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Critique de Taxidermie


Je ne regrette absolument pas la lecture limpide et instructive de cet ouvrage. Même si l'on est nourri, à ce sujet, de connaissances classiques (l'ouvrage de Freud bien sûr, ou l'excellent collectif dirigé par R. Caillois), le livre s'avère beaucoup plus instructif par les "contradictions" qu'il contient selon moi.

Tout d'abord, Tobie Nathan se réfère à M. Jouvet qui considère que le rêve a une fonction : maintenir l'identité du sujet pour le préparer à affronter l'avenir. Re-programmation et maintien des cellules nerveuses qui, autrement, se détruisent et se délitent ; et pourtant, le même auteur soutient que certains patients victimes de lésions au tronc cérébral, et qui ne peuvent donc plus rêver, ne souffrent d'aucun trouble et du sommeil et de la mémoire. On aurait envie de dire aussi : aucun trouble de l'identité, et aucune angoisse face à l'avenir. Donc, pourquoi croire que le rêve maintienne une identité et qu'il me prépare à affronter le futur ? (le terme d'identité est d'ailleurs très problématique, et on cherche en vain une définition de ce mot dans l'ouvrage de Tobie Nathan) ? D'autant plus que Tobie Nathan affirme aussi que le rêve a ceci de fascinant, c'est qu'on ne sait qui est l'expéditeur, qui le destinataire !Alors pourquoi penser que le rêve maintienne l'identité du sujet ? Il aurait fallu qu'il se sente destinataire !

Ensuite, Michel Jouvet, de manière fort subtile, affirme qu'il faut penser le rapport du rêve au futur, à l'avenir, et arrêter de le considérer comme exprimant un passé. Cette belle thèse me laisse sceptique : ne rate-t-on pas en effet ce qui fait le propre du rêve : le présent ? Car celui qui rêve, ne peut (dans le rêve) ni se projeter dans le futur, ni penser au passé. Pourquoi oublie-t-on que le rêve est une expérience du présent "seul" ? Une expérience de ce que serait être enfermé dans un présent sans les horizons du futur et de l'avenir ? On rate le rêve à la fois en le référant au passé, mais aussi à l'avenir ! On oublie l'expérience du présent comme présent perpétuel dans le rêve.

Ensuite encore, Tobie Nathan confond trop l'approche ontologique et pragmatique. Il dit que ce qui importe c'est de savoir ce que les cultures "font" du rêve. Et ces beaux exemples sont sublimes (des Grecs, des musulmans). Donc, on ne s'intéresse pas à ce qu'est le rêve mais à ce qu'il fait faire. Mais aussitôt défendue cette idée, voilà qu'on nous explique ce qu'est le rêve, sa vraie fonction, son vrai sens. Il y a une tension non avouée à ce sujet (je crois)

Puis, Tobie Nathan affirme que le rêve est la destruction du quiconque. Il cherche à maintenir la singularité, notre singularité. Mais si c'était vrai, il aurait fallu au préalable une théorie de l'inter-subjectivité qui montre comment un sujet "apprend" à construire sa singularité, à comprendre même qu'il est singulier. Cela n'est pas donné de manière innée. Un enfant (qui pour Tobie Nathan rêve beaucoup car il est encore dépendant de l'entourage) ne sait pas qu'il est singulier. Il faudrait connaître autrui, connaître des stéréotypes, voir ce qui se répète chez les autres pour savoir s'il y a du quelconque chez nous ou de l'originalité afin "ensuite" (et pas "d'abord") de voir en quoi on se distingue. D'où alors une autre hypothèse plus intéressante je crois : et si en apprenant socialement à comprendre en quoi nous sommes singuliers (ou pas, ou peu), nous aurions involontairement transformé la fonction du rêve pour en faire une source de singularité ? Cette fonction aurait donc une histoire bio-psycho-sociale, et ne serait donc pas une fonction "seulement" biologique.

Enfin, je ne suis pas certain qu'un enfant (un bébé) rêve. Pour rêver, pour savoir qu'on rêve il faut aussi connaître la réalité. Un enfant qui dort, qui s'éveille, et qu'on nourrit au sein, qui entend des voix de personnes qu'il ne peut réellement voir dans un monde alentour, peut-il savoir qu'il rêve ? Ne sont-ce pas plutôt des hallucinations permanentes, intermittentes ? Si c'était vrai, cela voudrait dire alors que ces contenus illusoires, ces mirages que l'on connaît enfant "deviendraient" du rêve quand on apprend à devenir progressivement conscient pour voir le réel. Ainsi, le rêve n'existerait pas naturellement, il émergerait lorsque la réalité devient une perception et une idée. Si la conscience se construit selon des étapes et n'est pas magiquement donnée toute faite d'un coup (ce qu'on appelle théorie de l'esprit) il me semble évident que le rêve aussi se re-construit au fur et à mesure de la construction de notre esprit (dans sa forme, dans ses contenus et sa logique). On part de la conscience adulte (qui se construit et est construite) pour ensuite se référer au rêve de la conscience adulte, mais en considérant ce rêve comme étant identique aux étapes antérieures de la vie. Ce qui est contradictoire.

Nous sommes donc encore loin d'avoir pensé efficacement le rêve aujourd'hui.
Merci à ceux qui m'ont lu jusqu'au bout :-)
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