Dés le début de cet ouvrage, l'auteur campe d'une main de maître le personnage de Jean- Luc Daguerne, jeune homme qui préfigure la jeunesse pauvre des années 30, son père, un homme vieillissant, malade, plein d'aigreur, "Quel oubli pour celui qui devait bientôt mourir, comme moi, je dois mourir".
Un jeune homme qui avait faim,"Sa pensée, allégée par la faim,était plus agile et plus lucide, un être désabusé,car la jeunesse est un vin précieux qui se boit, d'ordinaire dans un verre grossier,"à l'automne 33 l'intelligence était vendue à un salaire de famine"
"Sur quoi s'appuyer aujourd'hui? Tout chancelle....Julien Sorel,pouvait, lui, s'appuyer sur une partie de la société, l'argent lui même, n'est pas sûr. Et autour de soi.
Pas un appui.Rien."
La Proie est le roman du cynisme, sur fond de crise économique, de montée du chômage et surtout d'une grande angoisse...le monde chancelle....c'est l'ouvrage d'une époque où les conventions sociales liées à l'argent et à l'hypocrisie dominaient...
Jean - Luc Daguerne en est l'archétype, trahi par la femme qu'il aime, Edith Sarlat,riche héritiére d'une dynastie banquiére,qu'un certain Bertrand Bolchére fortuné peut lui prendre:Rien ne ferait de ce jeune homme un garçon pareil aux autres, pareil à Jean - Luc,un de ceux pour qui comptait seul le morceau de pain quotidien".
Le héros va tenter , tragiquement,de prendre sa revanche: "Il éprouvait envers Edith, un sentiment où le désir se mêlait à la colére. Entre eux, il y avait une entente des corps, du sang, mais ils étaient ennemis."
" Ils jouaient au plus fort, au plus fin,chacun d'eux voulait duper l'autre, chacun d'eux refuserait désormais la condition et l'humilité de l'amour".
C'est une histoire d'amour, un récit intime, très cruel, cet ambitieux prêt à toutes les concessions pour vaincre, s'imposer à tous et enfin parvenir à la réussite sociale.
Orgueilleux et jeune ,Daguerne, écrasé par sa déception amoureuse, l'homme au coeur froid, bascule, devient calculateur, se jette dans une bataille âpre, sordide, l'homme politique pris au piège.....
L'auteur montre , avec humour et brillamment qu'elle a une profonde connaissance du coeur humain et la capacité unique de décrire ses rêves et ses travers à une époque donnée où l'argent se raréfie, vibrante,haletante, précipitée, elle a une passion pour l'homme, pour la jeunesse exaltée, fougueuse, désireuse
de vivre et de se jeter au monde avec force, avec l'élan des espoirs et des illusions...
Elle analyse finement, au scalpel, le coeur des hommes, le décortique sans pitié, une fable cynique où le héros essaie de prendre sa revanche avant de chuter lourdement.
La proie n'est pas celle que l'on croit, mais le prédateur lui même!
Iréne Némirovsky est au sommet de son art, par son observation minutieuse de la vanité des hommes où la déliquescence , les ambitions et les turpitudes se déclinaient avec une grande énergie,c'est en cela qu'est la modernité.
Ce n'est que mon petit avis.