«Mon destin sera plus extraordinaire qu'un roman d'aventures », assène crânement Louise Révoil de Servannes à l'âge de dix ans. « On écrira des livres sur moi. Dans deux siècles, on se souviendra de la femme que j'étais. Sinon, pourquoi vivre ? »
Est elle née le 17 aout ou le 16 septembre 1810 ?
Un oubli de son fiancé Hippolyte Colet a-t-il reporté son mariage du 4 au 5 décembre 1834 ?
Jessica L. Nelson assume « Que les historiens me pardonnent les libertés prises avec le réel. Quant à Louise, elle ne m'en voudrait pas, je crois, d'avoir traité sa destinée comme celle d'une grande héroïne romanesque. »
Ce roman n'est donc pas une biographie, comparable, par exemple, à «
Ariel ou la vie de Shelley » d'
André Maurois, mais l'épopée romancée d'une femme de lettres couronnée par plusieurs prix au XIX° siècle.
Montée à Paris, la jeune méridionale écrit «
fleurs du midi » qu'elle adresse à
François-René de Chateaubriand en sollicitant une préface. Celui remercie en déclinant aimablement la demande de l'inconnue.
L'orageuse ne se démonte pas et publie la lettre de l'illustre « chateau brillant » en introduction de son recueil de poèmes qui obtient le prix de l'Académie française d'un montant de deux mille francs en 1839. Elle est à nouveau primée en 1843,1852 et 1854 (performance jamais réitérée) et rappelons que les pièces sont envoyées anonymement ce qui réduit au silence les médisants qui attribueraient à ses charmes ce qui résulte de son talent.
Louise, séductrice, oublie à son tour son époux musicien, et entame une relation avec
Victor Cousin qui règne sur la Sorbonne. En 1840 sa maternité est dénoncée comme « une piqure de Cousin » par le journaliste
Alphonse Karr.
L'orageuse lui plante un couteau dans le dos, et le journaliste à l'élégance de survivre, de ne pas déposer plainte, et d'encadrer le couteau dans son salon avec l'inscription « Donné par Madame
Louise Colet (dans le dos) ».
En 1842, Louise rencontre
Juliette Récamier et se lie d'amitié avec celle qui domine alors la vie culturelle. Juliette lui remet en 1844 sa correspondance avec
Benjamin Constant et lui demandant de l'éditer après sa mort. En 1849 Louise publie cette correspondance au grand dam d'Amélie Lenormand, nièce et légataire testamentaire de Juliette, qui l'accuse d'abus de confiance et insinue qu'elle a rédigé des faux. Malgré le témoignage de
Marceline Desbordes-Valmore, le tribunal lui retire cette correspondance.
En 1846 (à 36 ans) elle rencontre
Gustave Flaubert (25 ans) alors inconnu … commence une liaison orageuse où Louise harcèle Gustave qui tente de fuir « aime l'art, il vaut mieux que l'amour » et de s'abriter à
Croisset sous la protection maternelle. Louise se sépare de son mari et poursuit Gustave jusque dans un fiacre où ils jouissent d'un plaisir que Faubert immortalisera dans la fameuse scène où Emma Bovary voyage avec Léon.
Jessica L. Nelson n'étant pas soumise à la censure impériale s'en donne à coeur joie dans cet épisode torride !
La révolution de 1848 permet à la romancière de placer
l'Orageuse sur les barricades puis le coup d'état du 2 décembre 1851 l'ancre dans l'opposition au régime impérial. Elle visite
Victor Hugo exilé à Guernesey qui admire « La colonie de Mettray », parcourt l'Italie insurgée et publie « L'Italie des italiens » en 1864 qui rencontre le succès puis est reporter en Egypte en 1869 lors de l'inauguration du Canal de Suez.
Elle décède en 1876 à l'époque où nait Marie de Hérédia, future
Marie de Régnier, elle aussi multi distinguée par l'Académie française, mais rien de comparable entre le destin d'une provinciale inconnue et celui de la fille et épouse d'un académicien.
Louise Colet a connu
Alfred de Musset,
Alphonse Daudet,
Charles-Augustin Sainte-Beuve alias « Sainte Bave », elle a aimé François-Désiré Mancel, mais sa rupture brutale avec
Flaubert en 1855 fait d'elle
l'orageuse aigrie qui commet «
Une histoire de soldat » puis « Lui » en 1858. Cette rupture, et ses besoins financiers l'éloignent de la poésie où elle excelle, et l'orientent vers la prose qui l'enterre dans l'oubli.
Jessica L. Nelson étaye son ouvrage, richement annoté, sur une impressionnante bibliographie, et il ne manque qu'une table des matières pour attribuer six étoiles à ce roman magnifiquement orchestré. La romancière maitrise parfaitement les techniques du feuilleton et ménage habilement ses effets pour réhabiliter une poétesse qui eut Paris à ses pieds de 1840 à 1855 mais qu'Emma Bovary fit chuter du piédestal en 1856. Son oubli me semble du à l'éclipse générale de la poésie et non au patriarcat ou au parisianisme et, par exemple,
Victor Hugo brille aujourd'hui davantage avec
Les Misérables qu'avec
Les Contemplations.
« Je veux faire comprendre à toutes
les femmes ce qu'il faut dire, ce qu'il faut faire, ce qu'il faut exiger » ambitionnait
l'orageuseLouise Colet !
Merci
Jessica L. Nelson pour ce mémorial.
PS : Lilas blancs et roses noires : le roman de Marie de Régnier
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