Il imaginait tous ces étrangers, Surinamiens, Haïtiens, Brésiliens, Dominicains, suspendus dans leurs hamacs de carton, hibernant patiemment dans l'attente des papiers qui leur donneraient enfin une existence officielle sur le territoire français. Chacune de ces couchettes compressées contenait une vie, une histoire. Et l'espoir d'une régularisation.
Il réalisa ce que représentait ce voyage hors de Guyane, que tant d'autres auraient voulu faire avec autant de facilité. Tous ces habitants qui rêvaient de papiers français comme d'un trésor inaccessible.
En forêt de Guyane, il n'y a qu'un danger vraiment redouté : se perdre.
A cette heure matinale, le fleuve dévoilait une ambiance singulière.
La canopée de la rive surinamienne baignait dans une brume laiteuse, agrippée comme un paresseux aux feuillages.
Des bruits de moteurs provenaient de tous côtés.
Le chant rauque des singes hurleurs raisonnait dans le lointain.
Le Maroni, tel un animal aux innombrables organes, s'éveillait lentement .
(…) : avant de répondre au téléphone, Anato n'avait pas eu le temps d'attraper son cahier pour recueillir son rapport. Il tâcha donc de remettre dans l'ordre les post-it jaunes réquisitionnés en urgence, collés au fil de la conversation à divers endroits. Son bureau ressemblait aux rochers du Maroni, peuplés de colonies de papillons agglutinés.
Les feuilles de bambous jonchaient le sol, fines et pointues comme un milliers de poignards abandonnés sur un champ de bataille.
Les actes de sorcellerie en eux-mêmes sont moins fréquents qu'on peut l'imaginer en fait. Ce qui est répandu, par contre, je dirais même permanent, c'est la crainte de l'ensorcellement. Tous les Noirs-Marrons, ou en tout cas ceux qui vivent sur le fleuve, sont obsédés par la sorcellerie, même s'ils n'en parlent jamais. Au moindre problème, un homme malchanceux, une femme stérile, ils se demandent si la personne n'a pas été ensorcelée par quelqu'un qui lui veut du mal. C'est comme une menace omniprésente qui pèse sur tout le monde.
Le capitaine Anato, au final, se demandait si ses origines étaient réellement un atout. Il reconnaissait cependant une chose : la Guyane lui était peu familière, il la découvrait un peu chaque jour.
Ni métropolitain, ni vraiment ndjuka. Un négropolitain, avait-il entendu dire.
En forêt de Guyane, il n’y a qu’un danger vraiment redouté : se perdre. Quitter un sentier, s’éloigner d’un campement sans marquer son chemin peut suffire à se retrouver au milieu d’arbres identiques, totalement perdu.
Anato ne pouvait s’empêcher de penser à ces vieux metropolitains qui s’exhibaient dans les rues de Cayenne avec de jeunes Brésiliennes, mortes d’ennui à leur bras. Il avait toujours regardé avec dégoût ces couples, inexplicables sinon par des considerations financières.