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sur 1467 notes
Sans doute le roman le plus humain que j'ai lu sur la Seconde Guerre Mondiale, d'autant plus poignant lorsqu'on remet en perspective les conditions de sa rédaction, puis de son édition tardive 62 ans plus tard, couronnée par le Prix Renaudot 2004.

Il y a peu de destins qui m'émeuvent autant que celui d'Irène Némirovsky. Prenez seulement deux minutes pour consulter sa fiche Wikipedia, et vous comprendrez à quel point l'on peut être ému à la lecture des "Feux de l'automne" et de "Suite française", ce dernier restant inachevé car conçu comme une série dont seuls les deux premiers tomes ont eu le temps d'être écrits.

C'est pourquoi en ouvrant "Suite française", vous découvrez deux romans pour le prix d'un : "Tempête en juin" et "Dolce", ce dernier ayant récemment fait l'objet d'une adaptation cinématographique avec Michelle Williams, Matthias Schoenaerts et Kristin Scott Thomas en têtes d'affiche. Mais vous limiter au film serait une grave erreur tant le roman est davantage dense. D'autant que "Tempête en juin" est un riche témoignage, quasi journalistique, de la débâcle ayant suivi l'entrée de l'armée allemande dans Paris, et entraîné un exode sans précédent de la population civile française. D'ailleurs, hasard ou hommage discret, au moment où l'on redécouvrait "Suite française" en librairie sortait le film "Bon voyage" de Jean-Paul Rappeneau mettant en scène un scénario proche de "Tempête en juin".

"Suite française" est peut-être le cinquième ou le sixième roman d'Irène Némirovsky que je lis et au-delà de sa parfaite maîtrise de la langue (elle maîtrisait sept langues et écrivait en français) et de son talent de narratrice, je reste surtout touchée par la grande humanité qui transparaît derrière chacun de ses personnages, qu'il occupe le premier plan ou non.

Avec quel oeil critique et ironique l'auteur scrute-t-elle les événements qui l'entourent ? Réfugiée avec son mari et ses deux filles dans un petit village du Morvan, en Bourgogne, vivant journellement dans l'insécurité et le manque de liberté, Irène relate ce qu'elle a elle-même vécu, et ce qu'elle vivra jusqu'à son arrestation en 1942 et sa déportation à Auschwitz où elle sera assassinée parmi tant d'autres.

Ce roman est un coup de coeur ; et s'il y a bien un auteur que je voudrais voir pleinement reconnu et lu à travers les générations, c'est bien elle, la courageuse et talentueuse Irène Némirovsky, morte avant quarante ans, victime de l'inhumanité des hommes. C'est le plus bel hommage que l'on puisse lui rendre.


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C'est à la lecture d'un échange entre Michfred et Migdal que je me suis décidée à lire « Suite Française » d'Irène Némirovsky.

Ce livre vaut aussi par sa préface qui est rédigée par Myriam Anissimov. Elle permet de mettre en lumière les motivations d'Irène que l'on retrouve dans tous ses écrits. Myriam Anissimov a écrit, aussi, de très belles pages sur notre Romain Gary national.

La première chose qui frappe dès le début de la lecture, c'est le français impeccable dans lequel sont rédigés les deux récits qui composent cet ouvrage. le premier « Tempête en juin » et le second « Dolce ». Je ne peux m'empêcher de songer à la plume poétique d'Andréï Makine. Décidément, nos écrivains russes francophiles sont très souvent les garants de la langue de Molière. Il est vrai qu'en Russie, la littérature est essentielle.

Irène est née en 1903 à Kiev dans une famille aisée de la bourgeoisie juive. En 1918, sa famille décide de fuir la révolution qui s'accompagne de pogroms pour s'installer en France en 1919. Elle y rencontre Michel Epstein qu'elle épouse en 1926 et dont elle aura deux filles.

Devant les évènements dramatiques qui se profilent à l'horizon des années 30, le couple demande la nationalité française en 1938 qui leur sera refusée : ce qui de toute façon n'aurait pas changer grand-chose quant à leur avenir. C'est à Issy-l'Evèque, un petit village du Morvan, où le couple et leurs deux filles se sont réfugiés qu'Irène griffonnent ses carnets peut-être par devoir de mémoire où tout simplement pour exorciser ses angoisses ! Ecrire devient un réflexe de survie lorsque les illusions se sont évaporées.

Si vous voulez suivre en direct l'exode de juin 40, alors n'hésitez pas, c'est saisissant ! Irène Némirovsky rapporte avec l'exactitude de celle qui l'a vécue, à travers une fiction, ces instants terribles où des millions de personnes se sont retrouvées jetées sur les routes de France, fuyant à la fois l'envahisseur allemand mais aussi les bombardements. C'est justement ce qui fait la grande valeur de ce récit inachevé, écrit en 1942, juste avant qu'elle ne soit arrêtée par la Gestapo et déportée à Auschwitz. C'est un reportage en direct qui braque l'objectif sur quelques familles et leurs individualités. L'auteure trace avec précision leur lâcheté, leur héroïsme, le désordre ambiant, la peur, le mépris, la collaboration mais aussi quelquefois la solidarité ! le portrait d'une France en perdition !

En lisant « Suite Française » aujourd'hui, on y retrouve un peu du scénario actuel du « Village français » mais aussi du « Silence de la Mer » de Vercors. le roman de Vercors a été lui aussi écrit en 1941 mais publié en 1942 dans la clandestinité et édité par Edmond Charlot. (Les Richesses de Kaouther Adimi).

Avant d'être lui-même déporté, Michel Epstein, le mari d'Irène, a confié le manuscrit à leurs filles, Denise 13 ans et Elisabeth 5 ans, soigneusement conservé dans une valise avec instruction d'y veiller précieusement. Les deux enfants se sont cachées sans jamais abandonner cette fameuse valise qu'elles n'ont pas osé ouvrir tant que les cicatrices ne s'étaient pas estompées. Denise n'imaginait pas l'importance de ces écrits. C'est en voulant les confier à l'Institut de la Mémoire, en 1975, et en les dactylographiant à l'aide d'une loupe, qu'elle va prendre la mesure du document qui est sous ses yeux. Il faut l'insistance des Editions Denoël pour qu'enfin paraisse ce témoignage écrit sur le vif.

Le 8 novembre 2004, Irène connaît le succès à titre posthume et « Suite Française » reçoit le Prix Renaudot.

Je tenais à rendre hommage à ces quelques écrivains comme Stefan Zweig, Sandor Maraï et Irène Némirowsky que je qualifierai de « gardiens de la mémoire » et qui ont eu cette idée géniale d'écrivain d'annoter sur leurs carnets tous les grands et petits détails du quotidien alors que le monde autour d'eux s'écroulait.

« Mon Dieu ! Que me fait ce pays ? Puisqu'il me rejette, considérons le froidement, regardons le perdre son honneur et sa vie. Et les autres que me sont-ils ? Les empires meurent. Rien n'a d'importance. Si on le regarde d'un point de vue mystique ou d'un point de vue personnel, c'est tout un. Durcissons-nous le coeur. Attendons ». Irène Némirowsky

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Un roman écrit pendant la guerre, un roman inachevé, un roman écrit par une auteur qui ne reviendra pas de cette guerre, et pour conclure, les notes retrouvées de l'auteur, des échanges écrits entre les proches de l'auteur.
On suit réellement dans cette histoire différents personnages au coeur de cette première partie de guerre, de l'exode à l'occupation.
Personnellement, j'ai beaucoup apprécié l'écriture d'Irène Némirovsky, pas de jugements, pas de parti pris. Juste un état des faits, le ressenti des personnages, dans tout ce qu'il y a de bon et de mauvais.
Un roman qui complète les connaissances que l'on peut avoir sur cette période.
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Juin 1940 : les Parisiens fuient en masse la capitale bombardée par les Allemands. Il y a la famille Péricand, l'écrivain Gabriel Corte et sa maîtresse Florence, Jeanne et Maurice Michaud et bien d'autres qui s'élancent vers les provinces. « Ainsi, pendant un naufrage, toutes les classes se retrouvent sur le pont. » (p. 40) Quitter Paris, quitter sa vie, c'est éreintant : que faut-il prendre ? Les objets de première nécessité ou plutôt les souvenirs ? Ou plutôt les valeurs et les biens précieux ? Comment être sûr que tout restera en place avant un éventuel retour ? À pied, en voiture, en charrette ou en train, chacun fait son chemin comme il le peut. « Cette multitude misérable n'avait plus rien d'humain ; elle ressemblait à un troupeau en déroute, une singulière uniformité s'étendait sur eux. » (p. 95) Parfois pris dans un convoi mitraillé ou arrêtés en rase campagne sans essence, les fuyards sont tous égaux dans la peur qui, sous la poussée allemande, les pousse sur les routes et qui les expulse de Paris.

Il y a la faim, il y a la peur, il y a l'incertitude. La générosité est soudain un bien qui se vend très cher : chacun vit pour soi dans l'exode et la débâcle. Devant la même menace et l'imminente défaite française, comment préserver la dignité et les apparences ? Et pourquoi ? Alors que certains s'accrochent à leur luxe et à leurs privilèges, la mort fauche à grandes brassées. « En un mot, que les catastrophes passent et qu'il faut tâcher de ne pas passer avant elles, voilà tout. Donc d'abord vivre : Primum vivere. Au jour le jour. Durer, attendre, espérer. » (p. 269) Et les morts ne traînent pas : certaines sont absurdes, d'autres sont hideuses.

Dans la deuxième partie, l'exode a laissé place à l'occupation. Lucile Angellier et sa belle-mère sont contraintes d'accueillir Bruno von Falk dans leur grande demeure. Il en va de même pour Madeleine et Benoît Labarie dans leur ferme. Quelle attitude les Français doivent-ils adopter avec les occupants ? Faut-il composer ? « On a été battus, n'est-ce pas ? On n'a qu'à filer doux. » (p. 452) Faut-il les défier et les mépriser ? « La force prime le droit. » (p. 330) Ou faut-il les accueillir les bras, voire les draps, grands ouverts ? « On nous complique assez l'existence avec les guerres et tout le tremblement. Entre un homme et une femme, ça ne joue pas, tout ça. » (p. 399) Chacun voit l'ennemi à sa porte et choisit son camp. Les occupants, sous leurs terribles habits verts, sont pourtant très courtois. « Il met des gants blancs pour exercer ses droits de conquête. » (p. 374) Mais personne n'oublie que la guerre gronde ailleurs en Europe. « En temps de guerre, aucun de nous n'espère mourir dans un lit. » (p. 359) du point de vue de Lucile, à laquelle la seconde partie s'attache particulièrement, la question est simple : est-il possible d'aimer l'ennemi ?

Ce roman est inachevé : l'auteure a été arrêtée, déportée et exécutée en 1942. Il manque clairement un pan à ce tableau en trois volets. Lire les notes finales, premières ébauches de la main de l'auteure est éclairant, mais j'ai préféré ne pas poursuivre ma lecture et m'en tenir à l'oeuvre partiellement achevée. Il y a quelques destins croisés entre les familles. le texte est surprenant et suit presque au jour le jour l'exode et l'occupation. La guerre est vue de l'intérieur, mais loin des tranchées et sans héros. Les petites résistances ou les premières collaborations n'ont aucun éclat : finalement, le quotidien reste le même, la banalité est juste légèrement ébranlée par quelques coups de canon. Cette Suite française est un roman poignant, au style percutant. Irène Nemirovsky a très largement son prix Renaudot posthume en 2004.
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Cocottes en goguette éparpillées aux quatre vents, bourgeois ventripotents et égoïstes suffocant loin de leur cher Paris, rombières bourgeoises affublées de familles nombreuses, petit peuple traînant ses guêtres le long des routes, tout ce beau monde projeté au coeur du chaos que fut l'exode au printemps 1940, reprend vie à travers la plume d'Irène Némirovsky. Par le prisme de son regard sans concession, scrutateur et intransigeant, l'auteur qui connut également cet épisode douloureux, nous livre à chaud cette expérience traumatisante pour des millions de Français jetés sur les routes. Cela est d'autant plus remarquable qu'elle l'a écrit dans une quasi immédiateté (à peine 2 ans plus tard) et relève le défi d'y apporter un certain recul (bien qu'on y perçoive, à travers sa prose incisive, une critique à peine voilée des excès de comportements engendrés par cet épisode). Suite française se voulait comme une peinture sans concession de cette France occupée, une saga débutant avec l'exode et l'arrivée imminente des Allemands et poursuivant avec le quotidien d'une poignée de Français sous le joug nazi, les uns lâches et collabos, les autres entamant la résistance. Malheureusement Irène Némirovsky sera arrêtée puis déportée avant d'avoir pu finir son oeuvre. C'est sa fille Denise Epstein qui cachera les 2 premiers tomes du roman et finira pas les faire publier 60 ans plus tard. Ma lecture de cette oeuvre fut d'autant plus teintée d'émotions quand on sait qu'Irène Némirovsky ne reviendra jamais des camps.

Le deuxième tome de Suite française – Dolce - (celui qui a été adapté au cinéma récemment) s'intéresse à la vie d'une poignée de villageois d'un patelin paumé du centre de la France. Il esquisse une idée d'un quotidien, quasiment un huit clos, au contact de l'ennemi qui prend une place importante au coeur de leurs intimités. Plus calme que la première partie dont le rythme est à l‘image de l'émotion et de la houle induites par l'Exode, Dolce, plus intime, se lit posément, disséquant avec précision et acuité le ressenti des personnages aux prises avec l'occupant allemand et comment au final on s'accommode de tout dès lors qu'une routine s'installe.

Témoignage d'une période sombre et trouble des premières années de l'Occupation, Suite française est un ouvrage qui se lit à la fois comme un roman, un reportage et un testament. Pour avoir lu d'autres romans d'Irène Némirovsky, j'ai trouvé que Suite française concentrait l'essence même du talent de cette femme de lettres remarquable. Poignant par la portée de ce roman et son destin, acerbe par le regard porté sur cette période, Suite française ne peut vous laisser indifférents.
Lien : http://livreetcompagnie.over..
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C'est un roman, mais avec une charge émotionnelle particulière. Disparue à Auschwitz en 1942, Irène Némirovsky a raconté ce que les Français ont vécu quelques mois auparavant : la débâcle, la défaite, l'occupation. Elle n'a eu le temps de terminer que deux livres de sa Suite française : Tempête en juin et Dolce.
Tempête en juin : En juin 1940, les troupes allemandes s'approchent de Paris, deux millions de Parisiens se jetèrent sur la route pour échapper à l'ennemi. Parmi eux, une famille bourgeoise catholique bien-pensante, les Péricand ainsi que d'autres personnages qui, tous, se débrouillent comme ils peuvent.
Un récit presque à chaud de la débâcle de 1940.
Dolce : À Bussy, les habitants doivent composer avec les Allemands et leur « verboten » sous peine de mort. Certains leur vendent des produits à prix d'or, d'autres restent sur leur réserve en songeant aux morts et aux prisonniers.
Lucile et Bruno Falk font connaissance.
Loin d'être un livre manichéen, les Allemands ne sont que des soldats qui font leur métier de soldat, parfois sans états d'âme et les Français ne sont que des hommes et des femmes qui font ce qu'ils peuvent pour vivre le moins mal possible. Bizarrement, la Résistance est absente de ce livre, bien que les paysans aient gardé leurs fusils et que de loin en loin, on entend des émissions de radio interdites.
Une description fine des relations entre occupants et occupés.

Lien : https://dequoilire.com/suite..
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Juin 1940, la France qui a peur se jette sur les routes pour échapper à l'Allemand. Les nantis comme les plus modestes fuient dans une confusion pathétique. En chemin, ceux qui espèrent un peu de confort déchantent.

Cela ressemble à une déroute, il y a les bombardements, les morts, la faim, l'avenir incertain pour les réfugiés à qui on refuse même un verre d'eau, alors que les autres pillent des maisons. Le temps est au désordre et à la lâcheté, rarement à la solidarité.

Après l'exode, l'occupation : dans un village bourguignon, à l'heure allemande certains trouvent l'occupant jeune et pas si effrayant que cela. La question qui divise et déchaîne les passions est de savoir s'il faut le détester ou composer avec lui.

Dans ce manuscrit, qu'Irène Némirovsky n'a pu finir, déportée et assassinée par les Allemands, on assiste « en direct » à des moments dramatiques de l'histoire française. Avec l’œil acéré qui est le sien, l'auteure y décrit, avec un réalisme confondant, les lâchetés, les compromissions, les questionnements, mais aussi la solidarité d'une population face à l'ennemi.

Un texte distancié et historique d'autant plus remarquable qu'Irène Némirosky l'a écrit alors qu'elle se savait en grand danger.
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Inutile, je crois, de revenir une fois encore sur l'histoire très particulière de ce texte, miraculeusement échappé à la destruction tandis que son auteure disparaissait à Auschwitz en 1942. En ce qui me concerne, c'est sur Babelio que je me suis intéressé pour la première fois à Irène Némirovsky (et je suis d'ailleurs impressionné de voir à quel point la fréquentation de ce site a guidé et réorienté mes lectures en à peine deux ans, avec un saut qualitatif qui me laisse rêveur).
Si l'histoire éditoriale de ce roman sort de l'ordinaire, son propos n'est pas davantage en reste : Suite française est le récit de l'exode des civils lors de la débâcle française de 1940, suivi de la première année d'occupation du territoire par l'armée allemande. Selon le projet de l'auteure, l'entreprise devait comporter au moins quatre volets, les deux derniers n'ayant jamais été écrits. En l'état actuel, et à tout jamais, l'oeuvre se constitue donc de deux brefs romans (Tempête en juin et Dolce), qui se partagent quelques personnages tout en demeurant indépendants l'un de l'autre. Il est important de préciser que ces romans sont suffisamment autonomes pour que le lecteur ne retire pas de sa lecture la frustration de l'inachevé. Ils sont aussi suffisamment complémentaires pour que l'on conserve le regret de ne jamais connaître la suite.
Voulant connaître un peu Irène Némirovsky avant ma lecture, j'ai appris qu'on l'avait accusée de ce paradoxe : être à la fois juive et antisémite. Cette idée me laisse assez perplexe, je dois bien le dire. Certes, dans les premiers temps de l'Occupation, elle a continué à envoyer ses textes à des revues notoirement antisémites, dont Gringoire. En lisant la correspondance reproduite dans les annexes du roman, il me semble pourtant qu'il n'y avait là surtout qu'une question alimentaire : Némirovsky se démenait pour faire jouer des liens personnels afin de pouvoir nourrir sa famille. Sur le contenu antisémite de ses écrits, je ne me prononcerai pas, tout simplement parce qu'il n'en est pas question dans Suite Française.
Les deux tomes sont de ton et de propos très différents. J'ai également apprécié les deux, quoique pour des raisons différentes : joyeusement corrosif, le premier raconte la fuite éperdue d'une poignée de personnages hors de Paris en juin 1940. Némirovsky déploie ici un rare talent pour dépeindre la petitesse, l'égoïsme et l'étroitesse d'esprit de la bonne bourgeoisie parisienne. Les seuls personnages qu'épargne son ironie grinçante sont des gens de peu : des paysans et surtout un couple de petits employés parisiens au désarroi très touchant. Pour le reste, on savoure la verve de Némirovsky dans sa détestation des grands bourgeois. C'est un véritable régal de méchanceté vacharde, dont Pierre Lemaître aurait pu s'inspirer.
Le second volume, lui, fait le récit des débuts de l'Occupation dans un bourg de campagne. Némirovsky délaisse cette fois la noirceur drolatique pour un tableau psychologique bien plus nuancé : aux yeux des paysans et des notables, ces soldats allemands qui s'installent dans leur village sont certes des ennemis que l'on n'aimera jamais. Mais il apparaît aussi que ce sont des hommes, ni pires ni meilleurs que beaucoup d'autres. Et des liens se nouent malgré tout entre occupants et occupés, liens à la fois circonspects et coupables. L'histoire est moins chorale, s'attachant surtout à un couple de personnages : la belle Lucile et le lieutenant qu'elle est contrainte d'héberger. Relation complexe, faite d'attirance contrariée, entre deux êtres qui croient se comprendre mais pensent pourtant différemment. Difficile de ne pas faire le parallèle avec Vercors et son Silence de la mer (que je dois relire pour approfondir ou pas la comparaison).
Naturellement, il faut être conscient du biais historique que présente ce deuxième volume : en fait de soldats allemands, il n'est question ici que de la Wehrmacht, et on ne trouvera pas l'ombre d'un SS ni d'un gestapiste à l'horizon. Des autorités de Vichy, il est à peine fait mention, et sur la déportation pas un mot. Voilà en somme une occupation qui se montre sehr korrekt... Il est vrai que l'action se situe à la charnière de 1940-1941, c'est-à-dire avant la guerre contre l'URSS, au moment où l'Allemagne est encore persuadée de sa victoire imminente et définitive, et où les exactions nazies sur le territoire français restent limitées. Sans être historiquement faux, le tableau doit donc être replacé dans ce contexte précis. le sujet du livre, cependant, n'est pas là : c'est à la complexité des rapports humains que s'intéresse l'auteure, et au développement d'un réseau de lézardes subtiles dans l'édifice des idées reçues.
Un mois avant d'être arrêtée par la gendarmerie française, sans doute consciente que l'Occupation risque de ne pas rester très korrekt en ce qui concerne sa famille, Irène Némirovsky résume elle-même l'esprit de son entreprise, dans son journal à la date du 2 juin 1942 : « Ne jamais oublier que la guerre passera et que toute la partie historique pâlira. Tâcher de faire le plus de choses, de débats... qui peuvent intéresser les gens en 1952 ou 2052. »
C'est réussi.
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Il est rare que je lise l'entièreté d'une préface avant d'entamer un livre, réservant cela à la fin de la lecture de celui-ci. ,Ici, par contre, je n'ai pu lâcher l'introduction faite par Myriam Anissimov tant elle m'a intéressée, son portrait d'Irène Némirovsky est en effet passionnant et je ne m'étonne donc pas que tant de critiques se soient abreuvées à celle-ci.
Une mention également pour l'annexe avec des notes manuscrites de l'auteure qui nous font entrevoir ce qu'eût été la Suite Française si l'auteure n'avait été arrêtée, et assassinée à Auschwitz, et qui reprend la correspondance d'Irène Nemirovsky puis de son mari avec Albin Michel et d'autres.

Venons-en au roman lui-même ou plutôt aux deux parties qu'Irene Nemirovsky a pu terminer.

La première, intitulée Tempête en juin, est un portrait saisissant et quasi pris sur le vif de ce que fut l'exode de juin 1940, les nouvelles de la guerre, les rumeurs d'une arrivée proche des Allemands, les hésitations puis la fuite, désordonnée, difficile, sous les bombardements.
On y suit les odyssées de plusieurs personnages, souvent assez odieux, parfois exemplaires et leurs conduites respectives. Les riches et les bourgeois sont lâches, peureux, ne pensent qu'à eux et à leurs biens et souffrent d'être dans la même situation que ceux qu'ils considèrent inférieurs.
Un couple d'employés de banque et un jeune idéaliste trouvent grâce à la plume de l'auteure. Des élans de solidarité existent néanmoins parfois.
La description de cet exode, de cette panique, des difficultés pour s'approvisionner en nourriture et essence, pour se loger, pour trouver un train est bien écrite.

La seconde partie, intitulée Dolce, est plus romanesque. Elle décrit un village, Bussy, occupé par les Allemands. La vie semble y reprendre, il n'y a plus de combats. Les occupants sont d'abord considérés avec méfiance mais ils arrivent à charmer, ils sont jeunes, ils sont beaux, sont polis et corrects. La famille aristocratique du lieu les dénigre en public mais les choie, les mères de prisonniers les haïssent et les jeunes filles les regardent. D'autres lutteront par contre.
Chez les Angellier, vivent Lucile dont le mari est prisonnier et sa belle-mère; on leur enjoint d'héberger un lieutenant allemand. Des sentiments naîtront entre Lucile et lui mais cela n'ira pas plus loin alors que la belle-mere ne voudra pas daigner lui parler.
Irène Nemirovsky nous présente bien les hésitations, interrogations et décisions des personnages.
C'est une analyse très fine.

En fin de compte, un beau livre !
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Début de l'Occupation:
d'un côté, c'est l'exode, la peur des bombardements, les rues et les immeubles de Paris désertés et la foule qui parcourt les routes quand les trains ne circulent plus. Ebahissement de ceux qui marchent et espèrent encore, pour les plus aisés, être bientôt accueillis dans un hôtel luxueux ou pouvoir s'offrir de bons restaurants pour soulager leur exil, mais sur la route, tout a déjà été vendu, pillé, mangé, occupé, et il ne reste plus qu'à marcher encore, dormir à la belle étoile, se contenter d'un bout de pain.
Les ponts sont bombardés, l'incompréhension et la peur règnent.
D'un autre côté, les villages occupés par les Allemands, les chevaux réquisitionnés ainsi que les chambres libres qu'un Bruno, Willy ou Siegfried viendra loger pour quelques mois. Mais l'hiver ne dure pas éternellement, la haine non plus, et avec la végétation qui refleurit, le chant des oiseaux, le bruissement des feuilles, l'abondance des vergers, les villageois - d'abord les jeunes filles et les enfants, puis, peu à peu, les commerçants, les vieilles - commencent à apprécier ces jeunes Allemands à peine âgés de vingt ans, polis et courtois avec qui ils partagent plus d'une bouteille de vin et de photos de famille.
Les deux portraits de l'Occupation allemande que trace Irène Némirovsky sont d'un pur réalisme, l'un présentant un versant cynique et l'autre optimiste des relations humaines en tant de guerre. les saisons qui passent, indifférentes au malheur qui s'abat sur le pays, déroulent le temps et les évènements, le retour après l'exode, les blessures de guerre. Il est assez incroyable de penser que ce long texte ait pu être écrit au moment même de l'occupation tout en ayant un regard déjà si distancié, objectif et sans haine.
Quelle maîtrise et quel sang-froid quand on sait qu'Irène a été déportée en 1942 et connaissait les risques qu'elle courait en tant que juive de confession. On comprend, dans les notes annexes, qu'elle écrit pour les générations futures un roman qu'elle veut intemporel. On y apprend aussi qu'elle voulait aborder le communisme et la résistance, ce qu'elle n'a pas eu le temps de faire.
Si nulle part n'est évoqué le sort de la population juive persécutée et des déportations, le regard d'étrangère que porte Irène sur ces évènements offre un portrait intime et profond de la population française, on pénètre dans leurs maisons et leur famille, leurs sentiments ambigus envers ses envahisseurs qui pourraient être leur fils ou mari.
On ne saura pas ce qu'il adviendra de ces jeunes soldats allemands, roses et souriants, qui prendront un soir la route pour la Russie, mais les notes nous en apprend un peu plus sur le sort que l'auteure réservait aux autres personnages.
En dehors du récit, l'histoire de ce manuscrit enfermé pendant plus de trente ans dans cette lourde valise que les deux fillettes d'Irène Némirovsky ont traînée partout avec elles jusqu'à la fin de la guerre est tout simplement époustouflante, et bouleversante.
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