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Critique de michfred


Répondre à  des questions permet-il  d' éviter d'écrire un livre?

Surtout quand on n'y repond pas vraiment, quand la question sert de prétexte, d'évitement ou de plongeoir, - qu'elle renvoie au malaise ontologique de l'écrivain ou frise la platitude et la banalite propres à tout "questionnaire" , fût-il celui de  Proust...

 Mais  si les questions étaient celles auxquelles l'écrivain, ce tricheur, voulait le plus répondre? Si c'était lui, finalement, qui menait le jeu?

Alors La dernière interview serait un roman d'un genre nouveau, un mensonge presque parfait, comme le crime du même nom,  habillé comme une authentique autobiographie! Insoupçonnable! Un pur délice de subtilité analytique et de rouerie litteraire, un mélange de sincérité et de  duplicité indissociables.

 Il est évident que c'est le cas de ce livre ( le dernier traduit en français ) du grand écrivain israélien qui décidément ne me décevra jamais! Un grand cru!

Que fait le plus souvent un écrivain ? se demande habilement Eshkol  Nevo.
 
Piller les vies de ceux qui l'entourent. Préférer le mensonge au réel au risque de perdre pied, de perdre  l'estime  ou l'amour des siens, et sûrement de soi-même, de passer à côté des choses essentielles, des "choses de la vie"...

Et quand cette dernière interview est concomitante à une crise de l'écrivain, le récit se déploie dans toutes les failles que la dysthymie (variante soft de la dépression)  a ouvertes dans sa vie, sa conscience d'homme, d'auteur et même de citoyen ( comment se dire un écrivain de gauche,   en effet, quand on écrit les discours d'une sorte de Netanyahou, Yoram Sorkin ?)

Cette crise porte trois noms: Dikla, la femme aimée, qui prend ses distances et se lasse, Shira, la fille aînée qui se rebelle et s'éloigne, et Ari, l'ami de toujours qu'un pernicieux cancer ronge et éteint.

La dernière interview c'est  l'art de perdre déguisé en exercice de maïeutique.
C'est un livre qui m'a bouleversée,  amusée,  passionnée,  interpellée. 

Même  si ,connaissant Nevo,  je ne suis pas dupe de ce striptease apparemment impudique mais  totalement construit, maîtrisé, romancé , j'ai eu, plus encore qu'avec ses autres romans, l'impression d'entendre sa voix me murmurer à  l'oreille.

L'écrivain, disait Flaubert , doit être présent partout et visible nulle part.

 Nevo a réussi le pari inverse: comme  Hagaï Carmeli, son ami rouquin, mystérieusement évanoui dans la nature, qu'il croit rencontrer partout, et qui réapparaît soudainement à la minute de vérité où on ne l'attendait plus, Eshkol Nevo s'exhibe et se dévoile à toutes les pages mais est-ce bien lui? Ne joue-t-il pas de cette dernière interview comme on joue à cache-cache?

Visible partout et présent nulle part,  si ce n'est dans la magie de son écriture, plus grave qu'à l'ordinaire( crise de la quarantaine oblige),  et dans la profondeur de ses réflexions.

La dernière interview, c'est l'art de perdre,  de nous perdre sans se perdre , mais en nous soufflant du bout de la plume un petit peu du  "véritable secret inavouable" "enfoui au plus profond de nous".

" Parfois, ajoute Nevo, nous ne sommes pas complètement conscients de son existence, alors, nous le sublimons, conjurons la preuve et le transformons en art."

Mission accomplie. La dernière interview, c'est du grand art.
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