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Critique de michfred


Novembre 1995. Yithzak Rabin vient d'être abattu par Ygal Amir. La  deuxième Intifada commence. Arrestations, attentats, tensions entre modérés et fondamentalistes. le processus de paix bat sérieusement de l'aile.

A Maoz Sion, petite bourgade entre Tel Aviv et Jérusalem, un jeune couple d'étudiants très amoureux, Amir et Noa, emménage dans la maison mitoyenne des propriétaires, un vieux ménage qui cohabite avec ses enfants, Moshé et Sima, un peu  plus âgés que les jeunes étudiants,  mariés avec  deux jeunes enfants.

De l'autre côté du jardin, se trouvent les voisins qui viennent de perdre leur fils de 20 ans au Liban. Plongés dans leur deuil, ils ne communiquent plus entre eux, et  ne "voient" même plus leur plus jeune fils, Yotam,  qui erre comme une âme en peine et se mure dans le silence.

 À ces trois "maisons" qui sont comme les trois âges de la vie d'un couple (celui des désirs, celui des débats et celui des  silences),  répond une quatrième "maison" qui est , matériellement, la même que la première : celle de Sadek, ouvrier arabe qui dans la maison de Moshé et Sima ne voit que la sienne qu'il a dû fuir, enfant, au moment de la Naqba. Et qui est désormais occupée, possédée par les Juifs. Un exilé de l'intérieur.

L'exilé de l'extérieur,  c'est  Modi, meilleur pote d'Amir,  qui s'éclate dans de lointains voyages et lui écrit. 

Comme toujours chez Eshkol Nevo,  esthète du roman choral et fin stratège de sports d'équipe,  quand l'échiquier est en place, les pions se déplacent:  leurs pas se croisent, comme leurs voix se complètent ,  s'opposent ou terminent l'air de la partition précédente, au  rythme  des chansons du groupe Liquriz qui  accompagnent  chaque "exodos", comme dans les tragédies grecques...

 Plus le jeu politique se durcit, plus les situations individuelles , elles aussi, en écho,  se tendent.

L'amour inconditionnel de Moshé et  Sima résistera-t-il aux influences fondamentalistes d'un grand frère de Moshé qui mettrait bien ses neveux dans une garderie religieuse et sa  tigresse de belle-soeur sous le boisseau d'une jupe tombant jusqu'aux chevilles ?

La vie à deux, passés les "jours de miel", deviendrait-elle si vite une suite de compromis, de contraintes, de silences où les projets individuels  et la confiance s'effritent? Amir et Noa malgré la force du désir qui les unit en font l'amère expérience.

Quant au jeune Yotam,  même s'il a trouvé en Amir, futur psychologue ultra-sensible, un maître d'échec  plein de patience et d'empathie, la partie d'échec qu'il joue contre l'indifférence endeuillée  de ses parents risque de le mettre lui-même échec et mat.

Pour le pauvre Sadek, son incursion dans son ancienne maison déclenche une scène d'hystérie et de folie qui serait du plus haut comique si elle n'était aussi le signe de la tragique incomprehension collective qui secoue la  société israélienne , soudain  terrifiée et  paranoïaque.

Une fois de plus, j'ai adoré ce détonnant mélange entre humour et mélancolie, modernité et nostalgie, vision collective et vibration  individuelle. Une alchimie subtile qui enveloppe, séduit, convainc et fait de ces 450 pages un vrai bonheur de lecture. Chaque voix a sa couleur, son histoire, et fait vivre l'événement sous un jour qui lui est propre, nous ouvrant le coeur et l'esprit. 

 Mention spéciale pour deux de ces "voix" singulières . Celle de Sadek que les remerciements en fin de lecture éclairent : l'auteur y salue nombre d'amis arabes d'Israel pour l'avoir aidé à  "comprendre, commencer à comprendre la Naqba".

 L'autre voix c'est celle de Yotam,  l'enfant privé de frère et d'attention. Une voix tellement juste, tellement bouleversante qu'à  plus d'une reprise elle vous broie cruellement le coeur et vous met les larmes aux yeux. C'est rare, un écrivain qui sait parler de l'enfance et de ses drames secrets sans pathos, sans racolage sentimental. Mieux: qui trouve le langage de cette enfance-là sans mièvrerie,  sans artifice.

Pour cela aussi, pour ces deux voix étouffées qu'il a su faire entendre, j'ai vraiment aimé  Quatre maisons et un exil.
 
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