Une biographie dense et détaillée, pour lecteurs motivés ou pour universitaires. XXème siècle, âge des extrêmes, avait dit
Hobsbawm. Idéologies et régimes extrêmes. Spectateur engagé de son temps,
Raymond Aron a été particulièrement critique face aux idéologies.
Cette biographie très documentée pèche par un manque de vivacité. Austérité, égalité de ton, exigence d'objectivité. Cependant l'objectivité n'est pas toujours au rendez-vous - un exemple pour illustrer une excessive générosité : « Dans son activité et ses livres, Aron fut à partir de 1955 professeur avant tout, le plus talentueux et le plus prestigieux de la France de l'après-guerre. » p373
Revenons aux choses sérieuses : « L'évènement qui pesa de manière décisive sur la vie d'Aron fut évidemment sa brouille avec
Jean-Paul Sartre » (p303), une brouille qui s'étale sur trois décennies.
Autre élément fondateur dans la bio d'Aron, le séjour en Allemagne de 1930 à 1933, années de l'ascension d'Hitler. Témoin de l'histoire, Aron avait 25 ans, il a bien ouvert les yeux, il a tendu l'oreille, désormais il était vacciné.
« Aron disposait de plusieurs longueurs d'avance dans la compréhension du siècle. Face à la vieille Sorbonne positiviste, qui n'avait que
Kant et Comte à opposer à Hitler, il disposait d'une intelligence de la situation qui le poussa, parmi les premiers, à faire le choix de Londres. Face aux intellectuels de l'après-guerre, fascinés par Marx et le soviétisme, il disposait d'une réfutation complète et irrécusable des idéologies fondées sur le sens de l'histoire. » P 184
Beaucoup plus tard, en 1981, lorsque l'histoire a confirmé une partie des arguments formulés par Aron, deux jeunes essayistes lui consacrent un long entretien pour la télé. Un bref extrait de la présentation : « Pour notre génération, celle qui est née à la politique en mai 1968, la pensée de
Raymond Aron a représenté une sorte de ‘pôle négatif'. Quand nous avons étudié à l'université, elle était cataloguée sous le label ‘réactionnaire'. Elle était moins entendue en tant que telle que perçue au travers d'un filtre idéologique. Bref, c'était intelligent, mais de droite ! » p 643, extrait du texte de J-L Missika et d'Wolton pour le dossier de presse du Spectateur engagé, Antenne 2, 1981. Justement, le livre le Spectateur engagé qui reprend ces entretiens reste une excellente alternative à la présente biographie : c'est bref, vivant et complet, il permet de comprendre la trajectoire et les engagements de
Raymond Aron.
Un mot de
Max Gallo, dans une lettre à Aron de 1980 : « Mais je m'interrogeais. Faut-il donc que notre besoin d'irresponsabilité et d'irrationalité soit grand pour que
Sartre – au-delà de ses immenses talents et de son génie – ait suscité une telle fascination ? le discours responsable et raisonnable, cette austérité font-ils à ce point peur ? » p640.