Il est vrai que pour des chauffeurs conditionnés par un code de la route strict à l’européenne, les méthodes employées par les conducteurs locaux pouvaient interpeler. Certains s’arrêtaient sans prévenir et sans même se mettre sur le côté, simplement pour discuter avec une connaissance repérée sur le trottoir ; d’autres changeaient de direction sans clignoter ; il arrivait parfois que certains doublent dans un virage sans se soucier de l’éventualité de la présence d’un autre véhicule en face et si c’était le cas, ils se rabattaient sans prévenir.
Lorsqu’on a la foi chevillée au corps et qu’on l’aborde avec intelligence et philosophie, on n’a pas besoin de grigri pour se protéger d’éventuels mauvais esprits. Autrefois, la pratique de ces rites avait un côté nationaliste ; c’était un lien avec la terre africaine par opposition aux croyances que les maîtres blancs avaient imposées. Mais avec le temps, nous avons progressivement réussi à éradiquer ces pratiques qui, pour survivre, ont dû se faire très discrètes.
Naturellement, lorsque certains pans de la mémoire de ses clients faisaient défaut, il reprenait son bâton de journaliste pour aller traquer la vérité et fouiller les recoins parfois sombres du passé. Mais aucun client ne s’était jamais plaint du résultat, bien au contraire, et cela avait renforcé la réputation de son sérieux.
La colère, la peur, la haine, ces sentiments mêlés traversèrent son esprit… et enfin vint l’apaisement. C’était le clap de fin de son film autobiographique et il s’y était résigné. À force de tutoyer les précipices de l’aventure, la grande faucheuse avait fini par avoir le dernier mot…
Il faut savoir que Trinidad est tristement célèbre par sa criminalité. Elle est au trente-neuvième rang mondial avec trente et un meurtres pour cent mille habitants. Alors un touriste qui disparaît, ça n’est jamais qu’un élément de plus dans ce décompte macabre.