Lu lorsque j'étais adolescente, ce livre m'a laissé un souvenir fasciné . J'ai beaucoup aimé à l'époque l'atmosphère créée par l'auteur. Aussi rarement lu qu'aujourd'hui à l'époque et cela ajoutait à son aura. Un très grand auteur de la langue française pourtant. Quel dommage ce serait de passer à côté. Courrez, goûtez de cette écriture et dites-moi, vous aimez, n'est-ce pas ?
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"Quelle folie, me disais-je, d'aimer ainsi d'un amour platonique une femme qui ne vous aime plus. Ceci est la faute de mes lectures; j'ai pris au sérieux les inventions des poètes, et je me suis fait une Laure ou une Béatrix d'une personne ordinaire de notre siècle... Passons à d'autres intrigues, et celle-là sera vite oubliée."
(Aurélia)
Je suis obligé d'expliquer que Pandora fait suite aux aventures que j'ai publiées autrefois dans la Revue de Paris, et réimprimées dans l'introduction de mon Voyage en Orient, sous ce titre : Les Amours de Vienne. Des raisons de convenance qui n'existent plus, j'espère, m'avaient forcé de supprimer ce chapitre. S'il faut encore un peu de clarté, permettez-moi de vous faire réimprimer les lignes qui précédaient jadis ce passage de mes Mémoires. J'écris les miens sous plusieurs formes, puisque c'est la mode aujourd'hui. Ceci est un fragment d'une lettre confidentielle adressée à M. Théophile Gautier, qui n'a vu le jour que par suite d'une indiscrétion de la police de Vienne, - à qui je pardonne, - et il serait trop long, dangereux peut-être, d'appuyer sur ce point.
Voici le passage que les curieux ont le droit de reporter en tête du premier article de Pandora.
"Représente-toi une grande cheminée de marbre sculpté. Les cheminées sont rares à Vienne, et n'existent guère dans les palais. Les fauteuils et les divans ont les pieds dorés. Autour de la salle, il y a des consoles dorées ; et les lambris... ma foi, il y a aussi des lambris dorés. La chose est complète comme tu vois. Devant cette cheminée, trois dames charmantes sont assises : l'une est de Vienne ; les deux autres sont, l'une Italienne, l'autre Anglaise. L'une des trois est la maîtresse de la maison. Des hommes qui sont là, deux sont comtes, un autre est un prince hongrois, un autre est ministre, et les autres sont des jeunes gens pleins d'avenir. Les dames ont parmi eux des maris et des amants dévoués, connus ; mais tu sais que les amants passent en général à l'état de maris, c'est-à-dire ne comptent plus comme individualité masculine. Cette remarque est très forte, songes-y bien.
« Ton ami se trouve donc seul d'homme dans cette société à bien juger sa position ; la maîtresse de la maison mise à part (cela doit être), ton ami a donc des chances de fixer l'attention des deux dames qui restent, et même il a peu de mérite à cela par les raisons que je viens d'exposer.
Vous l'avez tous connue, ô mes amis! la belle Pandora du théâtre de Vienne. Elle vous a laissé sans doute, ainsi qu'à moi-même de cruels et doux souvenirs! C'était bien à elle, peut-être, - à elle, en vérité, - que pouvait s'appliquer l'indéchiffrable énigme gravée sur la pierre de Bologne : AELI LAELIA - Nec vir, nec mulier, nec androgyna, etc. "Ni homme, ni femme, ni androgyne, ni fille, ni jeune, ni vieille, ni chaste, ni folle, ni pudique, mais tout cela ensemble..." Enfin, la Pandora, c'est tout dire, - car je ne veux pas dire tout.
(Pandora)
Le Rêve est une seconde vie. Je n'ai pu percer sans frémir ces portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible. Les premiers instants du sommeil sont l'image de la mort; un engourdissement nébuleux saisit notre pensée, et nous ne pouvons déterminer l'instant précis où le moi, sous une autre forme, continue l'oeuvre de l'existence. C'est un souterrain vague qui s'éclaire peu à peu, et où se dégagent de l'ombre et de la nuit les pâles figures gravement immobiles qui habitent le séjour des limbes. Puis le tableau se forme, une clarté nouvelle illumine et fait jouer ces apparitions bizarres; le monde des Esprits s'ouvre sur nous.
(Aurélia)
Un convoi croisa ma marche; il se dirigeait vers le cimetière où elle avait été ensevelie; j'eus l'idée de m'y rendre en me joignant au cortège. "J'ignore, me disais-je, quel est le mort que l'on conduit à la fosse, mais je sais maintenant que les morts nous voient et nous entendent, - peut-être sera-t-il content de se voir suivi d'un frère de douleurs, plus triste qu'aucun de ceux qui l'accompagnent." Cette idée me fit verser des larmes, et sans doute on crut que j'étais un des meilleurs amis du défunt. (...)
(Aurélia)
Poésie - Une femme est l'amour - Gérard de NERVAL