est vrai qu'on n'apprend pas grand-chose sur la côte de Malabar ni sur les colonisations néerlandaises et portugaises.

On peut aussi lire le livre comme une galerie de portraits, gravitant autour du personnage d'Idris, qui aimante les attentions, d'un calme étonnant et avec un désir de justice sociale contagieux. Il est possible de trouver sa philosophie superficielle, j'avoue par exemple que sa façon de lire le futur immédiat dans les astres m'a un peu énervé, mais c'est un personnage étonnant, et qui semble capable de faire émerger des autres le meilleur de leur personnalité, juste en étant lui-même et en les traitant sans préjugé apparent.
Et l'amour dans tout ça ? Oui, il y a aussi plusieurs sortes d'amour, dont une belle découverte de l'amour filial, mais dans les relations de couple la sensualité prend pour moi trop de place par rapport aux sentiments : curieusement l'auteure semble moins à l'aise dans ces narrations que pour décrire des rythmes de vie divers rencontrés au cours des voyages.

Je vous propose enfin ma vision (opposée à celle d'une autre critique) comme troisième lecture. Idriss est, comme dans les Lettres Persanes, l'étranger qui, ayant un vécu différent, aide à remettre en question le système social, ici celui des castes : il montre le ridicule, voire l'horreur, des modes de relation et des rituels qui soutiennent le système. J'ai parlé du persan de Montesquieu, mais c'est chez nous un procédé classique : voyez le Huron de Voltaire, et Henri de Montes chez Balzac. Il y a dans le livre des exemples évidents, comme dans une des citations que j'ai mises sur le site, où un homme religieux et végétarien rit d'avoir causé la mort d'un homme pour le punir d'avoir tué un oiseau. Anita Nair propose dans les dialogues un point de vue plus proche du nôtre que de celui des brahmanes ; les autres personnages voient bien l'incohérence de ces hommes supposés supérieurs et n'apprécient pas leur morgue.
Une scène d'ordalie, difficilement supportable et annoncée comme telle, montre qu'à cette époque la religion et ses règles strictes écrasaient les vies de tout leurs poids, mais que des consciences éveillées gardaient leur libre pensée malgré ces préceptes. D'autres critiques sont plus légères, mais tout au long du roman des personnages, éduqués ou non, montrent que s'ils ne peuvent rien dire, ils n'en jugent pas moins. L'action du roman se situe au XVIIe siècle, la hiérarchie des castes y est bien installée ; elle n'est, à ma grande stupéfaction, pas morte aujourd'hui (les anglais ont su s'en servir quand cela servait leurs intérêts). D'autres auteures vivantes s'en accommodent bien mieux qu'Anita Nair : est-il possible qu'il faille ces détours pour critiquer cette organisation de la société ou au moins pour passer un message éducatif ? Je voudrais mieux connaître l'Inde pour pouvoir en juger, mais c'est ma petite hypothèse personnelle de rien du tout, comme dirait-peut être une chroniqueuse fameuse sur ce site.

Ce livre m'a été offert dans le cadre d'une masse critique spéciale, et comme je l'ai bien aimé, je remercie cordialement Babelio et les éditions Albin Michel.
C'est amusant de recevoir avant la mise en librairie un livre tout blanc, marqué « Épreuves non corrigées » et « Ne peut être vendu », on se sent privilégié, je vous recommande cette expérience.
Permettez-moi d'ajouter encore quelques notes de lecture personnelles (je ne vous en voudrai pas si vous les sautez, elles ne changeront rien à votre désir de lire ce livre).

1. Il ne faut pas craindre d'attendre quelques pages si une situation n'est pas claire ou si un personnage est mal cerné : quelques pages de plus, et un autre point de vue sera ajouté, et le lecteur rassuré.
2. le lexique de fin de volume, très riche de mots en quatre langues ne précise que les mots dont le sens ne se devine pas par le contexte. Choix acceptable (surtout si on a lu son avertissement liminaire), mais qui ne facilite pas la lecture, d'autant que d'autres mots sont en italique, et faire le voyage vers les dernières pages pour rien est frustrant. (J'ai, en tant que polyglotte amateur, bien aimé que le personnage principal ait un tel intérêt et une telle capacité pour les langues).
3. le parti-pris de ne pas mettre de notes de bas de page a ses limites : outre ce que je dis du lexique, quelques points culturels auraient pu mériter une aide. Par exemple (je fais mon pédant) : l'île de Serendip éveille des souvenirs pour tout anglophone, mais la sérendipité comme fait de trouver les choses par hasard est un mot encore peu usité en France (où d'ailleurs son introduction me paraît critiquable : nous n'avons pas vu les mêmes séries TV). Bref, je me considère comme un privilégié (peut-être à tort) d'avoir réagi rapidement, mais j'ai été surpris de voir, après consultation de Wikipedia, que l'association de Serendip à Ceylan est naturelle, le mot ayant été introduit en Europe par le conte Persan raconté dans ce livre.

* le titre anglais est « Idris, keeper of the light », moins vendeur mais plus éclairant (j'ai osé).
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