Nous suivons les destinées de Kensaku, de l'enfance jusque dans l'entrée dans la mort. Il vit une situation compliquée, et des relations très tendues avec son père, dont il finit par comprendre les raisons. Il choisit la carrière des lettres, mais nous découvrons peu de choses sur ce qu'il écrit. le roman parle plutôt de sa vie, de sa façon de se chercher, d'arriver à un équilibre personnel, à structurer ses relations avec les autres. Tout en nuances, en subtilités, en petits événements d'une vie, dans un refus total du spectaculaire, cette vie se déroule devant nous. Beaucoup de choses restent informulées, plutôt suggérées que dites, plutôt entrevues que montrées. Shiga est l'auteur des demi-teintes, des petits tableaux impressionnistes, d'une poésie du quotidien, plus qu'un peintre des sentiments violents ou extrêmes, même si la vie du personnage principal pourrait déborder en passion parfois. Tout cela dans une écriture économe de ses moyens, tout en maîtrise et en retenue.
Etrange roman d'un écrivain avec un univers très personnel, on se demande inévitablement combien de lui-même l'auteur a pu mettre dans le personnage de Kensaku, auquel il est difficile de ne pas s'attacher. Ses interrogations, emballements ou détestations s'enchaînent, sa vie suit son chemin, sur lequel il semble avoir finalement peu de maîtrise. C'est une sorte de flâneur qui prend ce qui la vie lui offre et essaie de faire avec, même si parfois c'est plus difficile à accepter. Livre hors du temps d'une certaine façon, le plus important finalement est de trouver la bonne attitude devant la vie, ce qu'elle offre de bon ou de mauvais, plus que d'essayer d'influer sur les événements. Une certaine philosophie de l'existence en somme.
Commenter  J’apprécie         30
Pour avoir, pendant de longues années, été exténué par ses relations avec les gens, Kensaku jouissait pleinement de sa nouvelle existence. Il montait souvent se promener jusqu'à un temple perdu au milieu des bois, à trois ou quatre cents mètres dans la montagne : le "temple d'Amida". Quoique classé parmi les édifices spécialement protégés, le bois de sa galerie exérieure, complètement pourri, tombait en ruine ; et pourtant cela même engendrait en Kensaku une impression d'intimité.
Par crainte de la contagion, tous mettaient un soin particulier à se désinfecter les mains. Par une matinée radieuse, Kensaku et sa belle-mère prenaient leur petit déjeuner dans le petit salon ; Naoko, faisait le tour par la véranda extérieure, se dirigeait tranquillement vers la chambre du bébé en laissant traîner derrière elle son vêtement de nuit – car c’était l’heure de la tétée – quand elle poussa un cri :
« Holà ! Non, non ! Bell !
Que se passe-t-il ? cria Kensaku.
- Venez vite ! Bell s’apprête à avaler le sublimé corrosif ! »
A la porte du salon, Kensaku enfila la paire de socques en attente et descendit dans le jardin. Le jeune chien que l’employé de la firme de Monsieur S*** leur avait trouvé y gambadait joyeusement.
« Voilà ce qu’il a l’ait de vouloir avaler, dit Naoko en montrant du doigt la cuvette à désinfectant posée sur une pierre de jardin en attendant qu’on en change le contenu.
- Mais non ! Boire ça ? Allons donc ! Il veut simplement flairer l’odeur ! Simple curiosité !
- Vous croyez ? Il avait pourtant l’air de vouloir bel et bien en boire ! Et ça le tuerait sir le coup ! »
Certes le bonhomme leur avait apporté l’animal au moment de leur emménagement, mais dès que Naoko s’était trouvée enceinte l’impossibilité leur étant apparue de le garder quand l’enfant serait là, ils l’avaient donné, avec la niche, à un voisin habitant deux maisons plus loin.
Il n'en saisit pas moins avec douceur ses seins bien ronds et lourds et en éprouva un indicible plaisir - comme s'il caressait un trésor sans prix. Par de légères secousses, il en soupesait dans le creux de ses mains les masses délicieuses. Il n'aurait su trouver les mots capables d'exprimer une pareille sensation.
« […]
Akutagawa Ryunosuke (1892-1927) tenait cette nouvelle pour l'une des oeuvres les plus fortes de Shiga Naoya (1883-1971). […] Tout en usant de mots familiers réussir à donner une pareille sensation de transparence, voilà ce qui dans tout texte, à quelque genre qu'il appartienne, importe au plus haut point.
[…]
Une telle forme d'écriture dédaigne la fleur pour obtenir le fruit : par la simplicité même, elle accède à l'essentiel comme aucun mode d'expression de la vie quotidienne ne le pourrait. […] » (Junichiro Tanizaki [1886-1965])
« […] Sa légèreté n'est qu'apparente. Elle recèle une puissance insoupçonnée. Ainsi de ces variations de Chopin, subtiles, presque imperceptibles, qui résonnent en nous, se propagent jusqu'au fond de nos entrailles comme la douleur d'une dent.
[…] » (Hideo Kobayashi [1902-1983])
« […] l'originalité de Shiga Naoya tient au fait que jamais dans aucune de ses nouvelles il ne se laisse aller à l'analyse psychologique de son personnage principal. Il le présente seulement comme un homme qui lutte pour essayer d'établir des relations humaines rationnelles dans le monde qui l'entoure. le personnage apparaît si profondément hanté par cette quête que Shiga Naoya ne s'attarde pas à une étude de son caractère.
[…] » (Sei Ito [1905-1969])
« […] En janvier 1913 paraît un premier recueil de nouvelles, dédié à sa grand-mère. le 5 août de cette même année, Shiga Naoya est renversé par un train de la ligne Yamanote. Il est grièvement blessé et doit se faire hospitaliser. Il écrit en septembre la nouvelle Han no hanzaï (Le crime de Han) puis, en octobre, part en convalescence à Kinosaki.
[…] L'une de ses plus belles nouvelles, Wakaï (Réconciliation) […] est publiée en 1917, peu de temps après Kinosaki nite (Le séjour à Kinosaki).
[…] »
17:55 - Générique
Référence bibliographique :
Naoya Shiga, le séjour à Kinosaki suivi de le crime de Han, traduit par Pascal Hervieu et Alain Gouvret, Éditions Arfuyen, 1986
Image d'illustration :
Autoportrait de Shiga Naoya daté de septembre 1912.
Bande sonore originale : P C III - O UT
O UT by P C III is licensed under an Attribution License.
Site :
https://freemusicarchive.org/music/P_C_III/O_UT_1733/O_UT
#NaoyaShiga #LeSéjourÀKinosaki #LittératureJaponaise
+ Lire la suite