[...] en cédant [Edgar Faure] aux syndicats enseignants tout ce qu’ils demandaient – le choix de « primariser le secondaire ». Ils décideront en effet de supprimer la pédagogie traditionnelle des lycées, impossible à pratiquer avec tous les élèves dans des classes rendues intellectuellement « hétérogènes » par la suppression des filières et l’instauration d’une carte scolaire. Ils imagineront de la remplacer par une pédagogie toute différente, venue du primaire, basée sur les méthodes « actives » et « inductives », prétendant que ces méthodes sont les seules qui puissent convenir à la masse des élèves encore incapables de s’élever à une pensée abstraite et désintéressée de type scientifique. Peu importait qu’un quart ou un tiers des élèves en fussent capables : c’étaient des enfants de « privilégiés ». […] Il a résulté de ce choix […] un effondrement du niveau scolaire en France […].
(p. 153)
[…] les socialistes révolutionnaires, dont certains s’intéressent d’ailleurs de très près au fascisme et au nazisme auxquels ils reconnaissent le mérite de savoir unifier et mobiliser les « masses », ce qu’ils rêvent de faire aussi en France, en utilisant notamment l’école. Thibaudet sait donc très bien ce que les radicaux et les socialistes ont voulu faire lorsqu’ils ont changé « l’enseigne modestement libérale d’Instruction publique » pour celle d’« Education nationale », substitution accomplie en 1932 par le second Cartel des gauches : ils ont voulu imposer à la jeunesse et par elle, à terme, au pays, une unité philosophique profonde autour de leur projet de transformation sociale radicale.
(p. 133)
Le marxisme, bien entendu, renforcera encore cette intolérance. Forme idéologique achevée du millénarisme, il prétendra offrir une interprétation totale du monde et de l’Histoire. Il ne sera donc pas question pour lui, pas plus que pour les fanatiques quinétistes, de supporter la rivalité d’autres conceptions du monde. Pour les marxistes qui s’empareront de l’école publique française, la laïcité ne sera pas un principe de neutralité, mais un instrument de combat.
(p. 119)
[…] les nouveaux dirigeants francs-maçons se sont donné dès le début du siècle un bras séculier particulièrement efficace pour agir sur la République, le Parti radical-socialiste.
Le noyau originaire en a été, aux alentours de 1880, l’entourage de Clémenceau, où le F :. Camille Pelletan, fondateur du journal ‘La Justice’, exerçait une grande influence. Peu après, un « Comité d’action pour les réformes républicaines » a été créé en 1884 par deux autres hauts responsables francs-maçons, Gustave Mesureur et le FAUX MODERE Léon Bourgeois. Le parti proprement dit est fondé en 1901, en application immédiate de la loi sur les associations, sous le nom de « Parti républicain radical et radical-socialiste », par 155 loges maçonniques et 215 journaux et comités divers, également animés par des francs-maçons.
(p. 134)
Le marxisme a donné une forme pseudo-savante à ce privilège gnoséologique des révolutionnaires. Louis Althusser expliquait à ses élèves de l’Ecole normale supérieure des années 1960 que, puisque le matérialisme historique était la science véritable de l’Histoire, il était aussi la mesure de la scientificité de toutes les autres sciences. Les critiques du marxisme émanant de sciences que le matérialisme historique ne reconnaissait pas comme telles n’étaient donc pas valides.
Placée à l’abri de ce « stratagème immunisateur », comme dit Popper, la doctrine était irréfutable. Elle fonctionnait comme une théologie, où il faut « croire pour comprendre, et comprendre pour croire ». […]
En conséquence, dès lors que les révolutionnaires ont cette perception exclusive de la vérité, ils n’ont pas besoin de se faire conférer un mandat par autrui : ils peuvent et doivent se poser d’eux-mêmes en leaders du mouvement social dont ils connaissent la raison d’être et les buts. Il n’est pas question, pour eux, de consulter le peuple, ni de subordonner leur action à son consentement. On fera le salut des masses indépendamment d’elles, quoi qu’elles pensent et quoi qu’elles objectent.
(p. 59-60)
Philippe Nemo à propos de son dernier ouvrages: "Les deux républiques françaises". 4/4