Sentimentalité dans la musique. Malgré tout le goût que l'on pourra avoir pour la musique sérieuse et riche, on n'en sera peut-être, à certaines heures, que davantage subjugué, envoûté et presque fondu en extase par son contraire, je veux dire par ces mélismes d'opéra italiens les plus simples qui soient et qui, en dépit de leur uniformité rythmique et de leur puérilité harmonique,semblent parfois chanter à nos oreilles comme l'âme même de la musique. Accordez-le ou non, pharisiens du bon goût, c'estainsi, et mon propos est ici de donner à débrouiller cette énigme et de tourner moi-même un peu autour pour essayer de deviner. Quand nous étions encore enfants, nous avons pour la première fois goûté au miel vierge de bien des choses; jamais plus le miel ne fut aussi bon qu'alors, où il nous conviait aux séductions de la vie, de la plus longue vie, sous la forme du premier printemps, des premières neurs', des premiers papillons, de la première amitié. C'est l'époque peut-être vers la neuvième année de notre âge où nous entendîmes la première musique, et ce fut celle que nous comprîmes d'abord, la plus simple et la plus enfantine, donc, et qui n'était guère plus qu'une continuation du chant de la nourrice, de l'air du ménétrier. (Il faut en effet être préparé et exercé pour recevoir même les plus minimes " révélations " de l'art: il n'y a absolument pas d'effet " immédiat " de l'art, malgré les contes bleus des philosophes àce sujet.) C'est à ces premiers ravissements musicaux, les plus intenses de notre vie, que se relie notre émotion à l'audition de ces mélismes italiens; le bonheur de l'enfant et la perte de l'enfance, le sentiment que ce qui est aboli sans retour est notre bien le plus précieux, tout cela fait alors vibrer les cordes de notre âme, avec une force dont n'est pas capable à elle seule la présence la plus grave et la plus riche de l'art. Ce mélange de plaisir esthétique et de peine morale, que l'on a maintenant l'habitude d'appe ler " sentimentalité",. un peu trop dédaigneusement, il me semble (c'est l'état d'âme de Faust à la fin de la première scène), cette "sentimentalité" des auditeurs sert la musique italienne, que les gourmets expérimentés de l'art, les purs " esthètes ", se plaisent d'habitude à ignorer. Au demeurant, presque toute musique ne commence à exercer un charme magique qu'à partirdu moment où nous l'entendonsparler la langue de notre propre passé; et c'est ainsi. que toute musique ancienne semble au profane gagner sans cesse en qualité, et celle qui vient de naître n'avoir que peu de prix; car elle n'éveille pas encore la " sentimentalité" qui est, comme nous l'avons dit, l'élément essentiel du bonheur de la musique pour quiconque n'est pas capable de prendre plaisir à cet art en pur esthète.
ù la musique est chez elle. La musique n'exerce toute sa grande puissance que parmi des gens auxquels il est impossible ou interdit de discuter. Au premier rang de ses promoteurs se trouvent ainsi les princes, qui veulent qu'on ne critique guère, que même on ne pense pas beaucoup autour d'eux; puis les sociétés qui, sous quelque pression (princière ou religieuse), doivent s'habituer au silence, mais n'en recherchent que, des enchantements plus forts contre l'ennui du sentiment (d'ordinaire, la passion éternelle et l'éternelle musique); troisièmement, des peuples entiers chez lesquels il n'existe pas de " société ", mais d'autant plus d'individus portés à la solitude, aux pensées crépusculaires et à la vénération de tout l'ineffable: Ce sont les âmes proprement musicales. Les Grecs, peuple loquace et querelleur, n'ont pour cette raison toléré la musique qu'à titre d'assaisonnement des arts sur lesquels on peut réellement discuter et disputer, alors que sur la musique on peut à peine penser honnêtement. Les pythagoriciens, ces Grecs exceptionnels sur bien des points, étaient aussi, à ce qu'on rapporte, de grands musiciens: ceux-là mêmes qui inventèrent le silence de cinq ans, mais non la dialectique.
Sur le principe de l'exécution musicale. Les artistes modernes de l'exécution musicale croient-ils donc vraiment que le commandement suprême de leur art est de donner à chaque morceau autant de relief qu'il est possible, et de lui faire parler à tout prix un langage dramatique? Cela, appliqué par exemple à Mozart, n'est-il pas proprement un péché contre l'esprit, l'esprit de gaieté ensoleillée, de tendre légèreté de ce Mozart dont la gravité respire la douceur et non point la terreur, dont les images ne cherchent pas à jaillir du mur pour mettre en fuite les spectateurs plongés dans l'épouvante? Ou bien croyezvous que la musique de Mozart soit assimilable à la " musique du convive de pierre"? Et non seulement la sienne, mais toute la musique? Vous répondrez alors que l'effet plus puissant obtenu 'plaide en faveur de votre principe, et vous auriez raison s'il ne restait à vous opposer la question de savoir sur qui cet effet se sera fait sentir, et sur qui en somme un artiste distingué a seulement le droit de vouloir produire un effet. Jamais sur la foule ! jamais sur les immatures ! Jamais sur les âmes sensibles ! Jamais sur les malades ! Et par dessus tout, jamais sur les âmes émoussées, jamais!
La presse. - Si l'on considère qu'aujourd'hui encore tous les grands événements publics se glissent secrètement et comme voilés sur la scène du monde, qu'ils sont cachés par des faits insignifiants, à côté desquels ils paraissent petits, que leurs effets profonds, leurs contrecoups ne se manifestent que longtemps après qu'ils se sont produits, - quelle importance peut-on alors accorder à la presse, telle qu'elle existe aujourd'hui, avec sa quotidienne dépense de poumons pour hurler, assourdir, exciter et effrayer ? - la presse est-elle autre chose qu'une fausse alerte permanente qui détourne les oreilles et les sens dans une fausse direction ?
OS, n° 321
Le style le plus moderne de l'exécution musicale. Le grand style tragique et dramatique de la musique doit son caractère à l'imitation des gestes du grand pécheur tel que l'imagine et le souhaite le christianisme; c'est l'homme à la lente démarche solennelle, aux cogitations passionnées, ballotté en tous sens par les tourments de sa conscience, fuyant d'épouvante, saisissant ce qu'il peut dans l'extase, s'immobilisant de désespoir, avec tout ce qu'il peut encore y avoir de marques de la grande coulpe. Seule, cette condition supposée par le chrétien, que tous les hommes soient de grands pécheurs et ne fassent rien que pécher, pourrait justifier l'application de ce style d'exécution à toute la musique, en admettant que la musique soit le reflet de toutes les activités et conduites humaines et doive en tant que telle parler sans interruption le langage mimique du grand pécheur. Un auditeur qui ne serait pas assez chrétien pour comprendre cette logique pourrait bien, il est vrai, s'écrier avec effroi devant un style pareil : « Pour l'amour du ciel, comment le péché est-il donc entré dans la musique ? »
Fabrice Midal vous présente "La théorie du bourgeon", son nouveau livre, disponible en livre audio !
Résumé :
Le découragement est le problème majeur de notre temps. Là où nous pourrions avancer, nous baissons les bras. Là où nous pourrions être victorieux, nous partons perdants. On nous a fait croire que nous devions être dans le contrôle permanent, dans l'efficacité absolue. Mais la vie ne se contrôle pas, elle ne se gère pas. Comment inverser le mouvement ? Comment retrouver l'élan pour sortir de la paralysie qui nous guette, pour rejoindre enfin le monde et essayer de le réparer ? Se fondant sur les enseignements de philosophes qui, comme Nietzsche, Bergson ou Hannah Arendt, ont affronté ce péril majeur avec lucidité, Fabrice Midal nous amène à reprendre confiance en nous et en l'humanité. Avec La théorie du bourgeon, il nous apprend à cultiver la vie dans son surgissement, ce bourgeon qui réside en nous et qui ne demande qu'à croître pour donner des fleurs, pour donner des fruits. C'est ce remède anti-découragement que je vous invite à découvrir.
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