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Jean-Luc Allouche (Traducteur)
EAN : 9782072855207
480 pages
Gallimard (20/08/2020)
4.13/5   54 notes
Résumé :
Un écrivain israélien à succès qui ressemble étrangement à l’auteur a accepté de répondre aux questions d’internautes sur ses livres. Chaque interrogation l’amène à s’ouvrir sur le couple qu’il forme avec Dikla, à avouer ses relations compliquées avec ses enfants ou encore à partager ses angoisses pour son meilleur ami, Ari, atteint d’un cancer. Sa vie tombe en ruine et ce questionnaire lui permet d’en parcourir les méandres, tissant la toile de sa propre histoire, ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (33) Voir plus Ajouter une critique
4,13

sur 54 notes
Eshkol Nevo, un de mes auteurs de prédilection de la littérature israélienne dont je raffole, dans son dernier roman nous bluffe gravement. le sujet est un écrivain qui donne une Interview à un site internet. Un roman sous forme d'une interview et comme matériel de base, plus ou moins sa propre vie. Des questions simples et des réponses sous forme d'anecdotes, parfois décalées, qui nous poussent à croire à un fond cent pour cent autobiographique. En faites bien qu'au fond c'est bien de lui qu'il parle, vu la mise à nu totale, certaines démarches politiques et la discrétion de l'auteur en tant que personne d'après ce que je sais de lui à travers ses livres et ses interviews, cela me semble peu probable. En plus il joue le jeu aussi, rien comme note de préface dans l'édition italienne , dans le genre , “ tous les personnages...sont fictifs....toute ressemblance .....” . A l'interview aussi qu'il donne à la sortie de son livre en Italie, à la question ,” est-ce autobiographique ? “, il prend la tangente.
Bref, finalement aucune importance, le livre en lui-même est fascinant, génial.
Je laisse ici la parole à l'écrivain,
“Dans le judaïsme il y a une tradition spécifique de « questions et réponses » présente dans les livres écrits par les rabbins. Mais que se passe-t-il quand le rabbin lui-même -dans ce cas ici l'écrivain- se trouve au beau milieu d'une crise personnelle et pour répondre n'a recours qu'à une vérité fragile pleine de doutes ? Disant cela on peut considérer ce livre comme une enquête sur l'honnêteté. Son importance. Ses limites. Et sur la possibilité ou non d'écrire de la fiction en restant honnête.De plus- mais ceci je viens de m'en rendre compte seulement maintenant , à travers les réactions de qui ont lu le livre- on peut l'imaginer comme une tentative pour rompre le mur invisible qui semble parfois exister entre un écrivain et ses lecteurs, afin de créer un nouveau lien plus ouvert. “
Ce livre parle d'amour, d'amitié, de désir, de l'espérance (et la peur) de recommencer une vie différente, de politique et autres réalités sordides de la vie qu'Eshkol affronte avec beaucoup d'honnêteté. A travers la figure de Yoram Sirkin, “inspiré de Netanyahu et Trump “( ses paroles ) , il aborde la montée du populisme en Israël comme partout dans le monde, celui d'un politicien sans vision,sans but, sans programme dont l'unique ambition est d'arriver au pouvoir en exploitant la peur de la population. Il touche aussi à l'injustice et la violence passées et présentes envers le peuple palestinien, critiquant la colonisation dans les territoires occupés, qu'il considère un grand obstacle pour une voie pour la Paix , " En tant que personne mais aussi comme écrivain , je refuse depuis toujours à participer à n'importe quel forme de déshumanisation d'un autre être humain.”
Ce livre extrêmement riche en réflexions et ressentis et d'anecdotes truculentes, est à mon avis une synthèse de tout ses livres que j'ai déjà lus. L'écriture très sensuelle d'Eshkol me touche profondément. Espérant qu'il sera vite traduit en français, je ne peux que vous le conseiller. Une lecture qui serait plus fructifiante si vous avez déjà lu un de ses deux premiers livres, “ le cours du jeu est bouleversé “ ou “Quatre maisons et un exil.”

Gros gros coup de coeur !

"What is writing a novel for you?
Writing for me is the ultimate freedom."
( Qu'est-ce-que signifie pour vous, écrire un roman ?
La liberté suprême ")


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Eshkol Nevo est un écrivain que j'ai découvert grâce aux chroniques d'une de mes amis babelionautes Bookycooky, férue de littérature israélienne. Je ne crois pas me tromper en disant qu'il s'agit d'un de ses écrivains préférés, voire de son préféré !

Pour ma part, je n'ai lu que deux de ses livres mais je commence déjà à être conquise ! J'avais beaucoup aimé le Cours du jeu est bouleversé, l'originalité de la construction romanesque, les réflexions sur le monde contemporain, la politique. Aussi, lorsque mon libraire, auquel j'avais parlé des romans d'Eshkol Nevo, m'a proposé La Dernière Interview, son nouveau roman, j'ai saisi l'occasion de me plonger une nouvelle fois dans son univers.

Sous forme d'interview, un écrivain israélien à succès répond aux questions de ses lecteurs, sur Internet. Je trouve qu'Eshkol Nevo est très créatif, c'est la définition qui me vient à l'esprit quand je pense à ses écrits car, pour mon plus grand plaisir, ils se suivent mais ne se ressemblent pas. Ils me surprennent à chaque fois. Cela n'a rien d'étonnant puisque, en plus d'être écrivain, il enseigne l'écriture créative.

Ce roman pourrait être classé dans le genre "auto-fiction" mais peu importent les catégories qui, au contraire, brident la créativité. Je pense que l'intérêt du roman n'est pas de savoir si le personnage de l'écrivain est Eshkol Nevo ou pas, s'il y a une dimension autobiographique ou pas, seuls ses proches peuvent le dire. L'intérêt de ce roman à la construction originale réside dans la qualité des réponses et des réflexions qu'elles suscitent chez le lecteur ou la lectrice, moi en l'occurrence, sur la vie contemporaine, politique, l'amour, l'amitié, l'écriture, la dépression, le bonheur, la liberté.

Je sais gré à Eshkol Nevo de ne pas avoir écrit un roman semblable à d'autres sur le thème éculé de l'écrivain à succès qui n'a plus du tout d'idées. Bien au contraire, à travers le jeu des questions – parfois banales – et des réponses – toujours subtiles et élaborées, il offre à ses lecteurs une oeuvre originale qui acquiert une dimension à la fois humoristique et philosophique.

Tout un chacun peut se reconnaître dans les sujets évoqués et y trouver matière à réflexion car ils tendent à l'universalité.

La Dernière Interview est le prolongement des idées développées dans le Cours du jeu est bouleversé. Dans ce dernier, j'avais beaucoup aimé le personnage de Youval, son caractère tourmenté, sa conception de l'écriture. J'ai retrouvé ces thèmes dans La Dernière Interview. le véritable écrivain est, pour moi, forcément quelqu'un de tourmenté, un intellectuel qui réfléchit, peut-être même trop… Là est le drame, très bien évoqué dans le livre : sa femme Dikla veut le quitter, il est dépressif, il écrit pour se sauver, parce qu'il coule, même si personne ne s'en rend compte.

Il y a beaucoup d'humour dans La Dernière Interview, malgré la gravité de certains sujets. Ce choix rend la lecture agréable.

Eshkol Nevo nous invite à réfléchir avec lui et à nous poser des questions. Il évoque, comme dans le Cours du jeu est bouleversé, l'actualité, la politique, le sujet brûlant et controversé en Israël des Palestiniens, de la colonisation des territoires palestiniens par l'armée israélienne mais plus largement aussi la peur, qui pousse à voir dans l'autre un ennemi, un danger, quelles que soient les circonstances ; le mal, qui pousse à exclure autrui, le détruire, le déshumaniser ; les murs physiques et moraux qui séparent les êtres humains entre eux ; les politiciens qui exploitent les peurs et les haines pour se faire élire ; les contradictions inhérentes à l'être humain : comment peut-on penser qu'on est un écrivain de gauche alors qu'on écrit des discours pour un politicien qui ressemble énormément à l'actuel Premier ministre israélien ?

Ce sont toutes ces questions que soulève avec brio Eshkol Nevo dans ce roman et qui font écho à mes propres réflexions. Il a un indéniable talent de conteur. C'est avec plaisir que j'ai lu certains passages, entre autres sur la création littéraire et le besoin viscéral, parfois pénible pour l'entourage, de transformer la réalité en fiction. J'aime beaucoup l'humour et la satire qui nous aident à affronter avec courage bon nombre des travers de notre monde.

Mon prochain voyage en compagnie d'Eshkol Nevo se fera probablement avec Neuland sur la route de l'Amérique latine et des utopies. Encore un beau périple en perspective…
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« Les gens autour de moi ne s'en aperçoivent pas, mais je sais que je coule. Et je sais que, désormais, j'écris pour me sauver. »
Voici l'histoire du naufrage d'un écrivain profondément humaniste et une ode merveilleuse, désespérée, à la femme qu'il aime. Sous une forme littéraire peu commune : la réponse à des questions, une interview.

Est-ce Eshkol Nevo qui s'exprime ? Ou un écrivain né de son imagination ? Nous ne saurons pas, le doute planera tout au long de la lecture de ce livre fascinant et intriguant « La dernière interview ». Certes, cet écrivain ressemble à Eshkol Nevo, un physique sans doute proche, un parcours et des origines familiales semblables, une famille similaire, des opinions politiques identiques. Un écrivain qui ressemble à lui mais qui n'est pas vraiment lui ? Fiction ou réalité ? Rien n'est clair et c'est finalement ça qui est intéressant. Il sème le trouble : «Mes personnages se fondent en moi, et moi, je me fonds en eux. Au point que, parfois, j'ai du mal à distinguer dans tout cet amalgame qui est qui. Même dans cette interview, le temps est venu de le confesser. »

Le sujet est donc un écrivain, souffrant depuis un certain temps dysthymie, trouble de l'humeur chronique caractérisé par une légère déprime permanente. Il répond à une interview sur la base d'une sélection de questions des internautes. Censé donné des réponses toutes prêtes, il préfère dire la vérité, toute la vérité et cette interview se transforme peu à peu en un long récit, intime et passionnant, truffé d'anecdotes variées, de réponses subtiles, élaborées, parfois en léger décalage avec les questions ou qui prennent un tour étonnant ou poignant. C'est ainsi que, quotidiennement, au lieu d'écrire son prochain roman, cet écrivant, figé devant son écran blanc, ouvre au bout de quelques minutes le document de cette interview. Il y répond ainsi régulièrement. Une, deux questions. Maximum trois.

Ce récit est un cri. Perçant. Une façon pour cet écrivain de survivre. Survivre à la maladie de son meilleur ami, Ari, désormais aux portes de la mort, survivre au départ pour un internat de sa fille aîné, Shira, la « prunelle de ses yeux », ce qui a rompu l'équilibre familial, survivre à son couple qui bat de l'aile et à sa femme, Dikla, qui prend ses distances. Survivre à la violence et aux tensions qui règnent en Israël, survivre aux attaques terroristes, potentiellement omniprésentes. Et vaincre la peur.

« J'ai peur de perdre l'inspiration. J'ai peur de perdre Dikla. J'ai peur de perdre mes enfants parce que je vais perdre Dikla. J'ai peur de perdre Ari. J'ai peur d'avoir une attaque cardiaque dans trois ans, à l'âge où mon père a eu une attaque cardiaque. J'ai peur d'en mourir, contrairement à lui. J'ai peur que cet avion, qui me ramène du Midwest au Proche-Orient, tombe dans la Méditerranée. J'ai peur qu'il arrive quelque chose à Shira, à Sdé-Boker, et de ne pas être là pour la protéger. J'ai peur que Shira ne revienne jamais de Sdé-Boker. J'ai peur de me retrouver dans la misère. J'ai peur d'un effondrement de mon système immunitaire. J'ai peur d'entendre frapper à la porte et que, sur le perron, apparaisse un policier muni d'une matraque. J'ai peur de la façon dont l'atmosphère en Israël sombre dans la violence. J'ai peur qu'une guerre éclate. J'ai peur d'être mobilisé dans la réserve militaire. J'ai peur que la guerre soit une guerre civile. »

Ce récit est un message d'amour à ses amis, à ses trois enfants. Un message d'amour à sa femme qui s'éloigne de plus en plus et qui tisse autour d'eux une toile de reproches qui le paralyse. Elle lui reproche notamment d'utiliser leur vie, leur famille, leurs amis et même leurs enfants pour les mettre ensuite dans ses livres. Même s'il reconnait une sorte de déformation professionnelle, qui le conduit à inventer sans cesse des histoires, à s'approprier des aventures vécues par d'autres, pour l'écrivain, « en fait, tout ce que j'ai écrit depuis, huit livres, n'est qu'une très longue lettre dont elle est la destinataire. Je n'ai permis à personne d'être aussi proche de moi que je l'ai permis à Dikla. Son seul nom me fait fondre. Je ne peux pas m'endormir sans sa présence, me lever sans elle, tomber sans elle, retrouver mon chemin dans le labyrinthe des miroirs déformants sans elle. ». Gestes du quotidien, comme celui de se plaquer contre elle dans la nuit, de l'embrasser dans le cou, beauté de la femme chérie contenue dans les gestes de ses mains, dans son odeur, unique, dans ses clavicules si fines. Il tient désespérément à elle. Ces passages, qui saupoudrent tout le livre, sont émouvants et d'une grande sensualité. Sous sa plume, sa femme est toujours belle, élancée, mystérieuse, aérienne.

L'écriture de Eshkol Nevo est sensuelle de façon générale me semble-t-il, humble, déconcertante de franchise et de lucidité, et cette sensualité est lumineuse et poignante lorsqu'il évoque l'amour des siens.

Ce récit est un acte militant, puisque l'auteur aborde la montée du populisme en Israël, les violences faites au peuple palestinien, la colonisation des territoires occupés, avec beaucoup de délicatesse et d'humanisme. La scène avec ce petit garçon, Nemrod, en territoire occupé, est particulièrement poignante.

Ce récit,enfin, est une réflexion riche et profonde sur l'acte d'écrire, acte salvateur, acte permettant de régler ses comptes. Sur la façon de créer des personnages, sorte de salade mêlant différents attributs de personnages réels. Un éloge de la lecture et des livres qui représentent, pour les auteurs et les lecteurs, un « puits où se terrer », permettant d'ignorer ce qui se passe à l'extérieur. Des réflexions parfois lumineuses jaillissent du puits des failles, comme celle-ci que j'aime tout particulièrement : « Et, s'il existait une technologie qui permette de sentir pendant la lecture, on aurait pu lui renifler la nuque, comme je le fais, la nuit, lorsque je me plaque contre elle à son insu. Je peux écrire que cela ressemble à l'odeur des pains nattés cuits à la boulangerie Angel de Jérusalem, dans la nuit de jeudi à vendredi. Mais ce ne serait pas pareil que de humer réellement sa nuque. Certains lecteurs affirment : « Je suis vraiment entré dans le livre. » Mais qu'en serait-il s'il était possible, virtuellement, de pénétrer dans la réalité de l'ouvrage ? D'être une mouche sur le mur, une chienne sur sa couche, un détecteur de fumée sur le plafonnier… »

Un livre qui m'a touchée, amusée, interpellée. Un livre où l'envie de faire rire le lecteur cache en filigrane une tristesse profonde. Des rires poignants. Des sourires sertis de larmes au coin des yeux. Voilà ce que nous récoltons dans nos filets à cette lecture.

J'ai découvert Eshkel Nevo grâce à Bookycooky. C'est mon deuxième livre de cet auteur, après le truculent « trois étages » et je suis désormais conquise. Mon prochain sera sans aucun doute « le cours du jeu est bouleversé » qui, si je reviens à Bookycooky, est un livre à emporter sur une île déserte. Une très belle lecture en perspective !
Yallah !
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« Vous avez toujours voulu être écrivain? » C'est sur cette question posée par des internautes que s'ouvre La Dernière interview, roman déconcertant d'Eshkol Nevo. Par sa forme, tout d'abord, un jeu de questions/réponses sur 468 pages, et sur le fond, qui interroge. L'entreprise semble terriblement narcissique, déroutante pour le lecteur, qui se demande quel en est l'intérêt. En effet, comment susciter la curiosité en rédigeant une très longue entrevue? L'écrivain et son double, d'accord, mais dans un roman, à l'instar de L'Oeuvre, où Émile Zola se représente à travers son double fictif, Pierre Sandoz.

Eshkol Nevo n'est jamais là où on l'attend. La Dernière interview est un piège. le roman nous happe, on le lit d'une traite. Et l'on réalise qu'il n'a rien à voir avec l'auto-représentation délibérée. Certes, le narrateur ressemble à Nevo. Son physique, ses origines familiales, son parcours professionnel, son couple, ses enfants, son métier d'écrivain… C'est un portrait d'ensemble d'un écrivain fictif qui ressemble à Nevo, mais qui n'est pas Nevo. le jeu entre fiction et réalité est délicieux, le thème des affres de la pages blanches et de la création littéraire jamais ne lasse. Nevo serait-il un menteur qui dit la vérité?

Ce qui est passionnant c'est que via cette fictionnalisation de soi construite sur des flashbacks, des souvenirs, des anecdotes, des paroles de chansons, des digressions… , le romancier nous émeut, nous fait (beaucoup) rire, nous bouleverse. le quotidien d'un quadragénaire dépressif qui se plaint tout le temps, qui se nourrit de tout et de tous pour écrire ses romans au grand dam de ses proches qui n'apprécient guère de se reconnaître, les liens entre le romancier et ses lecteurs, le couple, dernière grande aventure moderne, plus périlleuse qu'un tour du monde, l'amitié, le quotidien, Israël, la politique….il y a tout cela dans La Dernière interview. Et paradoxalement, cette entrevue fictive semble nous révéler la vérité profonde d'un homme, d'une époque et d'un pays. C'est un univers parallèle dans lequel on adore se perdre.

Je remercie Babelio et Gallimard pour l'envoi de ce livre.
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Répondre à  des questions permet-il  d' éviter d'écrire un livre?

Surtout quand on n'y repond pas vraiment, quand la question sert de prétexte, d'évitement ou de plongeoir, - qu'elle renvoie au malaise ontologique de l'écrivain ou frise la platitude et la banalite propres à tout "questionnaire" , fût-il celui de  Proust...

 Mais  si les questions étaient celles auxquelles l'écrivain, ce tricheur, voulait le plus répondre? Si c'était lui, finalement, qui menait le jeu?

Alors La dernière interview serait un roman d'un genre nouveau, un mensonge presque parfait, comme le crime du même nom,  habillé comme une authentique autobiographie! Insoupçonnable! Un pur délice de subtilité analytique et de rouerie litteraire, un mélange de sincérité et de  duplicité indissociables.

 Il est évident que c'est le cas de ce livre ( le dernier traduit en français ) du grand écrivain israélien qui décidément ne me décevra jamais! Un grand cru!

Que fait le plus souvent un écrivain ? se demande habilement Eshkol  Nevo.
 
Piller les vies de ceux qui l'entourent. Préférer le mensonge au réel au risque de perdre pied, de perdre  l'estime  ou l'amour des siens, et sûrement de soi-même, de passer à côté des choses essentielles, des "choses de la vie"...

Et quand cette dernière interview est concomitante à une crise de l'écrivain, le récit se déploie dans toutes les failles que la dysthymie (variante soft de la dépression)  a ouvertes dans sa vie, sa conscience d'homme, d'auteur et même de citoyen ( comment se dire un écrivain de gauche,   en effet, quand on écrit les discours d'une sorte de Netanyahou, Yoram Sorkin ?)

Cette crise porte trois noms: Dikla, la femme aimée, qui prend ses distances et se lasse, Shira, la fille aînée qui se rebelle et s'éloigne, et Ari, l'ami de toujours qu'un pernicieux cancer ronge et éteint.

La dernière interview c'est  l'art de perdre déguisé en exercice de maïeutique.
C'est un livre qui m'a bouleversée,  amusée,  passionnée,  interpellée. 

Même  si ,connaissant Nevo,  je ne suis pas dupe de ce striptease apparemment impudique mais  totalement construit, maîtrisé, romancé , j'ai eu, plus encore qu'avec ses autres romans, l'impression d'entendre sa voix me murmurer à  l'oreille.

L'écrivain, disait Flaubert , doit être présent partout et visible nulle part.

 Nevo a réussi le pari inverse: comme  Hagaï Carmeli, son ami rouquin, mystérieusement évanoui dans la nature, qu'il croit rencontrer partout, et qui réapparaît soudainement à la minute de vérité où on ne l'attendait plus, Eshkol Nevo s'exhibe et se dévoile à toutes les pages mais est-ce bien lui? Ne joue-t-il pas de cette dernière interview comme on joue à cache-cache?

Visible partout et présent nulle part,  si ce n'est dans la magie de son écriture, plus grave qu'à l'ordinaire( crise de la quarantaine oblige),  et dans la profondeur de ses réflexions.

La dernière interview, c'est l'art de perdre,  de nous perdre sans se perdre , mais en nous soufflant du bout de la plume un petit peu du  "véritable secret inavouable" "enfoui au plus profond de nous".

" Parfois, ajoute Nevo, nous ne sommes pas complètement conscients de son existence, alors, nous le sublimons, conjurons la preuve et le transformons en art."

Mission accomplie. La dernière interview, c'est du grand art.
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critiques presse (5)
Culturebox
26 octobre 2020
Un écrivain israélien qui ressemble furieusement à l'auteur répond de manière franche et décalée à des questions imaginaires d'internautes sur sa vie et son oeuvre. Le tout forme un roman pétri d'humour, plein de second degré et d'autodérision.
Lire la critique sur le site : Culturebox
LeSoir
26 octobre 2020
Dans «La dernière interview», Eshkol Nevo ne fait peut-être que mine de s'expliquer pour mieux mentir.
Lire la critique sur le site : LeSoir
Liberation
19 octobre 2020
Un narrateur qui ressemble à l’auteur israélien se confesse avec sincérité et loufoquerie.
Lire la critique sur le site : Liberation
LesInrocks
22 septembre 2020
L'écrivain israélien Eshkol Nevo prétend répondre à toutes les questions posées par ses lecteurs internautes. Une supposée Dernière Interview qui, toute de désespoir et d'humour, embrouille avec délice autobiographie et fiction de soi.
Lire la critique sur le site : LesInrocks
LeMonde
21 septembre 2020
A toutes [les questions qui lui sont posées], l’interviewé apporte des réponses intimes, qui racontent sa vie passée, et le chaos de son existence présente, engluée dans une crise de la quarantaine carabinée, entre son meilleur ami à l’agonie et son mariage en pleine déliquescence.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (43) Voir plus Ajouter une citation
Conversation entre un producteur de film et un auteur dont il veut adapter un roman:


- Il y a juste un petit détail.
-Oui?
-Il faudrait peut-être déplacer l'intrigue à Jérusalem.
-Jérusalem?
-A cause de la subvention spéciale des Fonds de Jérusalem accordée aux films tournés dans la ville.
-Mais...
-Et l'héroïne -vous seriez opposé à ce qu'elle soit allemande plutôt qu'israélienne?
-Pourquoi?
-ça permet une coproduction avec la société allemande qui a coopéré avec nous sur Souvenirs d'amour de Sobibor.
-Mais...
(...)
-J'ai l'impression que quelque chose vous chiffonne.
-En effet. Comment l'héroïne pourrait-elle être allemande alors qu'elle rencontre le héros pendant leur service militaire dans la Marine?
-Chaque problème trouve sa solution.
-Comment ça?
-A quoi servent les scénaristes sinon à résoudre ce genre de choses.
-Je ne vois pas comment les scéna...
-Eh bien, un exemple très simple: l'Allemagne fournit bien des sous-marins à Israël, n'est-ce pas?
-Admettons.
-Eh bien, un beau jour, le héros se trouve sur le quai, et le sous-marin de l'Allemande émerge des flots. Comme Bo Derek.
-Vous n'avez pas dit que ça se déroulait à Jérusalem?
-Et alors, pas de problème. Elle se rend au Mur. Lui est soldat, en faction sur le site.
-Mais...
-Et comme ça nous pouvons décrocher une bourse du Fonds d'aide.
-Le Fonds d'aide?
-Ils soutiennent les films à contenu juif.
-Mais...
-J'espère que cela ne vous dérange pas si j'ai déjà appelé les agents de Gal Gadot?
-A quel sujet?
-Comment ça, à quel sujet? Le rôle principal, voyons, je leur ai envoyé le livre.
-Mais..
-Avez-vous une idée de l'impact commercial si elle y participe?
-Mais...l'héroïne ...est une adolescente menue et timide.
-Oui, elle est menue et timide. Dans le livre.
-Et dans le film?
-Ce sera Gal Gadot.
(...)
-Ah oui, encore une chose.
-Quoi?
-Le titre
-Qu'est-ce qu'il a, le titre?
-Achèteriez-vous une place pour un film intitulé Osmose?
-Qu'est-ce qui ne va pas avec Osmose?
-La moitié du public ignore le sens de ce mot. Et ceux qui le connaissent, ça leur paraît effrayant.
-Dans ce cas, que suggérez-vous?
(...)
-Opération Amour.
-Pardon?
(...)
-Mais quel est le rapport entre le titre et...
-Il y a de l'amour dans votre livre?
-Il y en a.
-Une opération militaire?
-Une opération ratée...
-Qu'est-ce que ça change?
-Des tirs amicaux entre unités. Il y a là... un sens politique.
-Des tirs amicaux pendant une opération ou pas?
-Dans le cadre d'une opération.
-Je suis heureux que le titre vous plaise.
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Les israéliens dans les transports publics, pour utiliser un euphémisme, ne sont pas exactement comme les anglais dans les transports publics. Ne lisent pas un livre, ne feuillettent pas un quotidien. Ils parlent sur leurs portables. À voix haute....d'une conversation à une autre je me suis rendu compte d'avoir trouvé une mine d'or.
Durant les trois mois, sans permis de conduire *, j'ai entendu:
Des hommes, plantés au téléphone. Des conflits cruels d'hérédité.Des magouilles financières, qui , si révélées, auraient envoyé leurs responsables directe en taule. Des secrets militaires : comme quand aurait lieu le début des opérations, la finalité, les forces qui y participeront.......

*L'ecrivain lui-même dont le permis de conduire a été confisqué pour trois mois.
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Mon problème, c’est que je n’oublie rien. Je souffre d’hypermnésie. Toutes les séparations. Tous les décès, les occasions ratées. Tout reste bloqué dans mon corps. Et l’écriture représente l’unique chance de libérer tout ça. Tel le passager arrivant à l’enregistrement s’apercevant que sa valise est trop chargée… J’écris parce que, si je ne me décharge pas de temps à autre du poids des souvenirs, j’aurai du mal à continuer à respirer. Plus d’air à inspirer. Ni à expirer.
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Pourquoi, à partir d’un certain âge, sommes-nous incapables de partager quelque chose de vraiment important avec nos parents, Hanita ?
Parce que « l’homme abandonne son père et sa mère et ne forme qu’une seule chair avec sa femme », comme dit la Bible ?
Ou, simplement, parce que nous ne souhaitons pas les inquiéter et les paniquer ?
Ou alors, voulons-nous préserver chez eux notre image d’individu parfait, résistant aux épreuves, afin qu’elle se reflète dans leurs yeux lorsqu’ils nous regardent ?
Ou peut-être n’est-ce que moi qui me tais devant mon père...
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Vous qui êtes un homme, comment réussissez-vous à créer une figure féminine ?

Personne ne se rend compte, mais en effet, tous les personnages féminins de mes romans, sont les variations de seulement trois personnes:
Ma femme.
La femme imaginaire, qui est le négatif de mon épouse et avec qui j’ai renoncé à vivre du moment que j’ai décidé de me marier.
Le femme qui est en moi.
Même si c’est très embarrassant à l’admettre, celle qui m’attire le plus est la troisième.
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Vidéo de Eshkol Nevo
Entretien avec Eshkol Nevo pour son roman « Turbulences » aux éditions Gallimard.
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