Mon père est ingénieur. "Dans quoi ?" m'a-t-on demandé mille fois. Je ne répondais jamais. A Lou, j'ai pu répondre enfin "dans la merde". Elle a ri. Je lui ai expliqué qu'il dirigeait une société qui récupère les eaux sales des villes pour en faire de l'engrais. Lou ne riait plus et, plus ou moins gênée, lança un "il ne sera jamais au chômage".
Et mon Tiffauges ? Tityre, elle, se laisse mourir. Les chats meurent d'aimer. Fanny et Charli l'ont recueillie. Je ne peux pas la voir sans penser à Tiffauges, flingué fin novembre. Je ne peux pas ouvrir la porte de l'appartement sans penser à lui, il m'attendait, nous avons tout écrit ensemble pendant dix ans.
Partout je suis passé pour un "auteur impossible", partout j'ai retrouvé des pères ou des frères agacés, pressés, parce que je posais la question de savoir combien. Ils osent me dirent que je "crée mon propre malheur". Cela fait vingt ans que j'explique cela à mes proches qui ne me croient pas. L'auteur ne sait rien, ou alors par bribes, oralement, jamais par écrit, les comptes une fois l'an sont invérifiables, les éditeurs ne laissent pas de traces. "A toujours se plaindre", disent-ils. La cause ne sera jamais entendue. L'artiste ne sera jamais que le mendiant et le prétendu mauvais coucheur de son marchand.
(in Carnet de bord)
Je ne peux pas écrire sans fumer. De temps en temps, main gauche à plat, index de la main droite à l'ouvrage, je quitte la page et je crame une super-mild, sans avaler la fumée, puff-puff d'enfant qui se cache dans un champ de pommiers pour fumer sa première Week-end, de celles vendues par paquet de dix, il fallait trouver un plus grand que soi pour aller les acheter Chez Eva place de la mairie, à Vétheuil.
(in Les fleurs de la mi-mai)
E.A écrit sous le pseudonyme de F.L.; je lui écris " Si dans ton bureau du ministère tu rencontres F.L., dis-lui bien que Yves n'a jamais pu rencontrer Navarre. C'est ça l'accident.
( in Les fleurs de la mi-mai)