Ce qu'il y a là-dedans est un peu surprenant. C'est comme si on prenait l'événement le plus évident possible, le plus physiologiquement explicable (un moustique m'a piqué, j'ai un bouton qui me gratte) et qu'on essayait de l'expliquer du point de vue de la
psychanalyse. Alors… what the fuck ? Pourquoi Juan s'est-il un jour demandé pourquoi la douleur, ça fait mal ? On dirait une chanson d'un vieux groupe de boys band de ma jeunesse. Ils disaient le feu ça brûle, et tout et tout. Dans le fond, c'est vrai ça : pourquoi ça fait mal alors que ça aurait très bien pu ne rien faire à la place ?
Le développement est un peu foutraque. Premier problème : Juan essaie de construire un système, avec toutes les incohérences que ça implique. Faut s'y faire. Certains aiment ça, les petits cadres bien établis, avec les bords tracés droits à la règle. La démonstration se fait par étapes successives, si bien qu'on incorpore une idée pour se la voir modifiée voire bringuebalée le page d'après, et c'est pas du plus reposant. Voici la progression :
- La douleur est un affect. Elle reflète les variations extrêmes de la tension inconsciente. C'est au-delà du principe du plaisir (et du déplaisir).
- La douleur détient trois composantes : douleur de la lésion (perception imaginaire de la blessure et représentation mentale) ; douleur de la commotion (mémoire inconsciente de la douleur considérée comme un processus structuré comme un langage) ; douleur de réagir (représentation de la partie lésée du corps).
- Spécificités de la douleur psychique (douleur d'aimer). L'autre aimé structure le rythme de mon désir, et sa perte engendre une variation extrême qui fait surgir la douleur. le moi doit se désinvestir progressivement de la représentation de l'autre élu.
- Liens entre douleur psychique et douleur corporelle.
- La douleur et ses satisfactions sadomasochistes.
- La douleur dans la réaction thérapeutique négative.
- La douleur et le cri.
- La douleur du deuil.
- Extraits des oeuvres de
Freud et
Lacan sur la douleur, avec les commentaires de Juan.
Je n'ai pas toujours été très convaincue par la présentation systématique des théories sur la douleur. Pas de quoi se réveiller la nuit en gueulant Eurêka, sauf si ça bégaie et qu'on a la gastro. La partie la plus intéressante concerne les spécificités de
la douleur d'aimer. L'amour, ça semble con et inexplicable mais dans ce bouquin, Juan propose une illustration dynamique et poétique du phénomène :
« L'être de notre amour […] joue le rôle d'objet insatisfaisant de mon désir et, par là même, de pôle organisateur de ce désir. Comme si le trou de l'insatisfaction au-dedans était occupé par l'autre élu au-dehors ; comme si le manque était finalement une place vacante successivement occupée par les rares êtres ou choses extérieurs que nous tenons pour irremplaçables et dont nous aurions à faire le deuil s'ils étaient amenés à disparaître. […]
Notre partenaire, l'être de notre amour, nous insatisfait parce que, tout en excitant notre désir, il ne peut pas et –à la limite, en aurait-il les moyens ?- il ne veut pas nous satisfaire pleinement. Etant humain il ne peut pas, et étant névrosé il ne veut pas. C'est-à-dire qu'il est à la fois l'excitant de mon désir et l'objet qui ne le satisfait que partiellement. […] Ainsi garantit-il cette insatisfaction qui m'est nécessaire pour vivre et recentre-t-il mon désir. »
« La présence symbolique de l'autre dans notre inconscient est un rythme, un accord harmonieux entre son pouvoir excitant et ma réponse, entre son rôle d'objet et l'insatisfaction que je ressens. Si je tiens l'élu pour irremplaçable, c'est parce que mon désir s'est progressivement modelé aux sinuosités du flux vibrant de son propre désir. […] Ainsi la cadence de son désir s'harmonise-t-elle avec ma propre cadence, et chacune des variations de sa tension répond-elle en écho à chacune des miennes. […] Cependant, s'il est vrai que les échanges érogènes peuvent être harmonieux, les satisfactions qui en résultent restent pour chacun des partenaires des satisfactions toujours singulières, partielles et discordantes. Nos échanges s'accordent, mais nos satisfactions discordent. Elles discordent parce qu'elles sont obtenues lors de moments différents et à des intensités inégales. Il y a un accord dans l'excitation et des dysharmonies dans la satisfaction. »
Voilà, démerdez-vous avec ça, on peut pas tout lire à votre place (c'est mon côté névrosée obsessionnelle).