Décidément, les romans qui abordent de diverses façons des questions de spiritualité me tomberont toujours des mains. Il y a quelque temps, j'ai fini par lire le fameux
L'Alchimiste de
Paolo Coelho, j'avais trouvé le texte pontifiant et naïf, une succession sans saveur de petites phrases qui se donnaient des airs philosophiques mais qui ne sont, au final, qu'un mélange indigeste et bateau de ces petites phrases dites « inspirantes » de développement personnel. Néanmoins, j'ai fini par craquer sur
L'Évangile selon Youri, celui-ci ayant atterri dans la liste du prix Goncourt et se démarquant nettement des autres titres proposés. J'ai été curieuse.
Le héros du roman, Élie (notez que c'est l'un des plus célèbres prophètes bibliques, dont le nom veut littéralement dire « Mon Dieu est YHWH »), est un vieil ethnopsychiatre désabusé, divorcé et, au fond, seul. Il continue de se rendre au centre d'ethnopsychiatrie où, s'il ne travaille plus, on lui a confié la charge honorifique de conseiller. Personne ne l'écoute véritablement, la vieillesse n'est plus, à notre époque, signe de sagesse, mais d'inutilité. Mais on reste poli, il est tout de même le fondateur du centre. Ses quelques amis sont frappés du sceau de la marginalité, nous avons pêle-mêle Samuel, le fripier vintage qui parviendrait à vendre du sable à un bédouin, un vieil accro du sexe, surnommé Old-new-sex, un poète qui s'ignore et qui connaît toutes les poésies du monde ou encore
Le Professeur, un vieil homme cardiaque. Apparemment, le dernier plaisir qu'il leur reste, c'est de se rendre chez le fripier et de discourir. La vieillesse est un naufrage qui se partage, tout comme l'ennui…
Puis survient un jour un cas particulier. Un jeune enfant, roumain d'origine, confié à l'assistance publique, a terrifié autant ses camarades que le personnel encadrant. Il aurait poussé un enfant dans les escaliers par la force de son esprit, et il aurait même, avec un simple regard, explosé les fausses perles du collier de la directrice du centre. On l'amène alors au centre d'ethnopsychiatrie, et le cas est confié à Élie qui rencontre alors Moïra, la jeune mère, et son fils, Youri. En gros, Élie rencontre son destin et fait entrer la lumière dans sa vie – ha ! les prénoms signifiants, ça fonctionne toujours (Moïra vient du grec ancien et veut dire « Destin », Youri est un cas un peu plus complexe, normalement, il est l'équivalent de notre prénom Georges, ici, plutôt une déclinaison de Ouri, soit Uriel, qui signifie « Lumière de Dieu »).
L'histoire se teinte alors de réalisme magique. Moïra raconte la naissance de Youri, possiblement fils d'un être surnaturel qui a disparu juste après avoir fait l'
amour à la jeune adolescente. Youri aurait dès lors commencé à parler dans le ventre de sa mère. Petit-fils chéri d'un grand-père un brin mafieux, il apporte, comme par miracle, la fortune à sa famille. Il fait des envieux, son grand-père le surveille comme le lait sur le feu. On croise aussi, dans ce récit, une sorcière qui le démembre avant de le reconstituer. Encore une fois, il faut y voir une figure du folklore roumain, ce qui n'est pas inintéressant, loin de là. Moïra confie alors son enfant à Élie, pour qu'il le protège des convoitises des autres. À moins que ce ne soit Youri qui veille sur le vieil Élie en faisant entrer un peu de magie dans son morne quotidien.
À partir de là, l'histoire part dans tous les sens. On y croise des figures féminines fugaces, qui finiront toutes dans les bras de notre psychiatre volage. On y croise un Président de la République dans la tourmente médiatique, un ministre de l'intérieur débordé, de jeunes terroristes, la mère et la grand-mère kabyle du jeune terroriste qui voit dans son parcours la marque du mauvais oeil. Et au milieu de ces multiples événements, la présence discrète du jeune tsigane qui remet de l'ordre dans le désordre, qui réapprend la foi aux mécréants, qui distribue la compassion comme des bonbons, qui guérit les âmes comme les corps avec ses mots. On aura aussi une longue procession de gens en attente ou en demande devant la boutique du fripier, la transformant en un lieu de culte éphémère, pour confier leurs maux au jeune enfant thaumaturge. En gros, de nombreuses digressions nourrissent ce texte et perdent un peu le lecteur. Que pensait de l'étrange histoire – un peu malsaine malgré tout – d'Avril, cette femme qui se précipite chez notre psychiatre parce qu'elle a entendu Youri dans ses rêves. Quel rapport son histoire personnelle a-t-elle avec l'histoire principale ? Je cherche encore…
On l'aura compris,
Tobie Nathan propose un regard croisé sur notre société en perte de repères, sur le retour du religieux, sur la place des croyances dans un pays laïque. Qui est Youri ? Un prophète ? Un nouveau messie ? Ou mieux encore, un nouveau Dieu, qui remplacerait le Dieu des trois autres religions monothéistes, qui ont prouvé leur inefficacité à installer la paix parmi les hommes. Je n'en sais toujours rien, et pire, je m'en fiche pas mal.
L'écriture de
Tobie Nathan est agréable, on sent l'aisance avec les mots, et une envie de jouer avec – un peu académique tout de même, un peu facile par instant, mais jamais horripilant. Ce qui explique pourquoi je suis allée au bout de ce roman. Mais, une fois encore, toute la démarche spirituelle de cette fable m'échappe totalement, à croire que je suis totalement hermétique à tout discours frappé du sceau de la spiritualité. Je n'ai trouvé ni réelle sagesse ni profondeur dans les propos. L'ethnopsychiatrie, matière dont j'ignorais l'existence, aurait pu être intéressante, mais à la fin du roman, je ne suis pas plus avancée sur cette discipline qu'au début du récit. Quant aux personnages secondaires, leur marginalité est un brin caricaturale et on n'y croit pas vraiment.
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