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Critique de Apoapo


L'important, c'était de ne pas s'arrêter à tout ce qui, dans les couvertures du livre ou dans sa conclusion, pouvait passer pour un guide pratique pour susciter la passion amoureuse... Mais je connaissais un peu la démarche éthnopsychiatrique de l'auteur ; j'ai donc évité le piège.
L'important, c'est alors de détourner, sur le thème de l'amour, notre regard habituel qui est celui d'un monde "[...] où on a introduit pêle-mêle les interactions complexes et les émotions dans une intériorité confuse, la "psyché" [...] Un monde dont la philosophie est l'apologie du "désir", qui se trouve être celui du consommateur, lui aussi manipulé [...] Monde étrange que celui des "modernes", qui tourne en dérision la paille des techniques d'amour, ignorant la poutre de ses propres techniques de marketing." (p. 10)
On l'aura compris, l'approche est ici "que la passion amoureuse qu'éprouve l'un est le résultat des pratiques d'un autre" (p. 11) : une bonne claque à la toute-puissance de l'individu-centre-de-l'univers. Et cette approche résulte de deux sources : de croyances pré-modernes populaires et savantes qui survivent dans des zones très vastes de notre monde actuel - l'Afrique cis- et trans-saharienne, le Moyen-Orient, l'Amérique du Sud et les Caraïbes, l'Inde, l'Indonésie - et qui parfois répercutent des échos chez nous, d'une part ; et d'autre part une pensée très ancienne dans notre propre civilisation où "tout commence à Sumer", laquelle organise encore, entre paganisme et monothéismes, nos archétypes profonds (y compris le mythe très vivace de "l'âme soeur") et nos comportements amoureux.
Le lecteur est convié "sur des sentiers tortueux", à des allers et retours constants dans le temps, avec par intervalles quelques récits de cas cliniques, trajets qui donnent autant d'importance aux enquêtes ethnologiques, par ex. celle de Michel Leiris en Éthiopie, qu'aux mythologies antiques - mésopotamiennes, gréco-romaine - qu'à l'exégèse biblique notamment kabbalistique, avec quelques détours par l'étymologie : tout ce qu'aiment les psychanalystes que j'aime...

Le résultat n'en est pas un, en tout cas pas linéaire. La passion amoureuse, après quelques tentatives d'en cerner quelques aspects, prend les traits de la "possession", au sens de l'envoûtement par des démons, ou esprits ou zâr, ou djinn, qui se manifestent notamment par la transe. Ces interventions surhumaines ou divines se retrouvent systématiquement dans les polythéismes. Leur "substantialisation" passait dans l'antiquité par "les parfums", mais l'endocrinologie contemporaine (phéromones) ainsi que la parfumerie industrielle ne semblent pas avoir renoncé à boucler la boucle de cette mythologie des "essences d'amour"... En parallèle, le terrible mythe de Cinyras et Myrrha (d'où l'arbre du balsamier et la naissance d'Adonis, ce parent proche de l'Adonaï que prononcent les Juifs en lisant la Torah...), dans un sens pire que celui d'Oedipe, laisse apercevoir que philtres, amulettes et autres magies d'amour peuvent être très pervers. Avec le passage progressif au Dieu de la Bible, nous assistons à l'affirmation du mythe des "âmes soeurs" ; Dieu lui-même serait androgyne, chaque humain naîtrait avec un double de l'autre sexe, et l'histoire de David et Batshéva-Bethsabée serait une tragédie de conjonction d'âmes jumelles. D'autre part, en Afrique la "gémellarité" semble être riche d'implications variées. L'angoisse de l'individu-divisé demeurerait tant qu'il n'a pas trouvé sa part manquante, et même Dieu ne le considérerait que sous cette forme réunie. Là aussi, même si c'est moins évident, l'amour est donc provoqué par un tiers, divin, à savoir Dieu lui-même.
N'y a-t-il pas de découverte moderne, une croyance laïque qui prouve que l'amour vient de l'extérieur, qu'il est induit, provoqué ? Eh bien si : c'est "l'amour de transfert" qui est "fabriqué" par le cadre psychanalytique, mais qui, de toute évidence, ne perd en rien son caractère d'un amour "véritable".
Le reste du dernier chapitre s'attarde sur "quelques principes généraux" pour "le rendre amoureux, la rendre amoureuse" ; là je trouve qu'il s'essouffle, ou alors c'est mon intérêt qui s'estompe. Mais cette note n'aura perdu que les contenus des dix dernières pages.
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